Il existe aujourd’hui au moins une douzaine de plateformes d’intermédiation et de courtage dédiées à l’architecture, des services en ligne qui viennent bouleverser les habitudes de mise en relation entre professionnels et particuliers. D’où sortent ces plateformes ? Pour quel service et à quel prix ? Sont-elles déontologiquement correctes ?
Houzz, Monmaitrecarre, Bam (Because Architecture Matters), Archidvisor, Archionline, Rencontreunarchi … La transition numérique de l’économie a fait émerger de nouvelles formes entrepreneuriales, dont l’ambition de démocratiser le recours à l’architecte. Il y a du travail en effet puisque selon une enquête Ipsos (2011), 71% des particuliers pensent que «le travail de l’architecte est le plus souvent un passage obligé, qui est coûteux et dont on aimerait bien se passer».
«Seulement 4% des maisons individuelles sont confiées aux architectes, laissant la part belle aux constructeurs», souligne Victor Thoulouze, architecte et cofondateur en 2013, avec son père également architecte et un commercial, de la plateforme Archionline. «Notre mission est de permettre aux particuliers d’éviter les galères dans leur projet d’habitat parce qu’il y a trop de bêtises faites sur les travaux. Nous expliquons qu’un logement, c’est le projet d’une vie, qui demande de l’investissement en temps et en argent sans droit à l’erreur, au risque de la faillite personnelle», dit-il. Les particuliers disposent pourtant d’un Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI) afin de se protéger des constructeurs douteux.
Il est notable que la plupart de ces plateformes sont fondées par des architectes, lesquels se sont entourés de talents autres que ceux habituellement rencontrés dans les agences.
Bam a été créée en 2014 par Mathias Boutier et Boris Lefèvre, l’un issu de l’entreprenariat et de la finance, l’autre ayant suivi un cursus d’architecte. Archidvisor, site fondé en novembre 2016, est le projet d’Adrien Martin, architecte de formation, d’Aymeric Septvant, commercial et Aurélien Weiss, ingénieur. «Adrien s’est formé dans une agence parisienne, où il travaillait à la construction d’un EPHAD en Suisse. A côté de cela, il recevait beaucoup de sollicitations de la part de ses proches, sollicitations auxquelles il répondait qu’il n’était pas l’architecte adapté à leurs besoins. C’est ainsi qu’il a commencé à les mettre en relation avec des professionnels capables de répondre à leurs demandes, pour ensuite monter une plateforme afin d’en faire profiter le plus grand nombre», explique Aymeric Septvant.
Liker, matcher, c’est gagné !
Ces plateformes fonctionnent peu ou prou selon le même principe que les sites de rencontre. Le maître d’ouvrage, renommé «porteur de projet», rentre dans une première phase de séduction. Il surfe sur les dernières réalisations tendances au travers de blogs où affluent des publireportages tels que Les 10 plus belles maisons au pays des merveille». Faut-il vraiment titrer Pluie et camembert pour parler de maisons contemporaines en Normandie ? Alvar Aalto répondra-t-il au coup de téléphone de M. Dupont ?
S’il veut aller plus loin, le porteur de projet pourra consulter les références des architectes présents sur la plateforme, directement sur leur portfolio. L’enjeu pour l’architecte étant d’augmenter sa visibilité, il lui revient donc entretenir son profil, de le rendre actif, d’y ‘poster’ régulièrement pour améliorer son référencement parmi 300 agences pour Archionline, 1 200 pour Archidvisor, près de 7 000 pour Houzz.
Selon une enquête du CNOA datée de 2017, 88% des architectes considèrent qu’Internet est nécessaire à leur pratique. Pourtant 42% d’entre eux n’ont pas de site dédié. Pour ces derniers, les Meetic de l’architecture offrent donc des espaces numériques de communication.
Une fois séduit, le porteur de projet pourra formuler sa demande. A lui de lancer son appel d’offres par le biais d’un formulaire type à remplir en ligne. Le client bénéficie de chats, de forums et surtout de «conseillers personnels diplômés en architecture», qui vont vérifier la cohérence et la faisabilité du projet. L’opérateur envoie ensuite le projet aux architectes susceptibles de répondre. L’homme de l’art demeure indépendant et n’accepte uniquement les projets de sa ‘timeline’ sur lesquels il souhaite travailler. S’il souhaite candidater, il envoie à son tour une fiche d’agence et une offre d’honoraires et des éléments qui permettront ensuite au client de sélectionner les agences qu’il souhaite rencontrer avant de finaliser son choix. En l’occurrence, le ‘speed dating’ dure plus de trois minutes !
Parfois, les plateformes organisent un concours restreint, sur la base d’intentions architecturales fournies dans un cours délai d’environ deux semaines. Le client réceptionne, évalue et choisit le projet. «Les agences non sélectionnées sont rémunérées à hauteur (d’une modique somme) de 1 500€. Pour l’agence lauréate, sa rémunération sera comprise dans le budget total», précise Archidvisor.
Archidvisor indique enregistrer 150 demandes d’accompagnement par mois, Archionline indique réaliser par an de 500 à 700 projets dont les budgets varient de 100 000 et 500 000€. Aymeric Septvant cite l’exemple d’une maison sur le bassin d’Arcachon : «avec un budget de 100 000€, l’architecte a su optimiser le petit budget de la propriétaire, et même si, à budget égal, la maison est moins grande que celle d’un constructeur, elle est plus optimale», dit-il. Pas sûr que ce soit suffisant pour concurrencer le marché des constructeurs.
Rentabiliser son service
Collecte d’informations, mise en relation et accompagnement, sont les services que proposent ces plateformes. Avec quel modèle économique ? «Ce n’est là que la digitalisation d’un système de courtage qui est vieux comme le monde en architecture», s’amuse Benoit Gunslay, juriste à l’Ordre des architectes.
En effet, la plateforme se rémunère en tant qu’apporteur d’affaires directement auprès des agences, surtout celles de petites tailles qui ne peuvent développer ces services en interne. Archidvisor facture ainsi 7% des honoraires de l’architecte dès lors qu’il y a contrat. «7%, c’est un peu près ce que met une agence en budget annuel de communication», justifie Aymeric Septvant. Archionline, elle, prend des commissions sur les prestations ou les travaux : «nous fonctionnons au forfait plutôt qu’au pourcentage d’un prix que l’on ne connaît pas. Cela nous permet de proposer un prix fixe», explique pour sa part Victor Thoulouze. «Nous négocions avec les architectes de notre réseau dès le début car notre commission est un vrai partage de revenu : nous prenons en charge la gestion commerciale et administrative, perspectives si besoin», poursuit-il.
Plus à la marge, la communication autour de réseaux d’entreprises partenaires ou de matériauthèques assurent une part du rendement. Pour le porteur de projet, le service est gratuit.
Initialement, la naissance de ces plateformes, concomitante avec le phénomène d’ubérisation de la société, avait de quoi interroger les architectes, qu’il s’agisse de la très faible rémunération des concours, de la part prise directement sur les honoraires, des risques d’usurpation de titre ou d’outrage à la propriété intellectuelle.
Si les plateformes se portent toutes garantes d’architectes inscrits à l’Ordre, certaines, comme Archidvisor, impute à une faible proportion des agences proposées une bannière « Vérifié ». Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’elles ne sont pas toutes en règle ? «Considérées comme éditeurs pour la structure du site et comme hébergeurs pour les annonces diffusées, les plateformes bénéficient d’une exemption légale de responsabilité. Elles ne peuvent être mises en cause qu’à condition d’avoir délibérément mis en ligne un contenu illicite ou l’avoir maintenu après signalement», relève Benoit Gunslay, le juriste du CNOA.
Après une première réaction de défiance, l’Ordre des Architectes a fini par considérer que, «après tout (sic), cette alternative à la prospection commerciale peut amener de nouveaux marchés». L’Ordre a en conséquence lancée en 2015 sa propre plate-forme nationale.
L’instance est d’ailleurs en cours d’élaboration d’une «charte partenariale ouverte à toutes les plateformes, avec pour objectif de renforcer en amont le contrôle du titre d’architecte et le respect des règles déontologiques de la profession et de la propriété intellectuelle des architectes».
Bref, il y a apparemment un marché.
Amélie Luquain