Au regard de ses contemporains mieux en presse, Mario Botta estime qu’il est une étoile filante. N’y voyez nulle prétention, ‘Starchitecte’ en son bon droit, le natif du Tessin creuse son jardin et n’accède à l’espace qu’en sa qualité de bien commun à l’humanité toute entière. Modestie helvète sans doute. L’homme de l’art n’envie cependant rien à personne. Portrait.
«Jean Nouvel a demandé un gros budget pour dire ‘Bonjour’, Mario Botta a dit ‘Bonjour’», expliquait Silvio Denz, le fier propriétaire de Château Faugères en Saint-Emilion, lors de l’inauguration de son nouveau chai quand lui fut posée la question du choix de son architecte.
«Bonjour monsieur Botta !». Dans les ruelles de St Germain-des-Prés à Paris, en route vers la White Moon Gallery qui l’expose, l’architecte et son épouse, surpris d’être reconnus, sourient allègrement. «Bonjour», disent-ils.
En bas du coteau sur lequel s’élève le chai bordelais de Mario Botta, l’entrée du chemin menant au château est encadrée de deux colonnes renaissance. Quand l’architecte suisse est arrivé, ces colonnes étaient décaties. Mais il trouvait que, en sortant du château, de tels vestiges permettaient justement de faire dialoguer les époques.
«On a cherché une pierre de la région mais il n’y a plus de carrière. Alors nous avons utilisé une pierre d’Espagne, laquelle demande à vieillir», dit-il, parlant autant du château, du chai que des colonnes. Il dit ressentir la force du territoire et ces «éléments géométriques qui permettent de souligner l’aspect organique de la terre».
Il y a encore des carrières à Carrare (Italie). Le marbre y est de renom, les artisans hardis.
En sa maison, Mario Botta ‘bricole’. Du design, d’aucuns diront. D’ailleurs la chaise est trop petite et la lampe pas aussi pratique que ne le suggère la photo. Elégance et politesse sont cependant au rendez-vous pour les amateurs. Bref, Mario Botta a imaginé des vases. Un artisan de Carrare – était-ce une femme ? – sut, au détour d’une visite amicale, en apprécier l’immanence.
Plus tard, c’est à St Germain que seront exposés ces vases en marbre italien. «Bonjour monsieur Botta !». L’accueil fut chaleureux.
«Si je le pouvais, je ferais seulement des églises et, de temps en temps, des chais», dit-il, gourmand. Si le besoin d’esprit, aux deux sens du terme, est dans la nature de l’homme, Mario Botta est son architecte.
Ce qui n’empêche pas l’ambition – «construire un élément fini est ouvrir un chapitre sur l’infini», dit-il – et n’empêche pas non plus une forme de pragmatisme joyeux propre à rassurer les commanditaires de l’homme de l’art. «La géométrie n’est rien que le contrôle de la nature ; ce qui induit le contrôle du vin», dit celui qui n’aime rien tant que construire des lieux de culte. In vino veritas, in spiritus sancti ?
Qu’un propriétaire de la NAPA Valley, en Californie, lui passe commande !
Peut-être parce qu’il bricole justement, Mario Botta est généreux vis-à-vis de ses clients et usagers. «Si un bâtiment ne supporte pas le mauvais goût de l’ameublement, c’est de la faute de l’architecte», dit-il. «C’est la vie !».
Le constat ne l’empêche pas de dormir et sa tolérance tient en partie à la certitude que son bâtiment survivra à ses actuels propriétaires. «Les architectes trouvent des alibis, une maison n’est pas un musée». Et ce n’est pas parce que Mies van der Rohe ne voulait pas une fleur sur la table que Mario Botta va s’interdire de penser que «la vie est plus forte que les idées des architectes».
De fait, Mario Botta, homme des carrières, enracine son architecture comme un cep s’accroche à son terroir. Sur socle de pierre enterré, là où vieillissent les barriques, le chai s’élève pourtant et témoigne autant des transformations de la nature par la main de l’homme que de l’impact de la nature sur l’homme.
Si l’homme est léger, l’architecte considère en effet que son art doit s’inscrire dans une temporalité plus large que celle de la deadline des magazines. Lui-même a ses vanités mais il se refuse à énoncer des sottises : «si je veux faire quelque chose de léger, je fais un avion», dit-il. Les bâtiments de Mario Botta ne s’inscrivent pas dans un lieu, ils sont ce lieu.
«Il me semble que le vrai territoire sur lequel l’architecte travaille est celui de la mémoire», dit-il.
De son aveu, il crut longtemps œuvrer pour un maître d’ouvrage, une institution, tentant vaillamment de comprendre le projet d’un point de vue fonctionnel. Convaincu cependant que nul ne peut construire une église sans se poser la question de l’histoire et que nul ne peut construire une maison sans se poser la question de l’habitat, «nous ne sommes pas libres», conclut-il. Comme chacun, c’est a posteriori qu’il comprend ce qui le guide.
Mario Botta parle donc pour lui-même mais au nom de tous. «Quand je rentre à la maison, j’ai un besoin primordial de retrouver la paix, mes racines, ma culture et de gagner les énergies qui me permettront de faire face aux batailles du lendemain», dit-il. L’architecture comme une question d’identité. «L’architecture est un métier total, qui ne donne pas la paix». A moins que le bricolage, comme pour d’autres les roses… A la White Moon Gallery, Mario Botta, d’un trait alerte, a rempli ses vases de fleurs.
Mario Botta est élégant et diplomate. Il n’en demeure pas moins un architecte de combat, policé certes, mais de combat. «L’architecte doit interpréter les besoins et les valeurs de la société. Il lui appartient de trouver les anticorps pour résister à son nivellement ; je suis heureux d’être à St Germain-des-Prés et pas dans un supermarché de Houston». Sens critique donc. Quelques damnés maîtres d’ouvrage s’en souviennent.
Puisqu’il est question de commerce, les mots de ‘com’, ‘transparence’ et ‘lumière’ par exemple, n’y peuvent rien. Dans la cave aveugle de la White Moon Gallery, l’architecte s’étouffe avec son café serré. «Le verre n’est pas transparent mais opaque. Regardez une tour. On ne voit rien». Dans une abside par contre. Ou comment prendre de la hauteur sans rien sacrifier.
L’identité dont parle Mario Botta est certes celle de la ‘vieille Europe’ – n’est pas Suisse qui veut – mais quand il se réjouit, à juste titre, de ses œuvres «précises et anonymes», il sait qu’elles ne lui appartiennent que parce qu’elles appartiennent à tout le monde.
Pour un architecte, sans doute pêché d’orgueil.
«C’est la vie !».
Christophe Leray
Mario Botta, références biographiques officielles
Né le 1 avril 1943 à Mendrisio, Tessin.
Après un apprentissage à Lugano, il fréquente le lycée artistique de Milan et poursuit ses études à l‘Institut Universitaire d‘Architecture à Venise, où il obtient son diplôme en 1969 sous la direction de Carlo Scarpa et Giuseppe Mazzariol. Durant cette période il aura notamment l‘occasion de rencontrer Le Corbusier et Louis I. Kahn et de travailler avec eux.
Dès le début de son activité professionnelle en 1970, ses premières constructions annoncent l’intense recherche dont vont témoigner de nombreuses réalisations à travers le monde, en particulier les maisons familiales au Tessin, les musées, les églises. Il poursuit parallèlement sa réflexion didactique en animant conférences, séminaires et critiques dans différentes écoles d‘architecture d‘Europe, Asie, Amérique et Amérique Latine.
Il est nommé professeur invité auprès de l‘Ecole Polytechnique fédérale à Lausanne en 1976 et à la Yale School of Architecture à New Haven, USA, en 1987. Dès 1983 il est nommé Professeur titulaire des écoles polytechniques fédérales. De 1982 à 1987 il est membre de la Commission Fédérale suisse des Beaux-arts. Depuis 1996 il s’est engagé en tant que créateur et fondateur à la réalisation de la nouvelle Académie d’architecture de Mendrisio. En tant que professeur titulaire, il en était le directeur pendant les années académiques 2002–03 et 2011-2013.
Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions et de multiples reconnaissances internationales, parmi lesquelles le Merit Award for Excellence in Design par l’AIA pour le Musée d’art moderne à San Francisco, l’International Architecture Award pour le Chicago Athenaeum Museum of Architecture and Design pourla rénovation du Théâtre de La Scala de Milan pour, l’Église Santo Volto de Turin et pour le Centre Wellness Bergoase Arosa.
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 7 septembre 2011