L’agence nantaise SONA, fondée par Emmanuel Sorin et Pierre Navarra en 2014, a trouvé son propre chemin, une voie originale, vers le BIM. De cette recherche est née une réflexion de fond quant à l’influence, ou non, des usages numériques. Le BIM en quelques mots-clefs décryptés par un adepte, pas un apôtre.
Implémentation
Emmanuel Sorin – Le BIM permet de modéliser en amont, de relier les usages et les échelles. Nous sommes au tout début de la compréhension du numérique. Avant nous avions le savant qui savait tout, Léonard de Vinci, puis l’académique, Diderot, puis le spécialiste, Pasteur. Aujourd’hui nous avons la metadonnée pour laquelle il faut le bon mot-clef, c’est-à-dire qu’il faut impérativement théoriser le numérique sinon c’est le capitalisme et la schizophrénie qui rempliront le vide.
Ensuite seulement, nous pouvons passer de la théorie au concept puis au cahier des charges et obtenir enfin une projection utile au réseau du projet. BIM est un sigle qui sonne bien mais la théorie est plus intéressante, surtout que nous n’en sommes qu’au début de la société numérique.
Patrimoine
Le patrimoine représente un besoin historique. Il concerne les ouvrages les plus fragiles et les plus en danger du point de vue de la reconnaissance. Les architectes du patrimoine vivent un sacerdoce, ils disposent d’une grande culture, d’une grande exigence et d’une intégrité presque théâtrale. Pour eux nous aimerions faire du BIM à la manière des illustrateurs d’encyclopédie, de Violet-le-Duc (dont je possède l’intégrale) ou de Vauban. Pour mettre un ascenseur dans un escalier, il peut être intéressant de s’entourer d’un architecte qui maîtrise les outils numériques.
Les besoins de maintenance renvoient également au besoin de réévaluer et réinterroger un bâtiment. Pour un hôpital par exemple, le bâtiment reste le même mais il faut souvent changer des machines, or le BIM permet, comme pour intégrer un moteur dans un châssis de voiture, d’anticiper ce type de manipulation.
Conseil (comme agence conseil)
Le BIM est une notice de montage. Il permet de diagnostiquer le savoir-faire numérique d’une agence et d’étudier les points de convergence. Nous formons au BIM pour faire de l’architecture artisanale, pour s’inscrire dans une économie de la connaissance, pour poser des principes permettant de relier les échelles et les usages. Et pour extrapoler les endroits qui posent problème.
Nous proposons un protocole sur mesure en fonction du gabarit du projet et des besoins exprimés ce qui nous différencie des grosses boîtes spécialisées du secteur.
(gros) Business
Qui parle de BIM aujourd’hui ? Les trois Majors ! Les logiciels en location, c’est pire qu’avant et encore plus difficile de se désengager. C’est comme avec les banques, quand tu as pris un emprunt, c’est difficile d’en sortir. Quant aux dotations de l’Etat pour le développement du BIM, ceux qui les touchent ne sont pas ceux qui bossent. De fait, pour l’architecte, il devient difficile de travailler indépendamment face au ‘BIM Washing’, qui dispose des budgets de la CDC. Les grands patrons du BIM sont des directeurs financiers. Pourtant, sans qualité de la commande, le BIM c’est comme donner de la confiture aux cochons.
Le numérique n’est pas différent du monde réel. Prendre un objet sur une plate-forme BIM n’est pas autre chose que d’aller dans une allée commerçante et acheter tel ou tel produit pour son projet. Choisir un luminaire renvoie à l’auteur et ses choix. Ce n’est pas l’outil qui est en cause mais la capacité à créer ses propres objets.
Investissement
Compter en coûts directs : 3 000€ par poste REVIT plus autant pour la formation ; un logiciel si cher, il faut savoir s’en servir correctement.
Coûts indirects : toute l’agence doit être convaincue du bien-fondé de la démarche, y compris ceux qui ne s’en serviront pas forcément, car sinon le processus épuise et ne marche jamais. Les salariés qui sont embauchés pour ne faire que du BIM s’en vont. Le BIM doit être un signe de stabilité, de convergence au sein de l’équipe.
Et si l’architecte ne s’empare pas du sujet ?
Ce qui est en train de se structurer de façon massive en France est le recours à la sous-traitance à l’étranger. C’est un savoir-faire qui naît à peine mais qui risque déjà de partir. La réponse est pourtant locale, de personne à personne, avec des besoins parfaitement identifiés, pas mondiale avec une offre globale. Je ne veux pas demain être commercial dans une grosse société de gestion BIM et données du bâtiment.
BIM ou pas, il ne faut pas perdre de vue que l’architecte travaille pour le bien commun. A l’agence, nous essayons de gommer l’aspect BIM de notre démarche, nous préférons expliquer que nous sommes des acteurs de la transition numérique et que, dans ce cadre, nous souhaitons rester libres.
Propos recueillis par Christophe Leray
* Revit Architecture : Développement de projet et bonnes pratiques. Editions Eyrolles, Paris – coauteurs Pierre Navarra et Julie Guézo, octobre 2016