Eudes Bonneau-Cattier et Ariane Picoche, fondateurs de YogiToy ont leurs bureaux à la Station F, à Paris, ce qui semble tout à fait adapté à l’esprit start-up de leur affaire. Où il est vraiment question de technologies douces. Rencontre.
Eudes Bonneau-Cattier, 33 ans, a fait ses études à Paris et à Oxford, une année en art à Rueil-Malmaison puis l’Ecole d’architecture de Paris-Belleville dont il est diplômé en 2011. Une année supplémentaire à HEC précède le lancement à Paris du projet YogiToy en 2017. Ariane Picoche, son associée, est journaliste et réalisatrice de documentaire. Ensemble ils ont développé un jouet qui se plie à l’imagination.
Chroniques : La rencontre…
Eudes Bonneau-Cattier : Ariane connaît bien le monde du cinéma, de la production et de la communication. Elle a également travaillé à Que faire à Paris, le site culturel de la mairie de Paris. C’est d’ailleurs lors d’un évènement organisé par la mairie que nous nous sommes rencontrés. Au départ, nous avons monté un projet de street art, intitulé ‘Arbres à louer’, qui associait une vision poétique de la ville à un questionnement sur le mal logement. Les interventions collectives consistaient à coller des fenêtres en papier sur les arbres d’un quartier, pour les transformer en immeubles imaginaires. Les photos des participants étaient intégrées aux fenêtres.
Cette notion perdure dans les YogiToys puisque la personnalisation des jouets est un axe fort qui permet aux gens d’être dans un dialogue créatif, de s’approprier le YogiToy comme un outil au service de leur imagination. Chacun possède une créativité et la possibilité de l’exprimer, il suffit d’avoir les bons outils et le YogiToy en fait partie. Il ne suffit parfois de pas grand-chose pour permettre aux gens de se lâcher et jouer comme des gamins.
D’où vient l’idée du jouet, YogiToy ?
Au tout départ, j’avais envie de créer un jouet. Je voyais mentalement ce jeu depuis que j’avais découvert, enfant, le personnage de ‘Gaston Latex’ dans les Gaston Lagaffe, un personnage-objet que Franquin avait imaginé à partir de figurines qui existaient à l’époque. Gaston Latex était une copie de Gaston Lagaffe molle et Fantasio ne savait jamais s’il avait à faire au vrai Gaston ou à son double.
En fait, je me suis aperçu après avoir créé les premiers YogiToys que ce type de jouet flexible existait déjà dans les années 1960, une version en caoutchouc et fil de fer qui a ensuite disparu parce qu’elle n’était plus aux normes. Aujourd’hui nous avons revu entièrement l’objet et nous le fabriquons en polyester et en fil de cuivre avec des encres à base d’eau qui nous ont permis d’obtenir la norme CE (conformité européenne).
Au début je visualisais le jouet mais je ne savais pas comment le réaliser, du coup j’ai fait de nombreux tests, assez médiocres pour dire la vérité, car je n’avais pas la bonne matière, les bons tissus, les bonnes techniques de couture et d’impression, etc. Tout cela a pris du temps. Une fois le prototype satisfaisant, Ariane a proposé de m’aider en gérant la campagne de financement participatif et nous sommes partis de là, nous avons trouvé un nom, un slogan, un positionnement. Elle a réussi à faire en sorte que mon idée devienne une entreprise.
C’est drôle car après des études d’architecture, l’objectif ultime est de monter son entreprise et pourtant les compétences nécessaires ne font pas parti des enseignements : à aucun moment on apprend aux étudiants en architecture à rédiger une facture, gérer un budget, faire un prévisionnel, faire du marketing. C’est fou !
Quelle influence a eu sur ton projet le fait d’être architecte ?
J’ai travaillé cinq ans en agence et j’ai beaucoup aimé cela. Au début du projet, je continuais à faire de l’architecture et tout cela s’est fait dans un glissement progressif, il n’y a pas un jour où je me suis dit, je ne suis plus architecte. D’ailleurs aujourd’hui, je me sens toujours architecte. Quand je pars en vacances, je regarde tout de suite sur mimoa.eu le truc à regarder dans le coin. Il n’est d’ailleurs pas exclu que je revienne un jour à l’architecture. En fait, je pense qu’après une formation d’architecte, toute ta vie tu penses comme un architecte.
Néanmoins, les réactions de mes confrères n’ont pas été similaires, j’ai vu et ressenti beaucoup de réticence, de doute, j’ai compris qu’il y avait dans tout cela une question d’identité avec des réactions du type : «Mais tu ne veux plus être architecte» ou bien «Mais tu veux nous quitter ?». Aujourd’hui, ces mêmes potes sont les premiers à me soutenir et à vouloir s’engager dans d’autres projets, certains désirent se reconvertir mais n’osent pas, ou ne savent pas par quel bout commencer…
Quels ont été les processus de conception du jouet ?
La phase conception projet est la même qu’en architecture. Par contre, quand tu es architecte tu finis ton projet et tu en fais un autre ; ici il s’agit de réadapter sans cesse le même projet dans une vocation commerciale. Ce que je découvre avec YogiToy est que la créativité s’applique à bien d’autres domaines que le dessin ou le choix des matériaux.
Cela me fait penser au projet de l‘agence de paysage BASE qui dans son projet d’aire de jeux dans le parc de Belleville a réussi à faire passer l’idée que l’aire de jeux permet d’explorer la notion du risque pour les enfants. Selon moi, il s’agit bien là de créativité au service du projet. Si je veux pouvoir créer une aire de jeu différente de toutes celles conventionnelles réalisées aujourd’hui, si je veux aller plus loin que la règle, il faut que je sache vendre un concept. Dans ce cas précis, la notion d’expérimentation du risque permet, sinon de détourner la convention, du moins de proposer une nouvelle typologie d’aire de jeux. L’intelligence est de savoir adapter une belle idée à un contexte réglementaire et social pour proposer un projet juste et novateur.
Le YogiToy est un concept unisexe, est-ce une volonté de votre part ?
Les premiers personnages réalisés sont non genrés et unisexes et nous utilisons également l’anglais pour communiquer avec neutralité. Nous sommes attentifs aux questions de discriminations. Dans notre catalogue de costumes les peaux sont en noir et blanc, justement pour expliquer l’idée qu’il n’y a pas de présupposé sur la couleur de la peau de la personne. Il est important pour nous de laisser le plus de place possible à l’imagination. Un autre défi était de faire jouer les adultes et, surtout, de faire jouer les adultes avec les enfants. Le YogiToy parle aux adultes parce qu’il est décoratif. C’est donc un levier qui peut aider les gens à partager leur créativité, qu’il s’agisse d’une petite fille de 10 ans ou d’un grand-père de 80 ans. Nous visons une population de 1 à 101 ans parce que la réglementation n’autorise notre jeu qu’à partir de dix mois.
Vous personnalisez les YogiToy pour le milieu entrepreneurial ? Un jeu en entreprise ?
A notre échelle et à moyen terme, l’idée est de lever des fonds pour développer un produit industriel personnalisable à des coûts acceptables. D’ici-là, ce qui nous permet de vivre est de travailler avec des entreprises qui commandent des quantités suffisantes pour lancer des productions. Nous imprimons dans des FabLab de la capitale et les coûts impondérables (impression, encre….) nécessitent des productions en série.
Concernant le monde de l’entreprise, nous travaillons beaucoup avec des ‘community managers’ qui vont utiliser les YogiToys comme un lien entre le monde réel et le monde virtuel. Ils peuvent interagir avec des clients, du personnel, etc. Le jouet permet une mise en scène sans se mettre en scène soi-même et devient ainsi un outil de communication autant virtuel que physique.
En quoi est-il difficile de produire en France aujourd’hui ? Qu’apporte le Made in France ?
Bien plus que le Made in France, le plus important est selon moi la notion de circuit court. Il ne faut pas réfléchir en termes de label, parce qu’en dehors de la France cela n’a plus trop de sens ; en revanche le concept de circuit court est facilement audible dans toute l’union européenne.
Concrètement cela signifie par exemple pour nous de nous approvisionner en tissu en Europe. Il faut aussi être pragmatique : par exemple tous les jouets en produits textiles contiennent du polyester, à cause de la réglementation liée au feu. Aussi, plutôt que d’être dans l’hypocrisie du jouet entièrement en coton, nous cherchons d’autres solutions pour recycler le jouet.
Comme en architecture, le projet est le résultat de plein de négociations avec soi-même. L’architecture n’est pas un art pur, c’est une négociation avec le contexte. Mais on pollue beaucoup quand même, c’est très difficile d‘être architecte sans polluer.
Que retires-tu de cette expérience en regard de tes études d’architecture ?
Je note par exemple que nous avons candidaté à l’incubateur des Arts et Métiers. Dans toutes les écoles d’ingénieurs, il y a des incubateurs, je trouve étrange qu’il n’y en ait pas dans les écoles d’architecture, cela n’a aucun sens. Par exemple je travaille à Station F avec Archibien, qui est une plateforme de mise en relation de clients et d’architectes, les deux cofondateurs sont architectes. Voilà un truc qui bouscule vraiment le métier.
Plus largement, si tu fais quelque chose qui n’intéresse personne, ton business ne peut pas survivre. La clé dans les affaires est de se poser la question suivante : «qu’est-ce que je peux apporter aux gens ?» Si la volonté principale est juste de se faire de l’argent, cela ne marchera pas.
Pourtant, cette notion peut être aisément dévoyée, comme Steve Jobs qui a créé une nouvelle norme sociale en imposant au monde les smartphones. Si tu n’as pas de smartphone, tu ne fais pas partie du monde occidental. Aujourd’hui j’ai un smartphone, je sais qu’il y a des terres rares dedans, que cela fait travailler des gens dans des conditions pas terribles, mais j’en ai besoin et c’est très pratique. Donc la balance entre c’est pratique et ce n’est pas très moral a penché du côté de l’achat tout de même. Si la notion d’utilité est déterminante, le YogiToy est un moyen de communiquer car sans le jeu, l’homme n’est pas apte à vivre en société.
Le rêve secret pour les YogiToys est qu’ils deviennent un nouveau standard dans le jouet. Il n’y a pas de mode d’emploi, ce dont nous sommes fiers. Des psychomotriciens, des pédopsychiatres utilisent notre jouet pour permettre à un enfant d’exprimer ses émotions en les mettant à distance. Sans règle du jeu, tout est possible !
Propos recueillis par Antoine Basile
En savoir plus : https://www.yogitoy.com