La rédaction de Chroniques reçoit son lot de courrier du cœur, souvent teinté d’amertume derrière l’engueulade. Au fil du temps, nous reconnaissons certains de nos correspondants récurrents à la couleur du fiel ou de la logorrhée. Ainsi cette « lanceuse d’alerte » qui ne veut surtout pas être nommée – c’est vrai quoi, qui connait le nom du loup blanc ? – et qui dit appartenir à un réseau, lui aussi tenu secret. Elle ne nous fait pas la leçon, elle nous informe !
N’empêche, à Chroniques, à travers des haines recuites, puisque nous ne sommes ni juges ni policiers, force est de constater, à nouveau, une inquiétude sourde : que fait l’Ordre des architectes (CNOA) ? Il y a ceux qui pensent qu’il n’en fait pas assez, ceux qui pensent qu’il en fait trop. Notre interlocutrice mystère pense que l’ordre se mêle de ce qui ne le regarde pas. À la limite de la légalité ?
Voyons.
Notre interlocutrice anonyme, appelons-la Geneviève, est inscrite à l’ordre des architectes d’Ile-de-France et indique être par ailleurs membre d’un Observatoire pédagogique de l’architecture. Pourquoi pas… Disons qu’elle n’est pas très copine avec Christine Leconte, l’actuelle présidente du CNOA.
L’ample dossier de presse envoyé par Geneviève – qu’elle ne veut surtout pas divulguer, sinon ce ne serait pas un dossier de presse – offre en préambule un long rappel des faits : « L’Ordre des Architectes est une organisation de droit privé placée sous la tutelle du ministère chargé de la culture composée des architectes et des détentrices et détenteurs de récépissé » dont la vocation est d’assurer « la régulation déontologique de la profession d’architecte », « la tenue de cet objectif et sa gestion administrative [étant] confiées à un Conseil national et de 17 Conseils régionaux ».
Rappel salutaire tant il est vrai que, pour ma part, je rencontre nombre d’architectes qui n’ont aucune idée du rôle de l’Ordre sinon qu’avec leurs cotisations, au bout de dix ans, ils auraient pu s’acheter une maison de 55m² sur une île grecque des Cyclades.
En ce cas, je les renvoie, selon leur « Charte d’engagements », à la « responsabilité d’architectes élues et élus qui s’engagent à exercer leurs missions ordinales [définies aux articles 23, 23-1, 25 et 26 de la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977] avec impartialité, objectivité, probité, loyauté et dans le respect de la confidentialité et du secret qu’imposent ces missions » et je les invite à « ne pas user de leur mandat pour en tirer indûment avantage dans leur exercice professionnel »*.
À cette fin, notre interlocutrice qui tient trop à entretenir le mystère, indique avoir, sur la foi de la loi sur l’architecture, identifié les 11 missions des Conseils de l’Ordre des Architectes, lesquelles sont réparties entre le Conseil National et les Conseils Régionaux de la façon suivante :
1 – Assurer la tenue du tableau régional des architectes : Régions.
2 – Veiller au respect, par tous [les architectes], des règles édictées par le code de déontologie des architectes : Régions.
3 – Examiner les demandes de vérification adressées par les services chargés de l’instruction des demandes d’autorisations délivrées au titre du code de l’urbanisme : Régions.
4 – Concourir à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics : Régions ; National.
5 – Agir en justice en vue notamment de la protection du titre d’architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par les lois et règlements : Régions ; National.
6 – Pouvoir concourir à l’organisation de la formation permanente [de ses membres] : Régions ; National.
7 – Pouvoir concourir à l’organisation de la promotion sociale [de la profession et des membres de l’Ordre des architectes indistinctement et dans leur ensemble] : Régions ; National.
8 – Pouvoir concourir au financement d’organismes intéressant la profession : Régions ; National.
9 – Coordonner l’action des conseils régionaux : National.
10 – Contribuer à l’information des conseils régionaux : National.
11 – Répondre aux pouvoirs publics qui consultent [le Conseil National] sur toutes les questions intéressant la profession, notamment l’organisation de l’enseignement de l’architecture.
C’est tout ? Mais pour notre architecte trop pudique, c’est déjà trop…
Voyons voir donc.
Sur son site, le CNOA, concernant son rôle, indique que :
– l’Ordre est un organisme de droit privé avec une mission de service public conférée par l’Etat au travers de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture. L’Ordre des architectes est une instance nationale, subdivisée en Conseils régionaux. ;
– les Conseils régionaux sont en charge à travers leurs représentants de la mise en œuvre des missions régaliennes du Conseil (le nombre d’architectes inscrits au Tableau en Île-de-France représente un tiers de ceux exerçant sur le territoire national). Leur mission est de régir l’exercice de la profession pour garantir le respect de l’intérêt public de l’architecture. Ils assurent au grand public et aux acteurs institutionnels une pratique respectueuse des lois mais aussi des règles de la profession (Code des devoirs professionnels) ;
– l’Ordre n’est ni un syndicat, ni une institution corporatiste : il est au service de la société. Son autre mission est de représenter la profession auprès des pouvoirs publics et des décideurs privés dans l’esprit de « l’intérêt du public » de l’architecture ;
– par sa neutralité et son objectivité, l’Ordre est un organisme de légitimation de la profession, de son image, de ses pratiques et de ses savoir-faire.
Notez, remarque Geneviève, qu’aucune des missions de représentativité des 18 Conseils de l’Ordre des Architectes n’est en direction du public, qu’il soit des particuliers, des associations, des sociétés commerciales, des établissements d’enseignement, ou d’autres « partenaires » sinon pour s’assurer que leurs ouvrages seront réalisés dans les règles de l’art. Dit autrement, « leurs interventions de lobbyisme et d’informations s’adressent aux pouvoirs publics, soit les élues et élus locaux et nationaux et les responsables d’administrations publiques ».
Et donc ?
À (re)lire les principales missions des Conseils de l’Ordre des Architectes, selon notre mystérieuse interlocutrice, et celles décrites par le CNOA lui-même, Geneviève est-elle fondée à penser que CNOA et CROA n’ont vocation :
– ni à diffuser « la culture architecturale » ;
– ni à être membre de conseil d’administration d’association (à l’exception des CAUE) ;
– ni à participer à l’élaboration, ni à élaborer eux-mêmes, ni à éditer des études, des conseils ou des guides sur un sujet en relation avec l’architecture ;
– ni à assurer la promotion commerciale d’une ou d’un ou plusieurs architectes ;
– ni à aller à la rencontre de l’ensemble des acteurs du territoire et des architectes afin de valoriser outils et solutions ;
– ni à organiser des ateliers dans chaque département de la région afin d’échanger avec « tous ceux engagés pour améliorer la qualité de vie des habitantes et habitants ou usagers locaux » ;
– ni à mener des échanges prospectifs et politiques […], notamment, au sein des établissements de l’enseignement de l’architecture ;
– ni à animer des ateliers, notamment, à la demande d’un ministère ;
– ni à conclure des partenariats avec qui que ce soit ;
– ni à dresser des listes d’architectes par spécialité (« pour orienter les personnes qui s’adressent à eux »).
Dit autrement, selon elle, l’Ordre professionnel ne dirige pas l’exercice de la profession. De fait, les Conseils ordinaux ne sont en charge :
– ni d’une régulation quantitative ou qualitative des architectes ;
– ni de la « promotion de l’intérêt public de l’architecture », sinon pour ce qui concerne les règles de l’art ;
– ni d’œuvrer en faveur de la qualité architecturale, environnementale et d’usage des logements.
Les membres des conseils d’administration des Conseils régionaux ordinaux n’auraient-ils donc, en tant que tels, aucune compétence particulière dans le domaine de l’architecture ? En ce cas, la présidente du CNOA peut-elle dans ce cadre exprimer un avis public concernant telle ou telle façon d’exercer le métier ou concernant tel ou tel matériau bon pour la nation ? Doit-elle s’exprimer tout court dans les gazettes et les radios, surtout les complaisantes ?
À l’Ouest la lanceuse d’alerte ?
Christophe Leray, avec une Geneviève bien remontée
PS : vous avez une opinion sur le fonctionnement de l’Ordre, son coût, sa courtoisie, ses courtisan(e)s, ses couleuvres ? Ecrivez-nous à contact@chroniques-architecture.com