Le grand équipement muséographique s’est révélé ces dernières années être bien plus qu’une simple boîte architecturée pour le stockage et l’exposition d’œuvres en tous genres. Richard Scoffier, journaliste et critique d’architecture, en a fait l’objet d’une conférence tenue au Pavillon de l’Arsenal le 28 janvier 2017. A l’appui de ses théories, de nombreux exemples dont voici quelques morceaux choisis.
La nouvelle Neue Gallery de Berlin par Herzog et de Meuron – le Musée Symbole politique
«Le projet original était de Hans Scharoun (1893-1972) et s’affirmait comme une vitrine de l’avant-garde des activités artistiques de l’Ouest face à l’Est et en opposition à la nouvelle Galerie nationale de Mies Van der Rohe. Il y a ici l’idée du monument, proche de la pensée d’Etienne-Louis Boullée (1728 – 1799).
Finalement, ce qui importe dans la construction de Mies van der Rohe, c’est le rassemblement qui peut y avoir lieu. La collection y est anecdotique. Elle s’opposait au Kulturforum, espace ostentatoire placé face à l’Est. Depuis la chute du mur et la reconstruction de la ville et de la Postdamerplatz, un glissement a eu lieu. Les temples de la consommation ont remplacé les temples de la culture. Dans le nouveau projet d’Herzog et de Meuron, il y a aussi l’emprise du terrain qui est éminemment symbolique. La construction sous forme de halle rappellera les halles de marchés. Le parvis sera quant à lui cruciforme pour relier les grands équipements du site comme les musées plus classiques, la philharmonie».
Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCCOD) de Tours par Manuel et Francisco Aires Mateus
«Le CCCOD est en réalité la réhabilitation de l’école des arts de Tours. Ce bâtiment se situait quelque part entre le casino art-déco et la halle en béton préfabriqué. Il avait en réalité été construit dans les années 60’. Dans la partie réhabilitation, les frères portugais choisissent de casser la partie en béton et ne conservent que la boîte. Le parvis entre alors à l’intérieur. Ils conservent l’idée de la ‘blackbox’ nécessaire sur un tel programme, en la consolidant.
La boîte blanche nouvellement conçue se place comme un espace matriciel en lévitation, comme un bloc de pierre, de structure métallique invisible, qui ne repose sur rien. La découpe des fenêtres, qui s’effleurent à peine sur un coin, fait l’effet de la matière. C’est comme un rappel de l’église de Rochester, la tentation de l’infini. Cette construction au demeurant modeste porte chaque élément à son paroxysme».
Le Louvre, Abu Dhabi Atelier Jean Nouvel
«Cet ouvrage reprend l’image de la colonnade interminable de Boullée, avec le temple de la connaissance au centre. Les limites du Louvre sont presque immatérielles, le bâtiment peut s’étaler, il contient l’infinité. Le musée a aussi sa propre lumière. Il devient un ventre de dentelle, un bouclier qui distille et qui diffuse la lumière sur la collection mondiale. C’est un bâtiment continent, tous les pays sont mélangés. Il montre des mouvements internationaux, qui sont comme des énormes flux qui permettent l’auto-génération des êtres visiteurs.
Jean Nouvel propose un espace matriciel dans lequel le visiteur est comme en apesanteur, libéré de la chaleur étouffante du dehors. L’espace est en expansion ; il trouve son extériorité à l’intérieur de lui-même».
Musée national Estonien, 2016, DGT architectes
«Il y a un parallèle entre le développement du musée et l’essor des grands magasins et des galeries marchandes. Alors que le musée apprend à voir les objets, les grands magasins font des artefacts, des objets de consommation. Le musée permet de méditer sur les objets exposés dans un bâtiment qui parfois témoigne d’une analogie entre les deux espaces.
Au regard du musée national estonien, on pense au monument continu d’Archizoom. Les galeries sont très longues, elles sont à l’échelle du paysage, comme un monument continu».
Le Louvre Lens, SANAA
«Le musée est un incubateur qui offre de nouvelles manières de voir les choses. Il permet que chaque individu soit capable de porter son musée intérieur. SANAA se souvient d’André Malraux et du musée imaginaire ou d’Aby Warburg (1866 – 1929) qui rêvait de faire une histoire de l’art en image et sans mot. Un observateur de l’art est celui qui comprend l’agitation du mouvement.
La grande galerie du temps disparaît, elle devient immatérielle en se confondant avec le paysage. Surtout que le musée n’est pas construit sur l’horizontal du sol. Il s’insère dans la pente du terrain, il devient le paysage. La grande galerie à l’intérieur suit le sol, les murs ne sont pas droits, comme un espace en tension, aux aguets, qui mêle tous les sens. Le visiteur doit faire un effort pour aplanir les sens. Les architectes ont mis en place une pédagogie de l’espace pour l’amener à posséder la grille du temps».
Propos recueillis par Léa Muller