Au Portugal, visite avec l’architecte-artiste Didier Fiúza Faustino / Bureau des Mésarchitectures, du chantier d’un atelier d’artiste en construction à Lisbonne et d’une opération de sept logements livrée en juillet 2024 à Leiria.
Avec son équipe installée entre Lisbonne et Paris, Didier Fiúza Faustino a livré en 2024 un projet de sept logements à Leiria,* au Portugal, ville de 128 000 habitants située à 90 minutes de route au nord de Lisbonne, où un château gothique domine la vallée du haut de la colline, et où la fête de la sardine bat son plein début juillet. Non loin du château, s’élève « Martires Housing Complex », du nom de la rue où se situe la maison ancienne à l’origine du projet d’extension.
Nous sommes partis du cœur de Lisbonne, à l’heure où le soleil tentait de se frayer un chemin parmi les nuages et au son des nombreux, trop nombreux avions survolant la capitale. Victime de son succès, la ville attire de plus en plus de touristes et de résidents et les bientôt 600 000 Lisboètes souhaitent ardemment la réalisation du projet de nouvel aéroport. A en croire cependant Ricardo Moraes de Air Journal (16 mai 2024), il va falloir attendre encore une vingtaine d’années avant de fouler le tarmac du Luís de Camões Aeroporto, son installation étant prévue à l’est, de l’autre côté du Tage, à Alcochète, l’ancienne cité de villégiature de la royauté portugaise, à une cinquantaine de kilomètres de l’hyper-centre. Il faudra emprunter les 12 km du viaduc Vasco da Gama dessiné par l’auteur des ponts de Normandie et de l’ïle de Ré, à savoir le français Charles Lavigne.
Finalement, le bruit des biréacteurs se fait les sirènes d’une proximité bien pratique avec l’aéroport actuel. Mais pour l’heure, direction Leiria.
En cours de route, nous faisons un détour par Santa Eufemia, plus particulièrement par la menuiserie Jjep Marcenaria Zé Tonio en charge du mobilier d’un futur lieu de travail Lisboète. Une fois sur place, Didier Faustino discute avec les menuisiers de la teinte à donner aux différentes planches qui vont à la fois servir pour la réalisation de rangements et de garde-corps positionnés sur une dalle en béton. Cette dernière est comme suspendue au milieu d’un immense volume parallélépipède ; seuls trois poteaux cylindriques asymétriques semblent soutenir le tout, l’impression de légèreté est à son comble. Le tout au service d’un futur atelier d’artiste.
Après quelques échanges et le choix d’un blanc gris, Faustino me montre ses dernières assises dessinées pour ce projet. Nous ne montrerons pas de visuels ici mais l’ambiance générale n’est pas sans évoquer un Enzo Mari (Autoprogettazionne, 1974) mais plus raffiné, dessiné…
Sur l’autoroute où défile une variété de paysages, l’architecte-designer m’explique l’origine de la demande de son client promoteur. Au départ, celui-ci souhaitait produire une résidence pour étudiants. En effet, ville universitaire, Leiria ne dispose pas d’un immense parc de logements pour cette population en augmentation constante dans cette agglomération où le coût de la vie est raisonnable et le tissu urbain assez dense.
Les obligations du plan d’urbanisme local le contraignent à inclure dans le programme une place de parking pour chaque logement édifié. La donne change quant au prix du m². Que faire ? Louer en colocation aux étudiants ou vendre chaque lot à des familles ? Visiblement la seconde option est à l’ordre du jour.
Arrivés dans Leiria, un élément frappe d’entrée, les infrastructures routières surdimensionnées impactent le paysage vallonné. Leur présence indique l’empreinte industrielle et générique de la ville. Seul le château de cette ville moyenne rivalise avec tout cet ensemble de voies de circulations. Comme par hasard, l’immeuble du Bureau des Mésarchitectures se dresse, telle une forteresse, au niveau d’un carrefour à sens giratoire.
Des volumes en mode forteresse
Côté faubourg, à l’urbanisme mité et au style architectural générique de piètre qualité, le bâtiment se dresse tel un blockhaus technique. D’aspect très sévère quand les volets en aluminium sont fermés, la façade épouse l’arc de cercle formé par les deux rues adjacentes au rond-point. La disposition en éventail des panneaux préfabriqués en béton renforce le sentiment d’être devant une muraille des temps modernes. Par temps lumineux, seules des ombres portées engendrées par les successifs décrochements des blocs de béton viennent rompre le monolithe par leurs mouvements journaliers.
Même si nous savons que nous sommes face à des logements, cette élévation n’en donne aucun signe. Une fois stationnés, attirés par la petite rue, côté centre historique, un emmarchement s’enfonce vers la porte d’entrée de l’immeuble ; juste au-dessus, un voile de béton semble suspendu, il opère la jonction avec la demeure mitoyenne. Recouverte d’un enduit jaune sable, cette maison à toiture à quatre pans du début du XXe siècle raccroche l’extension contemporaine aux gabarits du centre historique. La teinte dorée des menuiseries extérieures harmonise le tout.
Côté cour, la radicalité est à son comble ; dressée à la verticale, une suite de panneaux en aluminium – de mêmes dimensions que ceux utilisés pour les volets côté rue – rythme la façade dans un appareillage tiré au cordeau. Extrêmement bien dessinée, cette surface offre un contraste avec l’environnement construit alentour.
La visite de la propriété montre à quel point l’écriture de l’architecte est sans concession. Il est rassurant qu’un maître d’ouvrage s’entende sur une ligne directrice si puissante. Cet édifice redonne confiance en la force plastique de l’architecture ; ici, elle matérialise la pensée du Bureau des Mésarchitectures qui, depuis plus de vingt ans, tente d’offrir aux corps des architectures adéquates. Entre refuge et scène de théâtre, Didier Faustino et ses équipes s’évertuent à imaginer des lieux de vie sensibles aux affects de la vie quotidienne. L’architecture se doit d’offrir aux corps humains des espaces-temps où ils peuvent agir selon leurs humeurs.
Une fois les volets ouverts, les façades laissent apparaître le dessin des garde-corps et celui des meneaux des fenêtres à deux ventaux coulissants. Un autre visage se fait jour. Les intervalles plein-vide fracturent le bloc et donnent envie de rentrer à l’intérieur. En lieu et place d’une fortification, nous voici devant un lieu d’hospitalité : le logement comme lieu d’accueil des corps où il fait bon se recharger. Idem côté cour, les battants ouverts modulent la grille et révèlent tout le potentiel de vies possibles à l’intérieur de ce paquebot au dessin ultra contemporain.
L’architecte en profite pour me montrer une photographie de la devanture côté carrefour ; nous sommes entre chien et loup, les baies ouvertes diffusent une lumière intérieure, chaude, laquelle a pour vertu de s’accorder de manière optimum avec l’enduit jaune de l’ancienne habitation. L’éclairage public renforce ce sentiment ; la lumière des lampadaires y transforme le gris des panneaux de béton en une teinte plus ou moins jaune selon l’angle de projection de ces derniers. Soit dit en passant, la nuit tombante accentue les joints entre chaque panneau (de béton ou en aluminium) et démontre à quel point le Bureau des Mésarchitectures accorde une immense importance aux détails et à la grille constructive. Ne serait-ce pas la singularité des architectes qui font de l’architecture et pas simplement de la construction ? Paradoxe des paradoxes.
Revenons à la visite.
En ouvrant la porte de l’immeuble, Didier me glisse : « Dans une certaine mesure, ses grandes fenêtres et sa façade audacieuse mettent l’acte de vivre sur scène – une performance aux côtés de tous les drames de la ville qui se déroulent à la fois ». CQFD !
Fluidité des espaces intérieurs
L’orientation des circulations dans l’immeuble se fait sentir dès que nous prenons l’ascenseur. Je consulte rapidement sur mon smartphone les plans, logiquement le bloc ascenseur-escalier se situe à la jonction entre la partie rénovée et celle bâtie ex-nihilo. Ainsi le palier commun distribue efficacement les appartements à la géométrie aux multiples variables.
Une fois franchi le seuil de la porte d’un appartement, une lumière douce caresse les volumes ; elle met en valeur les intérieurs et procure un sentiment de bien-être. L’envie d’habiter pointe.
À chaque étage, le vocabulaire chromatique qualifie un élément architectonique ; un gris clair – une peinture époxy – habille les murs, les sols et les plafonds ; un gris moiré constitue l’essence même des poteaux et refends en béton brut de décoffrage ; une teinte beige orangée valorise le contreplaqué bouleau utilisé pour les portes et l’ensemble du mobilier de cuisine, de chambre et les cloisons ; tous les plans de travail dans les cuisines sont en marbre Alpinina aux pigments et veines subtiles et variées ; enfin, un RAL doré recouvre les menuiseries des baies vitrées en aluminium et les rambardes d’escalier et balustrades, le même qu’à l’extérieur, bien sûr.
Un appartement offre une monumentalité à bien des égards. Dans la partie rénovée, au second étage, un loft se singularise par sa hauteur sous plafond et la structure tridimensionnelle en béton armé qui le porte. L’envers de la toiture à quatre pans est devenu le plafond, il fallait en répartir la descente des charges ; cette contrainte est devenue une plus-value créative. Les dimensions imposantes de la structure poteau-poutre donnent un côté somptueux à l’espace, il s’en dégage une quiétude toute philosophique qui incite à réfléchir sur l’équilibre entre corps et espace, vie et esthétique, etc.
Tous les logements ayant élu domicile dans la partie contemporaine offrent le même ravissement. Le soin apporté aux articulations entre les éléments structurels, fonctionnels et esthétiques – les limites entre les trois fusionnent souvent en un tout indicible – exerce sur chaque individu un plaisir d’exister non dissimulé. Ne serait-ce pas la moindre des choses, le contrat a minima d’un logement ? Pour Faustino, assurément.
À noter un détail important. Aucune plinthe ne vient protéger le bas des murs. Notre ami architecte, scénographe et artiste y préfère de loin le système des plinthes en creux utilisé dans les galeries et musées. Cette solution permet aux murs et aux meubles de se désolidariser du plancher. Grâce à cette particularité, les intérieurs semblent flotter dans les espaces.
Une délicatesse dorée
Le doré unifie ce complexe de sept logements, cette teinte en harmonie avec des nuances de gris laisse imaginer plusieurs scénarios de vie pour les corps et les esprits qui habiteront ces lieux. Le soin apporté à chaque détail de cette architecture en dit long sur le désir du maître d’œuvre de renouveler le plaisir de ses hôtes. N’oublions pas le maître d’ouvrage, sans lui, rien de tout cela ne serait possible. Cette lapalissade peut faire sourire mais elle reste opératoire et pourtant si peu effective.
Indéniablement les futurs acquéreurs de ces biens auront tout loisir de vivre dans un petit chef-d’œuvre de l’architecture domestique. Didier Fiúza Faustino et son Bureau des Mésarchitectures démontrent, si le besoin s’en faisait sentir, comment il est simple d’offrir des logements remarquablement dessinés de différents types, et ce, dans toutes ses dimensions : de la façade urbaine à la plinthe dans le salon.
Comme il se doit, le mot de la fin revient à l’architecte : « L’architecture nous permet de créer de la friction, de répondre à des questions contemporaines et d’inventer des scénographies pour les corps : l’individu, le social et le collectif ».
Christophe Le Gac
Retrouver toutes les Chroniques de l’Avant-garde
* Lire la présentation À Leiria, sept appartements signés Bureau des Mésarchitectures