On se souvient toujours de la première fois. A quel moment est-on architecte ? Quand le devient-on ? Comment ? Premières fois chez WRA.
Nous étions le 10 mars 2021, midi passé, dans la voiture de Vladimir Doray, associé fondateur en 2011 avec Fabrice Lagarde de WRA (Wild Rabbits Architecture). Nous venions de visiter à Noisy-le-Roi (Yvelines) la crèche des Deux Oies, un ouvrage livré par l’agence en janvier 2021.
Réglementation sanitaire oblige, la visite de presse s’était effectuée en deux groupes décalés, j’étais dans le premier, celui de Vladimir. Pendant que nous rentrions, le second groupe effectuait sa visite sous la conduite de Chloé Goutille, chef de projet.
L’ouvrage, dans le contexte de ces villes prospères de banlieues où le calme le dispute au silence et où la voiture semble aussi essentielle que le toit à deux pentes, consistait à réunir en un seul endroit les différentes crèches de la ville, d’où une capacité de quatre-vingts berceaux.
Le parti pris de l’agence : de longs volumes pleins qui accueillent les dortoirs et dépassent légèrement de la vaste toiture, les salles d’éveil, largement ouvertes en façades, occupant les interstices et se prolongeant sur l’extérieur. De la lumière partout, un côté un peu chic… Une esthétique étonnante inspirée des ‘car pool’ et motels américains mais qui s’insère parfaitement dans le site tout en proposant un fonctionnement d’une grande simplicité tant le plan est limpide.*
Sur le chemin du retour donc, Vladimir poursuit la conversation avec les journalistes, jusqu’à faire (en substance) cette confidence : « c’est la première fois que je ne contrôle pas tout sur un projet », dit-il. Il y avait de l’émotion et de la sincérité dans cette déclaration spontanée : découvrir que l’on n’a plus besoin de tout faire soi-même !
De fait, c’était aussi une première pour Chloé : découvrir tout ce que l’on peut faire soi-même.
De la naissance d’une crèche, histoire universelle ? Tous deux racontent à Chroniques, séparément, leur première fois.
L’agence
Vladimir Doray : « Au départ, je faisais le bricoleur, pendant mes études j’ai édifié ma maison en auto-construction, parpaing par parpaing, tout en bossant en agence. Il est difficile pour moi de ne pas aller au bout du projet : le concevoir et le construire. En fait, dans l’architecture j’aime tout.
Mon associé Fabrice et moi avons découvert la collaboration sur un plan horizontal. J’ai appris à lui faire confiance dans ses choix ; ce fut pour moi une première étape. Un truc important pour nous est le rapprochement, très tôt, avec l’Atelier Ithaques. Nous formons une sorte d’organisme mal défini mais qui permet de s’appuyer au quotidien sur 12 ou 15 architectes, ce qui offre du répondant, surtout pour les projets de réhabilitations, des projets souvent imposants ».
Chloé Goutille : « Je suis arrivée à l’agence un peu par hasard. Nous nous sommes croisés dans le métro Vladimir et moi, j’avais assisté à l’une de ses conférences à l’ENSA Belleville. J’ai eu un entretien d’embauche puisque j’ai aussi eu un entretien avec les associés avec les associés des deux agences réunis car les salariés sont amenés à travailler dans les deux agences. C’était un peu troublant de se retrouver avec quatre boss d’un coup, il n’y avait pas beaucoup de salariés, c’était la pyramide inversée (rires) mais c’est un dispositif que j’ai bien aimé car il permet de travailler avec différentes personnes.
J’ai 30 ans, diplômée à 24 ans, j’ai travaillé deux ans dans une très petite structure avant de rejoindre WRA. Au tout début, j’étais assignée à des projets pour des promoteurs immobiliers, avec des tâches bien définies, puis sur des projets de réhabilitation avec Ithaques, ce qui m’a permis de réfléchir au rapport à l’existant : j’ai modélisé des tours de logements sociaux ».
La crèche des Deux Oies
Vladimir : « A l’agence, tout le monde participe d’une façon ou d’une autre aux concours, ne serait-ce que pour donner un coup de main ; c’est pour l’agence toujours un bon moment, une chouette émulation. Et quand le bâtiment est livré nous sommes fiers ensemble ».
Chloé : « Je ne travaille pas sur le concours de la crèche au début mais le confrère qui a commencé les études s’en va, je récupère le projet en APD. J’aimais bien ce projet dès le concours et je suis contente que ça me tombe dessus, je sentais que c’était quelque chose qui irait jusqu’au bout, c’est-à-dire avec le chantier, ce qui est rarement le cas quand on fait du logement ».
Vladimir : « Chloé est arrivée sur le projet de la crèche des Deux Oies en APD, le permis en cours de dépôt. Cela faisait 18 mois qu’elle était à l’agence, on se connaissait bien, on se faisait confiance. Elle avait fait un peu de chantier, sur un dossier de même échelle, mais notre approche avec Revit était pour elle originale, cette façon d’aborder très tôt le chantier et de tenter de tout prévoir. Elle est très consciencieuse et très attentive. Elle avait dessiné des carnets de détails à n’en plus finir. Aussi quand elle s’est retrouvée sur le chantier, ce qui était un peu abstrait pour elle est devenu concret ».
Le chantier
Vladimir : « C’était la première fois pour elle et, au début, elle avait besoin de ma présence. C’est un projet complexe, il y avait 13 entreprises différentes et j’ai l’habitude de mener les réunions. Au départ, je voyais bien que les entrepreneurs ne s’adressaient qu’à moi, ne s’adressant à Chloé que pour les sujets les plus faciles ».
Chloé : « Même si le chantier était une première pour moi, je l’abordais sereinement car j’avais suivi presque toutes les étapes depuis le début – PC, phase Pro – et je connaissais bien désormais le maître d’ouvrage avec qui j’avais eu plusieurs réunions. Je ne suis pas dessinatrice, j’étais intégrée au processus de projet, aux réunions, etc. Il y a eu une grosse phase de consultations avec les entreprises mais là-encore j’avais participé à leur choix ».
Vladimir : « Les six premiers mois, j’étais là tout le temps, jusqu’à ce que je sente que je finissais par gêner plus qu’autre chose (rires). Que l’on n’ait plus besoin de toi, ça ne vient pas du jour au lendemain mais ça arrive avant que tu ne t’en aperçoives ».
Chloé : « Au début Vladimir m’accompagnait systématiquement. Le chantier étant un peu loin, je me disais qu’une journée à deux hors de l’agence coûte cher et qu’il me fallait donc parvenir à faire les choses par moi-même, d’autant que j’avais des éléments de réponse et qu’il était toujours possible d’éclaircir des points avec Vladimir à l’agence. J’ai commencé à bien connaître les entreprises, comment elles fonctionnent. Maîtrisant le projet, j’avais les réponses et j’ai appris à dire oui ou à dire non et, le cas échéant, à dire ‘’je ne sais pas, je vais prendre le temps d’y réfléchir’’ ».
Vladimir : « L’une des difficultés est le regard porté sur les jeunes architectes. Avec un peu d’expérience, j’ai appris à les regarder comme des architectes à part entière, ils sont seulement plus jeunes, ce qui ne signifie pas qu’ils sont mauvais. Il faut le comprendre pour établir une relation de confiance. Il y aura des maladresses certes mais la jauge à garder pour savoir s’il faut intervenir ou non est la finalité du bâtiment. Chloé n’est pas dans le ‘’Je ne sais pas’’, elle connaît le projet pour dire oui, dire non ou ‘’je vérifie’’ ».
Chloé : « S’il y avait des sujets techniques sur lesquels je rencontrais des difficultés, ce projet me tenait à cœur et j’étais en confiance sur ses intentions et les choses sur lesquelles il ne fallait rien lâcher. De fait, pendant les six premiers mois, Vladimir avait une façon de me présenter comme la personne en charge du projet qui signifiait aux entreprises que c’est à moi qu’elles devaient s’adresser et la transition s’est faite assez naturellement ».
Et après ?
Vladimir : « Les architectes formés en six mois sur Revit peuvent bosser n’importe où du jour au lendemain car Revit permet de penser en tant qu’architecte. Chloé dispose certes aujourd’hui d’une expérience complète, de la conception à la réalisation, mais ce n’est pas ce qui fait sa valeur sur le marché du travail.
La problématique est davantage de savoir ce qu’elle a envie de faire dans l’agence. A quel moment la surcharge et la surcomplexité stimulent ou écrasent ? Mon rôle est de partager la pression et des outils de méthodologie pour apprendre à gérer son propre stress, le stress du maître d’ouvrage, le stress de l’équipe, le stress des entreprises. Il faut de la prévenance envers son équipe et les autres acteurs ».
Chloé : « Ce fut une expérience très forte pour moi mais j’ai encore beaucoup à apprendre. J’ai vu comment se passait l’enchaînement des corps de métier, l’enchaînement des étapes du projet… C’est dur comme expérience, ça prend beaucoup de place un chantier. Avec le recul, j’ai vraiment bien aimé, j’étais à la recherche de cette expérience du concret de l’architecture, le site, la relation avec les entrepreneurs, avec des gens d’autres horizons possédant d’autres formations ».
Vladimir : « L’ambition est une question d’opportunité. Je sais pour ma part que je souhaite continuer à faire ce que nous faisons à l’agence et surtout continuer à faire de l’architecture. J’ai plus de temps désormais puisque nous avons une nouvelle chef de projet (rires) ».
Chloé : « C’est à peine fini qu’après quelques jours de répit, on veut recommencer, c’est ça le pire. J’espère que j’aurais d’autres opportunités à l’agence qui m’a offert de travailler dans de bonnes conditions et avec beaucoup de soutien ; j’imagine assez bien comment un chantier peut être traumatisant pour un jeune architecte s’il n’est pas soutenu ».
Architecture
Vladimir : « La justesse de l’architecture est dans la justesse du rapport avec les gens. Cela prend du temps, c’est la limite. Le plan de la crèche des Deux Oies par exemple a l’air d’avoir été gravé dans le marbre dès le concours mais sa réalisation a demandé des heures de discussion et il est central de savoir bosser avec une autre personne.
Quand, en tant que formateur, se pose la question de savoir si l’autre fait aussi bien que ce que l’on aurait fait soi, il faut faire évoluer la question : puis-je apprécier ce que fait l’autre autant que ce que j’aurais fait moi ?
La partie littéraire de l’architecture nous permet d’avoir une direction commune. J’aime bien dire que nous sommes au service du projet. Pourtant des ambiguïtés demeurent : [Chloé] est-elle l’architecte du projet ou l’architecte du projet seulement quand je ne suis pas là ? C’est quoi ‘’faire bien’’ ? Faire plaisir à l’associé ? Peut-on être au service de quelqu’un et en même temps à son propre service ? »
Chloé : « Certes la question demeure : qu’est-on libre de faire ou pas ? Ce sont les associés qui tiennent le crayon mais tout ce savoir-faire que j’ai acquis, c’est grâce à l’agence et je ne suis pas au bout de ce que je peux encore apprendre là ».
Propos recueillis par Christophe Leray
*Pour découvrir le projet plus avant : Les deux oies de Noisy-le-Roi, par et pour les petits lapins