Vingt-trois gratte-ciel et autant de starchitectes : telle est l’ambition du Yongsan International Business District, dont la livraison est prévue pour 2024 au sud du coeur historique de Séoul, le long du fleuve Han. Géré par un consortium privé, le projet est une probante illustration d’un urbanisme ‘hyper capitaliste’ d’où le développement durable ou encore le lien social sont criants d’absence.
Depuis les années 1990, les institutions et les entreprises font de plus en plus appel à des concepteurs de renommée internationale afin d’ériger, pour des sommes colossales, des icônes architecturales. Ce phénomène, appelé ‘effet Bilbao’, porte sur la création d’architectures ‘de luxe’ par des starchitectes pour insuffler dynamisme économique à un évènement, une marque, voire une ville entière.
Au regard de la crise économique mondiale – et des crises politiques et sociales concomitantes – il est permis de remettre en cause ce mode de fabrication de la ville, modèle de développement dénué de durabilité sociale, économique et écologique.
A Séoul, en Corée du Sud, cette problématique ne semble pas à l’ordre du jour. Bien au contraire, ainsi qu’en témoigne le projet du ‘Yongsan International Business District’, Bilbao ou Dubaï coréen, dont l’enjeu est l’érection de vingt-trois gratte-ciel d’ici 2024.
Le site est un vaste périmètre de 566.800m² situé au bord du fleuve Han, au sud du coeur historique de Séoul, aujourd’hui occupé par une vaste zone réservée à la maintenance ferroviaire de la gare Yongsan ainsi que par des quartiers résidentiels.
Selon les prévisions, le site doit être entièrement libéré d’ici fin 2012 grâce à l’achat du terrain ferroviaire auprès de la société nationale des chemins de fer et via l’expropriation des habitations locales au nom de l’intérêt général.
Composé de gratte-ciel ultramodernes accueillant bureaux, business-hôtels, des centres commerciaux et des logements de haut standing, le projet affiche un budget total de 21 milliards d’euros. Avec un achèvement prévu en 2024, le Yongsan International Business District est considéré comme le plus grand projet de développement urbain de l’histoire du pays.
Sur la base du master plan signé par l’architecte-urbaniste américain Daniel Libeskind, l’aménageur en charge du projet, la société DreamHub, a officiellement présenté, le 2 mai 2012, dernier les esquisses définitives des vingt-trois gratte-ciel.
Renzo Piano, Dominique Perrault, MVRDV, BIG, Coop Himmelb(l)au, KPF, Adrian Smith, Murphy Jahn et autres starchitectes internationaux signent ainsi un quartier où le rôle des agences locales est limité à la maîtrise d’oeuvre d’exécution.
D’après un planning des plus serrés, l’ensemble des avant-projets définitifs des gratte-ciels devaient être rendus avant septembre 2012 pour un démarrage des travaux au premier semestre 2013 et des livraisons dès 2016.
Pourquoi une telle collection de signatures et de tours de luxe ? Selon l’ensemble des médias, politiques et entreprises concernés, l’enjeu est d’attirer des investissements étrangers, de redynamiser la zone autour de la gare, de créer une destination touristique internationale et, enfin, de promouvoir la Corée du Sud.
A chaque grande ville ses enjeux d’avenir : alors que Paris cherche à s’extraire de l’opposition Paris-Banlieue et de son fameux périphérique avec le Grand Paris, pour Séoul, il s’agit de reconquérir le territoire bordant le fleuve Han, aujourd’hui envahi par des artères routières, afin de transformer le fleuve en véritable axe de développement.
Les problématiques posées par le Yongsan International Business District le sont avec d’autant plus d’acuité que le projet s’implante au coeur de cette zone stratégique.
Chargé de la construction du quartier – y compris le financement, la maîtrise foncière, la sélection des maitres d’oeuvre et la commercialisation du projet -, l’aménageur Dreamhub est un consortium composé de promoteurs et de financiers.
Une fois de plus, le gouvernement coréen délègue l’aménagement du territoire à des acteurs privés. De fait, il favorise la construction de produits immobiliers réservés à une clientèle fortunée au détriment des habitants locaux condamnés à l’expropriation.
Par ailleurs, il est permis de douter de la vitalité sociale d’un quartier qui se présente sous la forme d’une forêt de gratte-ciel de luxe dénuée d’espaces publics digne de ce nom.
Un programme articulé autour d’espaces publics pour permettre aux habitants de bénéficier d’un lieu exceptionnel implanté au bord du fleuve Han n’a même pas été imaginé.
La population, condamnée à chercher un logement accessible de plus en plus loin de son lieu de travail, aurait préféré, sans nul doute, la conception d’un écoquartier, puisque c’est à la mode, complétant le tissu existant.
A l’initiative de financiers et d’entreprises, sous couvert de réaménagement urbain, des ‘îles’ de luxe, ces quartiers réservés à une population privilégiée, se multiplient au détriment des quartiers populaires, systématiquement détruits.
Entre tous, le Yongsan International Business District s’apprête à émerger au coeur même de la ville. Depuis Séoul et son urbanisme ‘hyper capitaliste’, la crise semble loin.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
Cette chronique est parue en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 5 septembre 2012