Le 17 avril 2018, Chroniques d’architecture publiait un article intitulé ‘Ding dong, pour les architectes, c’est l’heure de la mobilisation‘. Dès l’introduction, nous relations l’information selon laquelle une journée d’action prévue le 17 mai était organisée par le CNOA. Cet article a fait un carton. Diantre ! En regard de l’émoi causé par le projet de loi ELAN, une mobilisation nationale, c’était bien le moins.
Depuis le début de l’année les appels à la mobilisation contre la loi ELAN se succédaient tandis que Chroniques d’architecture se faisait l’écho des débats en cours dès le 9 janvier avec un article dédié aux diverses propositions de la conférence consensus logement puis, le 6 février, avec un texte appelant à ce que le logement soit déclaré d’intérêt général.
Le 9 février, les organisations représentatives de la maîtrise d’œuvre et des artisans (Ordre des architectes, CAPEB, CINOV, SCOP BTP, SNSO et UNSFA) envoyaient un courrier au Premier ministre. Puis, le 13, un autre, signé des principales signatures de l’architecture française (Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, Dominique Perrault, et des dizaines d’autres), était adressé à Emmanuel Macron, président de la République.
Chroniques d’architecture a pris position au travers de ses articles et chroniques : voir notamment, daté du 13 mars, Les bailleurs sociaux bientôt dans le CAC 40 et, daté du 24 avril, Loi ELAN : vitesse et précipitation sont mère de tous les …
Alors en publiant l’article Ding dong, nous ne pensions que relayer les quelques initiatives concrètes dont nous avions connaissance à ce jour. Surprise ! En moins d’un mois, cet article est déjà le sixième article le plus lu depuis le PREMIER jour de Chroniques, soit depuis le 10 novembre 2015 ! Le 6ème article le plus lu parmi plus de 1 400 articles publiés durant la même période. ‘Ding dong’ a été partagé et commenté du nord au sud et d’est en ouest. Le modèle de lettre à écrire à son député a été téléchargé des centaines de fois.
C’était pour nous le signe évident que les architectes étaient chauds bouillants pour se mobiliser et défendre le droit à une architecture de qualité pour tous. De fait, ici même à la rédaction, nous avions pris des dispositions pour assister à cette grande mobilisation nationale afin d’en témoigner pour tous ceux qui n’auraient pas pu venir.
On allait voir ce qu’on allait voir, une mobilisation à la hauteur de l’inquiétude suscitée par la loi ELAN !
En lieu de quoi, à consulter le programme concocté par le CNOA pour sa «mobilisation nationale», c’est à pleurer de rire, voire à pleurer tout court, et nul ne s’étonnera plus que les architectes ne soient guère entendus. Un haut-parleur quelqu’un ?
Voyons.
Pour le conseil national, le gros morceau et l’apex de la journée est donc une «conférence de presse commune avec des associations de la société civile et des organisations professionnelles : APF France Handicap ; CNL ; DAL ; FNCAUE ; GIHP ; SNSO ; UNAM ; UNSFA …» Le moment clef étant que, «à cette occasion», le CNOA a prévu la diffusion d’un appel commun et la présentation d’une campagne de communication « Faisons du logement la grande cause permanente’’. Voilà qui va faire trembler dans les ministères ! Le New York Times se demande s’il doit envoyer quelqu’un.
Dans le reste du pays, c’est à l’avenant. En Auvergne-Rhône-Alpes, puisqu’on vous dit qu’elle est nationale la mobilisation, «Conférences/débats» dans trois Ecoles d’architecture de la région : de 16 à 18h à l’ENSA Lyon, de 18 à 20h aux ENSA de Clermont-Ferrand et Grenoble. Un « Appel de Lyon » est également lancé par 80 diplômés de l’école d’architecture de Lyon. Faut-il réveiller Gérard Collomb, maire de Lyon ? (Oups, il est ministre de l’Intérieur).
A Toulouse, «on se mobilise tous ensemble pour la qualité des logements sociaux», de 10h à 12h dans la salle 1 de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. Tremblez promoteurs !
Idem dans les autres régions : partout des conférences, des débats, des forums. Avec un mot-clef : EXPLIQUER. A Rennes par exemple, un café-débat à lieu à l’ENSA Bretagne pour informer les étudiants «des principales dispositions du projet de loi ELAN et répondre aux différentes questions», le tout de 13h30 à 14h00. Ca c’est de la mobilisation coco !
A Marseille, un «Cours public d’architecture» intitulé « C’est un bon plan » est destiné à «sensibiliser un public plus large à la construction de notre habitat». Ainsi, «Gilles Sensini, architecte, s’intéressera aux différentes typologies des logements des quarante dernières années, aux qualités de leur plan et de leur distribution». Quelqu’un a prévenu la police ?
En Ile-de-France, trois visites de presse, à Paris, Ivry et Gentilly. En guise de mobilisation, difficile de faire plus inoffensif !
Il y a évidemment, selon l’heure, un apéro ‘déjeunatoire’ ou dînatoire. Et un pique-nique de chantier à Bordeaux.
Toutes ces manifestations ont le mérite d’exister mais s’adressent d’évidence au public habituel et déjà convaincu et ont autant de chances d’imprimer auprès de l’opinion publique générale que la découverte de l’eau tiède.
Parmi toutes ces actions, toutes plus vigoureuses les unes que les autres, noter enfin, sur la toute dernière ligne de ce programme de cinq pages, la proposition de l’UNSFA qui invite à un sitting (sic) Place du Palais Royal à 17h30 le 16 mai. Selon nos informations, Gérard Colomb n’a pas prévu de réveiller les CRS mais alerté le SAMU en cas d’insolation.
Le formidable et surprenant engouement pour notre article Ding dong annonçant une journée de mobilisation semble pourtant indiquer que les architectes attendaient peut-être d’une mobilisation nationale qu’elle ait un peu plus d’impact que celui des sempiternelles conférences entre gens bien mis qui, bien calés dans les sièges moelleux de l’amphithéâtre, se rengorgent de leur militantisme.
Alors que tous les cassandres de la profession prévoient l’apocalypse, la réponse du CNOA est-elle à la hauteur de l’enjeu ? Les Cheminots, avec leurs syndicats puissants et pour une fois unifiés, après des jours et des jours de grève, n’ont rien obtenu. Les membres du CNOA croient-ils vraiment que c’est en tenant salon que les architectes auront une chance d’être entendus, par quiconque ?
Avec un peu d’humour, d’organisation et de détermination, il devait être pourtant possible de trouver moyen de rameuter la presse nationale. Un gigot-bitume devant l’assemblée nationale, histoire de bloquer le carrefour du quai d’Orsay et du pont de la Concorde pendant une petite heure ? Après avoir pris soin de prévenir la préfecture, il n’y avait là rien d’impossible !
Avec des pancartes un peu rigolotes – «Pourquoi les architectes sont en noir ? Parce qu’ils sont en deuil», «Ce n’est pas un ELAN c’est un caribou législatif», «Policiers, CRS, gendarmes, c’est nous qui construisons vos casernes», «le logement est une chose trop importante pour être laissé aux mains des promoteurs», «le conteneur pour les armateurs, le logement pour les gens», etc. Un joyeux charivari aurait été suffisant sans doute pour que les TV d’info en continu en fassent une brève au 20 heures, l’occasion en dix secondes pour les architectes d’alerter la population.
Parce que, sinon, vous croyez vraiment que BFM TV va envoyer une équipe pour relayer la campagne de communication du CNOA « Faisons du logement la grande cause permanente » ?
Les architectes se veulent créatifs, c’est justement ce pourquoi ils maintiennent que les concours sont importants. Tellement créatifs que quand l’un des fondements de leur métier est attaqué, ils répondent avec des café-débats. Bonjour l’imagination et la force de persuasion de leurs institutions ! Pourtant avec les réseaux sociaux, il y avait peut-être moyen d’une vraie mobilisation.
Tiens par exemple, le 11 mai, ils étaient 1 300 à défiler de Bastille à République dans la ‘Cannaparade’ pour défendre la dépénalisation du cannabis. L’info a fait le tour de tous les grands médias nationaux. Et ils n‘étaient que 1 300 ! Ainsi, les fumeurs de moquette sont capables de s’organiser brillamment mais le CNOA ne sait pas comment réunir 1 000 architectes pour prévenir de l’Armageddon qui s’annonce ?
Même le ‘sit-in’ de l’UNSFA – au moins il y avait de l’idée – n’était pas au bon endroit. En effet, ce n’est pas au ministère de la Culture que se négocie la loi ELAN car ce n’est pas la Culture qui a la tutelle sur le logement. Pour le gouvernement, le logement est une chose trop importante pour être laissée aux mains des architectes. C’est donc à Bercy qu’il faut aller s’asseoir et bloquer la voie sur berge, ne serait-ce qu’une heure, et avec un peu d’astuce, l’UNSFA était certaine le 17 mai de voir rappliquer les camionnettes de l’info en continu.
«Alors voilà nous sommes en direct. Des architectes tout en noir forment une chaîne humaine et bloquent la circulation devant Bercy, dans le XIIe arrondissement de Paris. Ils entendent ainsi défendre le droit à l’architecture pour tous. Incroyable, nous n’avons jamais vu ça, envoyez l’hélico». «Hello, the CNOA ? The New York Times here. What’s the story ?» Le Figaro : «Anne Hidalgo, grande fervente de l’architecture innovante, vue nulle part lors de la manifestation des architectes : le CNOA furieux !»
Ce sera pour une autre fois.
Au moins, pour une victoire concrète, le 7 mai, Le CNOA se félicitait que l’Union méditerranéenne des architectes (UMAR), qui comprend 13 pays des bords de la Méditerranée, ait apporté, à l’occasion de son assemblée générale, son soutien à l’unanimité au «combat» que mènent les architectes français dans le cadre de la loi ELAN. Combat ? Tout de suite les grands mots.
Toujours est-il qu’en appelant à la mobilisation nationale le 17 mai, le CNOA a aimanté toutes les idées et tous s’en sont remis à son initiative. Sauf que sans ni stratégie ni grand sens tactique sinon celui de l’improvisation, ce CNOA courageux mais pas téméraire, ne risquait guère, malgré les conférences, débats et forums en nombre (et encore), de faire passer ne serait-ce qu’un seul mauvais quart d’heure au gouvernement d’Edouard Philippe, ce dernier en fut-il informé !
Le but était-il de canaliser la contestation pour la dissoudre dans le miel et la guimauve ?
En tout cas, si les architectes veulent peser sur les débats en cours, il va leur falloir se trouver un autre chef que le CNOA.
Dommage, il y avait de la demande !
Christophe Leray