“De manière générale, nos travaux cherchent à rendre à l’architecture son pouvoir narratif. A chaque projet correspond un récit fondé sur la rencontre avec un lieu, un site, un territoire”*, expliquent Karine Herman et Jérôme Sigwalt. Plus pictural que sculptural, l’univers de K-Architectures est poétique, ésotérique et charnel. Portrait.
“J’ai dit à Jérôme ‘On mange des pâtes‘”.
Entre 2000 et 2004 Karine Herman et Jérôme Sigwalt (K_Architectures), venus de Montpellier, vivaient le ‘rêve parisien’, en “faisant de l’image” pour payer leurs concours “open” d’architecture ; l’occasion d’établir des “rapports privilégiés”, professionnels, pour certains durables et empreints d’affection avec des architectes tels Jacques Ferrier, Massimiliano Fuksas, Patrick Berger, Edouard François, Brunet Saunier… “Je n’est jamais douté sur notre capacité à monter une agence”, dit-elle. En 2004, elle est lauréate des NAJA ; seule puisque Jérôme, son aîné de sept ans, ne peux pas (plus) candidater. C’est l’occasion de nouvelles rencontres comme Rudy Ricciotti, Francis Soler, deux natures qu’elle affectionne particulièrement.
Ce basculement, en 2004, est spectaculaire à plusieurs titres.
Alors même que le couple se sépare, les liens des associés se renforcent. “Il est rarissime de travailler avec un associé qu’on a envie de voir tous les jours. Nous nous sommes redécouverts avec l’architecture, ce qui nous a permis de ne pas briser ce que l’on avait construit ensemble depuis longtemps”, dit l’autre. “Nous avons aujourd’hui des rapports de frangin/frangine”, disent-ils tous deux, hilares et complices.
Ensuite, et ceci expliquant peut-être cela, il y a concomitamment “renversement des rôles”. De fait, quand on mentionne K-Architectures, même si c’est un peu injuste, c’est souvent à Karine Herman que l’on pense, le K de Karine ajoutant à cette personnalisation exclusive de l’agence alors même que les deux K ne sont pas liés.
Jérôme ne s’en formalise pas plus que ça. Parce qu’il sait que sans lui, il n’y aurait pas d’histoire et que c’est avec lui qu’elle se poursuit. Karine sait ce qu’elle lui doit. “C’est en rencontrant Jérôme que j’ai découvert l’archi au bon sens du terme, c’est indéniable”, dit-elle.
Enfin, quitte à manger des pâtes, en 2004, K_Architectures commence à “faire de l’archi” en son nom propre, ce K fondateur qui ne doit rien à un prénom mais beaucoup à une vision poétique d’un lieu “hyper fort de la non architecture”. Au début, un groupe d’amis, à Sète, découvre une friche de la SNCF, un cimetière à wagon comme il en est des éléphants, de la rouille, des herbes sauvages, la “force d’une friche industrielle au cœur de la ville”.
“Il s’agissait typiquement d’un lieu ouvert à tout et à tous, appropriable, et pourtant respecté par personne. Un lieu de liberté et d’imaginaire, fort et magnifique”, se souviennent-ils. Sur un wagon, un K énigmatique. La photo de cet instantané de poésie ferroviaire est encore visible dans leur agence de la rue Oberkampf. “Toute l’histoire a commencé là”, disent-ils. Le K aurait pu être le nom d’un groupe de rock. Ce sera K-Architectures.
Ils s’appelaient Nicole et Jérôme, c’était le même K. Sauf que c’est Karine.
Il n’y a pas préméditation de sa part. “Avant de choisir un métier, c’est l’environnement social, à l’opposé du mien, que j’ai choisi. Je voulais naviguer dans un milieu créatif, rencontrer des personnages, des natures. Je voulais être indépendante et surtout ne jamais m’ennuyer”. Elle savait dessiner sans doute puisque ce talent ne s’invente pas.
Jérôme a lui quelques antécédents dont un grand-père architecte et un arrière grand-père qui “construisais des palais”. “A l’école, je griffonnais des bâtiments. ‘Tu devrais faire archi’ me dit-on. Je suis allé visiter l’école d’archi de Montpellier et je suis tombé sur des gars avec des bières, qui faisaient un barbecue. J’avais trouvé ma vocation”, dit-il.
Facétieux les compères ? Voire. “Parmi nos objectifs, nous voulons prendre un peu plus de temps”, dit-elle en janvier 2009. “J’ai dû lever le pied parce que je suis père depuis deux ans”, dit-il aussi. “Nous bossons le week-end. Il faut la gagner notre liberté mais nous bossons encore trop”, disent-ils.
En 2004, donc, l’agence entame une campagne de réponse massive aux appels d’offre publics en France. Après un an, “une centaine de réponses négatives et l’effondrement de ses finances”, K-Architectures est admise (début 2005) à concourir pour le Musée des Pêcheries à Fécamp et déménage rue Oberkampf pour un atelier de quatre mètres de hauteur sous plafond.
“J’étais prêt à refaire de l’image”, se souvient-il. Pour Karine, ce n’était pas, négociable. “Nous nous sommes dit : ‘Soit on galère pendant dix ans en faisant des salles de bains pour le Papy, soit on galère pendant dix ans mais en faisant de l’archi'”, disent-ils aujourd’hui alors qu’ils s’apprêtent, à 36 et 43 ans, à livrer leur premier bâtiment neuf (l’Ecole Intercommunale de Musique de Granville).
“Un gros emprunt bancaire” et six invitations à concourir suivront pour une médiathèque, un lycée, deux théâtres, un pôle de tennis, un petit conservatoire pour les enseignants de danse et de musique et l’aménagement de la Place des Armes de Valenciennes. Trois ont été gagnés : la restructuration du théâtre Pierre de Roubaix (livré récemment), un théâtre de 160 places pour le Théâtre National de la Colline (suspendu par la maîtrise d’ouvrage) et un Centre pour les enseignants de la danse et de la musique à Rouen (abandonné par la maîtrise d’ouvrage).
Entre 2006 et 2007, l’agence remporte six des 12 concours à laquelle elle est invitée. En 2007, l’agence K compte 14 personnes, sept projets à l’étude et conçoit trois nouveaux projets à l’occasion de nouvelles invitations à concourir. Pour le Carreau des Halles de Paris l’agence est associée à Stéphane Maupin et à Matthieu Poitevin. Ironie du sort, c’est contre Stéphane Maupin avec lequel elle est cette fois-ci en concurrence que l’agence K perd le Centre International du Graphisme. En 2008, K-Architectures, qui compte désormais une dizaine de personnes, est invitée 14 fois à concourir.
Karine et Jérôme portent comme un badge de courage de n’avoir jamais été salarié d’une agence et, de fait, une fois acquise l’indépendance ne se cède qu’à regrets. “Comme le Samouraï nous aimons cette forme de liberté”. Par là veulent-ils dire sans doute tout le respect qu’ils portent à quelques-uns de leurs aînés et leur volonté de répondre à leur propre code de valeur. “Dans notre métier, on ne fait pas tout ce qu’on veut mais on apprend tous les jours et l’objectif est d’être de plus en plus libre”, disent-ils.
“C’est un métier à trois temps“, explique Jérôme. “Le premier temps, tout est possible. Le second temps, quand on est invité à concourir, on apprend à ronger son frein et à prendre des coups (réglementation, budget, etc.). C’est violent”, dit-il. “La poésie en prend un coup“, souligne Karine. “Le 3ème temps est celui quand on peut se libérer des contraintes”, disent-ils.
Ils n’y sont pas encore et restent armés de “conviction” et “patience”. A juste titre tant les projets dont ils sont lauréats semblent être souvent remis en cause. Ainsi en est-il du tribunal de Foix, suspendu voire déprogrammé par le ministère de la justice. Comme d’ailleurs, soi dit en passant, ceux de Christian Hauvette à Chartres, de Jacques Ferrier à Rouen, de Anne Demians à Douai et de Francis Soler à Aix-en-Provence. La réforme de la carte judiciaire ne consolera personne.
Le concours du théâtre de St Nazaire, gagné face à Archidev, Architecture Studio, Nicolas Michelin et Rudy Ricciotti (après examen de près de 90 dossiers de candidature) n’est peut-être pas forcément un cadeau non plus puisque c’est le troisième concours en date sur le site. La fraîcheur conceptuelle du projet proposé suffira-t-elle à ce que ce projet ne soit pas annulé à son tour ?
Il semble en tout cas que K-Architectures ait le don d’attirer et, à l’occasion de gagner, des projets compliquées. “Karine Herman est une vraie architecte au sens où l’aspect artistique est un élément constitutif de l’architecture”, explique Francis Soler qui l’a découverte par hasard en 2000 (avec Alain Sarfati) alors qu’il était dans le jury du concours de la fondation BMW pour l’architecture, dont elle est lauréate. C’est d’ailleurs dans les concours d’idées réputés difficile (Europan, Cimbéton, le musée du Caire) que, au tout début, Karine Herman et Jérôme Sigwalt excellent.
“J’aimerais que l’on recommence les concours open pour retrouver cette grande liberté d’expression, explorer d’autres lieux, d’autres systèmes, d’autres climats, d’autres histoires et sortir du système franco-français castrateur, ubuesque et insupportable”, dit-elle. Patience et détermination sont nécessaires, encore, pour ces caractères qui se sont construits seuls – ils sont arrivés à Paris sans réseau et ceints de leur seul courage – et qui gardent en eux une part de liberté sauvage, ce que Karine appelle “la stratégie de l’inconfort”.
“La ville est curetée, les mômes ne peuvent plus jouer dans une flaque d’eau”, dit-elle. “Quand nous sommes arrivés à Paris, je détestais les parcs”. De fait, apprend-on à aimer les parcs de Paris en étant parisien mais rien qui ressemble en effet à un terrain d’aventure. “La petite ceinture, enclavée, difficilement appropriable, est un des derniers lieux sauvages dans Paris. Ces lieux disparaissent ou ne sont que trop pensés, la ville d’aujourd’hui ne prend pas en compte les bienfaits de ces endroits”, dit-elle tandis que Jérôme vilipende le “hold-up d’une dizaine d’agences qui font de la ville comme une moissonneuse-batteuse fait de la paille”.
La friche est constitutive de K-Architectures et, encore aujourd’hui, l’image la plus apte à décrire une agence dont la créativité s’exprime sur des terrains difficiles, soumis aux intempéries et aux aléas. Karine Herman et Jérôme Sigwalt n’ont pas encore, sur ce terreau, articulé une théorie ou un style mais tout est là, avec des projets improbables sans doute difficiles à comprendre pour un public non averti mais qui dénotent un vrai talent.
L’architecture de Karine Herman est aujourd’hui, comme elle-même, un mélange d’intelligence et de naïveté, extravertie et jubilatoire, portée par une énorme énergie, indépendante et autonome, fougueuse, têtue et fragile. Elle est “touchée par la grâce” (Soler) mais peut-être pas encore tout à fait armée et structurée pour s’imposer face aux ingénieurs et autres rois Ubu qui tiennent une partie des clefs de l’architecture en France. Ce n’est qu’une question de temps. Créé comme un groupe dès 1993, K-Architectures n’est encore qu’à l’aube de son histoire. Et Jérôme Sigwalt est à pied d’œuvre, vigilant et bardé de courage, qu’elle voit le midi.
Christophe Leray
* in “auto-interview octobre 2003”
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 26 février 2009.