Appel à une prise de conscience. Après le projet de Kathryn Gustafson qui proposait en 2019 pour le Grand site de la tour Eiffel de transformer le pont d’Iéna en tapis vert, en suivant l’exemple mémorable de celui de Stourhead, c’est au tour du parvis de Notre-Dame de Paris de se parer de tous les atours d’une forêt, une réflexion approfondie due à Bas Smets.
Qu’est-ce qu’un parvis ? A l’origine, c’est un espace de rassemblement pour les fidèles, même si le mot s’est étendu au parvis de la Défense ou à celui de l’Hôtel de ville. De là à en faire une forêt urbaine, d’envisager de transformer le parvis de la cathédrale en îlot de fraîcheur, on dépasse les bornes de l’ignorance et de la démagogie. L’écologisme ambiant ne peut pas masquer sa haine de la ville, à la fois destructrice et antidémocratique.
Cet été, canicules, feux de forêts et autres inondations ont occulté la présentation d’un nouveau projet, dérisoire ou cynique mais sans réactions.
Paris manquait d’une clairière ? Nous allons l’avoir !
Historiquement, avec l’introduction des gares, de l’automobile et des mobilités de plus en plus en plus rapides, les villes européennes avaient mis la nature à l’écart. Aujourd’hui, au contraire, avec le reflux de l’automobile, l’espace rendu disponible pose la question de son affectation. Le plan Vigipirate avait déjà réduit l’espace alloué au stationnement (sans réelle réaction des utilisateurs), puis ce sont les terrasses de cafés qui se sont emparées de l’espace de stationnement, après la pandémie. On aboutit aujourd’hui au projet de faire de Paris un espace sans voiture, de vider le centre d’une région censée dynamiser une couronne aux mille communes.
Cette logique parisienne n’aurait d’intérêt que si elle s’accompagnait parallèlement d’une logique de périphérie immédiate. Ce n’est pas le cas, les propositions et les projets deviennent illisibles, contradictoires, pour ne pas dire complètement aberrants. Curieusement, le projet concernant le parvis de Notre-Dame, dévoilé fin juin 2022, ne suscite pas de réaction : soit parce que personne n’y croit, soit que la situation semble désespérée.
Le projet du parvis de Notre-Dame refait surface. Les débats et les propositions ont été nombreux depuis le milieu du dix-neuvième siècle et les avis très divergents. Aujourd’hui, c’est un contresens qui se profile, voire une catastrophe. Nous ne sommes plus capables de penser un bien public ni de dessiner simplement une place ou un lieu de rassemblement sans en faire un Boulingrin, faute de quoi la ville n’existerait pas.
Si toutes formes de présence de la nature sont indispensables dans les rues : une glycine qui déborde, ici un arbre dont la frondaison sort de son espace privé, là un arbre tout seul au bout de la rue ou bien une perspective qui s’ouvre sur de lointains coteaux… il ne faut pas pour autant entrer dans la bêtise pour plaire à des écolos de pacotille.
« Le nouveau parvis est conçu comme une clairière, qui met en valeur la façade orientale de Notre-Dame dans un écrin végétal. Les arbres autour offriront des assises à l’ombre, tandis qu’une fine lame d’eau de cinq millimètres de haut ruissellera ponctuellement pour rafraîchir le parvis en temps de grandes chaleurs, créant des reflets éphémères ».
Faut-il dégager la façade ou au contraire ménager sa découverte ? C’est une question de perception que le pseudo-réalisme des images numériques ne peut pas trancher (et encore moins la référence à des peintures flamandes).
L’urgence climatique n’a rien à voir avec le sujet et le slogan « Notre-Dame s’offre un parvis pour le climat » est un non-sens. Comment peut-on avancer un point de vue, initier un débat en évaluant le projet par une série de mesures : « au total, 131 nouveaux arbres seront plantés. Le site de Notre-Dame (environ 4 hectares) gagnera en végétalisation (+36% de gain par rapport à la surface actuelle) ».
Au contraire, j’aurais aimé lire : Notre-Dame de Paris retrouve le parvis qu’elle attend depuis cent cinquante ans ! Un parvis n’est pas un espace ordinaire, celui d’une cathédrale ou d’un palais de justice est le prolongement de l’édifice. On peut oublier l’Histoire, ne pas savoir où se tenaient les catéchumènes, ne pas savoir ce qu’était un narthex mais on ne peut pas considérer cet espace comme une clairière, avec quelques arbres pour créer un îlot de fraîcheur !
Une cathédrale se découvre, avec une vision lointaine et une vision rapprochée, elle apparaît et elle disparaît, c’est de la surprise, de l’émotion, de la découverte comme à Chartres, Laon, Rodez ou Strasbourg. Il ne s’agit pas du confort de quelques touristes rafraîchis par un film d’eau comme au jardin des halles. La dimension symbolique semble avoir été complètement oubliée. À quoi pensent nos édiles, nos maîtres d’ouvrage ou les habitants tirés au sort ? À quel moment le parvis est-il le prolongement de la nef et des collatéraux ?
Si l’ombre est une préoccupation louable, il a toujours existé un côté de mur à l’ombre. Ici, c’est avant tout d’une religion dont il est question. Imaginez l’esplanade du temple à Jérusalem plantée de robiniers ou la place Saint-Marc à Venise occupée par des chênes verts… Si on veut des arbres dans la sérénissime, il suffit de marcher deux cents mètres jusqu’au fameux Giardini pour profiter des ombrages. Pour la place Saint-Pierre à Rome, quel sacrilège les écolos pourraient bien imaginer ! Sur la piazza Navona, aucun artiste, aucun architecte, paysagiste, urbaniste, ingénieur, scénographe, n’aurait osé proposer un projet aussi indigent.
Dans les années quatre-vingt, de façon provocatrice, pour sa publicité une marque de jeans avait transformé la place de la Concorde en pelouse pour pique-niqueurs. Une communication intelligente parce qu’éphémère pour marquer les esprits. Dans le cas du parvis de Notre-Dame, la limite de la végétalisation est en train d’être dépassée, c’est de l’indécence.
Depuis vingt siècles de culture urbaine et de civilisation, les hommes ont façonné un paysage urbain et produit du bien commun. Mais ces cinquante dernières années, nous n’avons pas produit un bien commun significatif si on pense aux ronds-points, en périphérie, qui ont permis le rassemblement des gilets jaunes.
De son côté, le parvis de la Défense se cherche encore et sa description seule montre son désarroi : « plus de 10 000 m² à disposition pour tout projet tous les jours de l’année, un lieu emblématique pour de grands rassemblements, un site à « haute fréquentation » et forte affluence quotidienne, une zone 100 % piétonne, des sorties de métro et RER avec accès direct au Parvis, une station de taxis à proximité, une offre de parking à proximité immédiate, un éventail de prestations techniques… ». Le fonctionnalisme ne semble pas suffire ! Le parvis sera lui aussi investi par un habillage végétal dans le fol espoir de le rendre attrayant, il en sera de même pour les Champs-Elysées.
Le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris mérite un vrai programme, mieux qu’un ramassis de lieux communs, une concertation sur le rapport entre l’histoire et le futur. La ville ferait fuir ? La peur de la ville se transformerait en volonté inconsciente de destruction. Il ne faut laisser aucune place au cynisme et encore moins à un opportunisme de mauvais aloi.
Ce projet semble susciter peu de réactions, c’est surprenant. Il s’agit pourtant d’un magnifique objet de réflexion qui mérite mieux que quelques images fades. En matière d’architecture, comme en matière de paysage, il suffirait d’apporter quelques références pour offrir une réponse originale.
Par exemple : lorsqu’ils ont eu à traiter la nouvelle place de Santz à Barcelone, les architectes Helio Pinon et Albert Viaplana ont imaginé un dispositif alternatif à l’ordonnancement classique. Ils ont modifié la vision chaotique des constructions environnantes, une leçon d’art urbain, de modernité et d’intervention artistique dans la ville. C’était une véritable innovation qui a mis la perception au cœur du projet.
Il sera plus facile de retirer une combrière que d’abattre des arbres lorsque l’erreur sera devenue manifeste.
Une esplanade, une place, une forêt, une clairière, un parvis, un îlot de fraîcheur, sont des choses complètement différentes. Albert Camus nous avait prévenus : « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit des espaces, lieux de la ville.
Alain Sarfati
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