
Il a fallu trente ans à l’architecte Jean-Pierre Heim pour avoir l’autorisation d’aller se perdre à Al Ula dans le désert d’Hegra, en Arabie saoudite. Visite intimiste d’un site métaphysique avant que les touristes ne s’y pressent bientôt. Voyager est un art. Carnet de dessins.
Ce voyage je le prépare depuis trente ans ! En mission à Riyad en 1991, j’ai rénové une vingtaine de villas pour l’ambassade de France dans le quartier diplomatique. La rénovation de ces maisons est le fruit du hasard. En effet, en 1991, des bulldozers détruisaient par centaines les maisons de terre de Riyad, des quartiers entiers disparaissaient au profit de promoteurs pour construire le nouveau Riyad d’aujourd’hui.
Parmi les décombres j’ai découvert des vieilles portes, des fenêtres, des moucharabiehs, des selles de chameau, des vases, des poteries… Je me suis adressé à l’entrepreneur et, parmi le désastre, j’ai pu sauver par dizaines des objets chargés d’histoire et appartenant au patrimoine, objets que j’ai rétablis dans les maisons et les jardins rénovés de manière à recréer une ambiance historique et caractéristique, un témoignage du passé. Cette expérience a été pour moi une révélation.
Lors de ce séjour, pendant les travaux, j’ai voulu effectuer un voyage à Al Ula, au cœur de la civilisation nabatéenne, dans le désert d’Hegra. Tentant d’obtenir un permis de voyage, j’ai découvert que cette région était interdite au tourisme.


J’ai cependant pu récupérer des photos historiques et d’autres documents et artefacts qui m’ont permis de concevoir une fresque géante à l’entrée du poste d’expansion économique de l’ambassade de France à Riyad. Cette fresque, véritable trompe l’œil, reflète cette histoire restée gravée dans ma mémoire.
Au cours des années, j’ai eu l’occasion de découvrir d’autres déserts dans d’autres contrées mais j’ai toujours persévéré à tenter de me rendre à Al Ula. Et puis, en octobre 2021, j’ai enfin pu obtenir un visa de la part de la ‘Royal Commission of Al Ula’ grâce à l’invitation de mon hôte, le Docteur Mounir Neamatalla, en charge de la rénovation de la vieille ville. Ce dernier est l’auteur de la magnifique rénovation de la vieille ville de Siwa et de l’’Eco resort’ Adrere Amellal dans l’Oasis de Siwa en Egypte. Le site de Al Ula, où les découvertes des civilisations néolithique et nabatéenne sont nombreuses et extraordinaires, est désormais destiné à ouvrir ses portes au tourisme.
Je suis arrivé à Ryad en octobre, en plein soleil mais dans une ville quasiment déserte à cause du Covid. Après quelques heures de traversée du désert, j’ai découvert un décor magique de montagnes découpées dans un paysage infini. Pendant quelques jours, j’ai découvert une oasis extraordinaire et j’ai pu m’aventurer sur tous les sites.




Il m’a fallu quelques jours pour m’abîmer dans cette géographie et m’imbiber de cette nouvelle culture et de ce climat. La vieille ville d’Al Ula semble renaître. Cette ancienne halte sur la « route de l’encens » reliait la Méditerranée jusqu’au sud de la péninsule arabique, une route aussi empruntée par les Ottomans qui avaient fait construire une voie de chemin de fer qui devait relier Damas à la Mecque puis, pour des raisons économiques, la voie s’est arrêtée à Médine. C’est toujours un chemin emprunté par les pèlerins pour se rendre à La Mecque. Le Docteur Mounir Neamatalla est en train de donner à cette « route de l’encens » une nouvelle vie.
De nombreux investisseurs vont bientôt se ruer pour rénover les fermes et les maisons en utilisant le pisé et les palmiers, matériaux naturels de construction, pour faire de cette ville ancienne le cœur d’un ‘Eco Lodge’ chargé d’histoire.

Cette découverte d’un site quasi métaphysique, encore pratiquement intact, s’est révélée être une expérience magique, de jour comme de nuit. Un siècle avant Jésus-Christ, une cité de rêve naissait ici d’un mélange de civilisations, ce dont témoigne son architecture éclectique de style égyptien, romain, grec, assyrien mésopotamien et phénicien. Pourtant cette mixité de styles a produit des bâtiments d’une simplicité extraordinaire et d’une géométrie parfaite, une architecture, comme les tombes, sculptée de haut en bas des massifs rocheux.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Octobre 2021
Retrouver toutes les chroniques de Jean-Pierre Heim