Souvent, la rationalité fonctionnelle apparaît comme un obstacle à la création. Dans le cas du Scarabée de Roanne (42), signé Alain Sarfati, la fonctionnalité a été un point d’appui pour prolonger et développer un système de forme originale. Le bâtiment inaugure une démarche urbaine inattendue, à laquelle le nouveau maître d’ouvrage a dû se ranger. Découverte.
Laurence Bussière, directrice générale du Scarabée, parvient avec une facilité déconcertante à mettre dans une même phrase ‘Patricia Kaas’ et ‘la fête du Charollais’ et dans une autre ‘Charles Aznavour’ et ‘les marchés de noël’. Et avec un enthousiasme non feint qui plus est. Il faut dire que le bâtiment d’Alain Sarfati, inauguré en fin d’année 2008, a d’ores et déjà fait la preuve d’une qualité rare : sa polyvalence. Ceci expliquant cela. Pourtant l’architecte, dont le père était mécanicien, a le triomphe modeste : «nous n’avions pas l’argent pour faire une Ferrari, alors nous avons fait une SAAB,» dit-il. Dit autrement, un équipement dont le moteur ronronne déjà à la satisfaction des utilisateurs et usagers et qui ne tombe pas en panne.
Christian Avocat, Président (PS) de Grand Roanne Agglomération, maître d’ouvrage, se montre à son tour dithyrambique devant la presse réunie pour l’occasion. «Le Scarabée est un très bel équipement dont la fonction essentielle est de contribuer à l’attractivité du territoire roannais. Il prend place dans notre stratégie de développement à travers ses deux vocations : l’accueil de salons, congrès et manifestations à caractère économique et l’accueil de spectacles culturels. Imaginé pour ces deux fonctions, sa conception et sa réalisation répondent parfaitement à ces objectifs. La diversité des événements d’inauguration de décembre 2008 et des premiers rendez-vous programmés en 2009 a démontré cette plurifonctionnalité, à la grande satisfaction de tous ses utilisateurs, grand public et professionnels. Alain Sarfati nous a livré un équipement original, volontairement intrigant, qui attire et arrête le regard. Il a su composer entre la fonctionnalité et l’originalité pour marquer son espace et son temps,» dit-il. Beau compliment.
Sauf que Christian Avocat n’y est pour rien. C’est en effet Yves Nicolin (UMP), l’ancien maire de Roanne, qui a conduit le projet et déterminé les objectifs, avant d’être défait aux élections municipales de 2008. «Je suis l’homme de l’ancienne municipalité,» se marre d’ailleurs Alain Sarfati qui, de toute façon, «à [son] âge, ne fait que des bâtiments dans lesquels il y a du plaisir» et se montre reconnaissant qu’on lui ait laissé la liberté de faire ses plis – une obsession personnelle – malgré «beaucoup de scepticisme». «Plus l’idée du programme, de l’attention à l’usage, prend de l’importance et plus l’architecture semble contingente, dépendante, loin de l’idée d’autonomie, de liberté si habituellement associée à la création, à la beauté,» dit-il.
Reprenons. En 2004, date du concours, l’idée est de bâtir un «espace multifonctionnel à vocation économique, événementielle et culturelle», pouvant donc accueillir Patricia Kaas, ou Patrick Bruel qui lui succède, aussi bien que la fête du charollais, voire des manifestations sportives (lesquelles induisent leur propre régiment de normes, soi-dit en passant, notamment la hauteur sous plafond pour le volley-ball par exemple). Le site choisi, sur la bucolique commune de Riorges, répond à une problématique urbaine projetée dans le futur. «Les Romains construisaient d’abord le théâtre puis la ville venait autour,» résume Alain Sarfati. En clair, le Scarabée, en sus de ses fonctions propres, avait pour objectif le rôle «d’attracteur urbain,» à tel point d’ailleurs que l’acoustique du bâtiment est prévue de telle façon à protéger des nuisances sonores les habitants d’un nouveau quartier sensé sortir de terre.
Sauf que Roanne et l’agglomération perdent des habitants, la désindustrialisation étant passée par là. La raison pour laquelle Christian Avocat, alors dans l’opposition, s’il soutenait le projet en termes de symbole unificateur de l’agglo, s’opposait à sa localisation au milieu de nulle part (pour le dire vite, ce n’est tout de même pas le désert). Lui-même aurait préféré un équipement propre à densifier et revivifier le tissu urbain existant, ce à quoi ne parvient pas (ce n’est rien de l’écrire) le nouveau Multiplex construit en centre-ville à l’initiative de l’ancien maire. Deux conceptions urbaines totalement opposées sur lesquelles l’architecte n’a au final que peu de prise, se devant d’accepter peu ou prou celle prônée par le maître d’ouvrage.
Du coup il est significatif que Christian Avocat assume le bâtiment tel qu’il est et où il est aujourd’hui. Non parce qu’il pense différemment aujourd’hui qu’hier mais parce que le bâtiment a fait la preuve, dans le nouveau contexte, que sa présence n’est pas illégitime. «L’équipement est vécu comme un point de référence emblématique du territoire,» convient-il. «Nous voulions un projet qui rassemble,» ajoute Laurence Bussière. C’est le cas : durant les vacances de Pâques, le Scarabée devient un ‘LoisirsLand’, un lieu de jeu pour les enfants. Des navettes depuis la gare permettent d’ailleurs de s’y rendre aisément. Bref voilà Christian Avocat tenu d’imaginer le futur autour du Scarabée. Un projet à ce jour ? «Une esquisse,» dit-il, reconnaissant qu’il s’agit désormais d’un «espace d’attractivité».
Cela dit, il est un aspect auquel le bâtiment, malgré sa vraie polyvalence, ne répond pas. Roanne est très fière de son équipe professionnelle de basket – La Chorale de Roanne -, championne de France en 2007, qui ne dispose (toujours) pas d’une salle à la hauteur de ses ambitions. C’est sans doute la seule réserve des habitants quant à cet équipement par ailleurs largement plébiscité. Ironie de l’histoire, c’est Yves Nicolin, l’ancien maire, qui en a trouvé le nom. «Il a immédiatement aimé le projet ; ‘je vais l’appeler le Scarabée d’or’, dit-il,» raconte Alain Sarfati.
L’architecte avait pourtant abordé la conception du projet avec un pragmatisme assumé. Sachant qu’un salon professionnel est bénéficiaire au-delà de 100 stands, l’architecte est parti d’une surface d’exposition au sol de 150 stands de 6m². Puis il a construit autour, sans jamais perdre de vue la nécessaire polyvalence d’un équipement imaginé pour une ville de 36.000 habitants (70.000 dans l’agglo). Ainsi le hall d’entrée, vaste, est modulable, de grandes portes permettant de transformer des espaces de cette agora en salle VIP ou vestiaire ou restaurant, une cuisine étant dimensionnée pour servir jusqu’à 1.400 repas/jour. Sans compter deux salles multi-usages. Ainsi la capacité de la salle en configuration spectacle peut passer facilement de 1000 à 5500 spectateurs. «La salle est ainsi toujours pleine,» note avec satisfaction Laurence Bussière, qui parle d’un «outil performant». Elle devient aisément un champ de foire.
Alain Sarfati, qui rend grâce à «un programme très bien élaboré», a su quant à lui optimiser les contraintes. «Dans le cas de la salle de Roanne, la fonctionnalité a été un point d’appui pour prolonger et développer un système de forme originale,» explique-t-il. Sachant par exemple que le coût de montage/démontage est un critère déterminant du choix des salles par les artistes en tournée, il a conçu un bâtiment praticable tant au niveau de la grille, qui couvre toute la salle et pas seulement la scène, qu’au niveau de l’accès des camions ou des artistes venant des loges. Parlant de son expérience depuis l’inauguration, «tous les régisseurs disent ‘Bravo’,» insiste Laurence Bussière, visiblement sincère.
D’ailleurs, note-elle, les marchés de noël, dans un lieu pourtant excentré, ont accueilli près de 38.000 visiteurs, soit plus que la population de Roanne, preuve selon elle de l’attractivité de l’équipement. Laquelle doit aussi, apparemment, à une acoustique particulièrement réussie. A tel point que l’Orchestre des 100 violons tziganes de Budapest a réservé de nouvelles dates le soir même après sa première représentation au Scarabée. Dans un espace appelé à recevoir la ‘fête du Charollais’, la performance vaut d’être notée.
Alain Sarfati pouvait bien s’offrir le plaisir des plis de la peau du Scarabée, surtout quand le plaisir est partagé à ce point. «Cette salle plurifonctionnelle, le Scarabée, est la quintessence du paradoxe architectural. Posée en périphérie de la ville de Roanne, sans lien contextuel, elle doit par son organisation, permettre que se déroulent des expositions, des concerts, des manifestations sportives, des conventions, un marché, …tout ou presque. Il n’est pas prévu d’y habiter pour le moment, encore qu’à l’instar du théâtre de Marcellus à Rome, on pourrait imaginer un jour heureux ou une couronne de logements viendrait le compléter pour en faire un objet urbain,» dit-il.
Christian Avocat en a pris bonne note.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 8 avril 2009