Participer en 2019 à la construction, en un an, d’une ville technologique dans le désert ? Pas besoin d’être ingénieur S-Environnement pour relever l’incongruité d’une telle idée. Pourtant, le 26 mars 2019, était dévoilé, sans rire ni ironie, le pavillon lauréat censé représenter avec fierté la France, et ses concepts de pointe, lors de l’exposition universelle qui se tiendra à Dubaï en 2020. Cocorico ? Ben non ! Concrètement, quand cessera-t-on de prendre citoyens et architectes pour des billes ?
Le thème de l’exposition qui se tiendra dès le 20 octobre 2020 à Dubaï, ville-pays aux citoyens oh combien écoresponsables, sera «Connecter les esprits, construire le futur». Il est vrai qu’en ces temps politiques, écologiques et technologiques troublés à travers le monde, une reconnexion ne peut être que salutaire. Quant à la construction du futur, nul n’en précise les modalités afin qu’il y en ait justement un, de futur… mais comme dirait l’autre, «après nous la fin du monde !»
Cela posé, il est temps de s’intéresser à l’ovni retenu, avec enthousiasme semble-t-il. Quel choc pour quiconque ne travaille pas chez Renault, Total ou l’Oréal ! Kèskecéssa ?
Les agences Celnikier & Grabli architectes et L’Atelier du Prado, au demeurant plus portées sur la conception d’équipements de santé que d’objet signal international, proposent un bâtiment lourd, aux écailles vertes que n’auraient pas reniées Berger & Anzuitti, auteurs de la Canopée à Paris.
Les mots sont les mêmes. «Le Pavillon France vient fusionner la matière et la lumière», a indiqué l’architecte Jean-Luc Perez, de L’Atelier du Prado. L’édifice est conçu comme un «baldaquin monumental» émergeant d’une «oasis de lumière». Voilà qui est dit, Dubaï y trouvera peut-être sa légitimité politique et construira le futur, mais la France évitera aussi soigneusement l’architecture de l’avenir. Au moins, de montrer que ses architectes y pensent souvent et proposent beaucoup.
Pas sûr cependant que les 25 millions de visiteurs privilégiés attendus (il y aura peu de Bédouins), venus en avions et jets privés, invités par le commissaire général du pavillon, Erik Linquier, aient réellement envie de s’y arrêter, surtout au vu de la concurrence.
Concernant l’architecture du Pavillon, chacun aura sans doute son point de vue devant les premières images, parce qu’après-tout, les goûts et les couleurs… enfin, ici les couleurs ! D’aucuns noteront cependant que les éléments de langage distillés façon, «on a découvert l’Amérique !» ne forment qu’une fanfare d’idées éculées, de clichés déjà vus et revus autour d’une architecture qui était déjà dépassée à l’aube des années 2000. Bref, pas de quoi crâner à la machine à café…
Évidemment, le bâtiment étant annoncé au ministère de la Transition écologique, il ne pouvait qu’être «le plus durable jamais conçu». Constitué de «matériaux durables», il est quasi autonome en énergie grâce aux tuiles et écailles photovoltaïques qui le recouvrent et est doté d’une «microstation d’épuration» pour recycler les eaux usées et alimenter le réseau d’arrosage et les chasses d’eau des sanitaires.
Il est enfin «démontable» et pourra être réutilisé à l’issue de l’événement. Tout comme celui de Peter Zumthor à Hanovre, ou encore celui d’XTU à Milan, autrement dessiné, mais qui attendent sagement d’être sortis des cartons pour un atelier Kapla. Ici, les architectes évoquent une piste à Tremblay, ville de banlieue à l’identité architecturale inexistante. Les Franciliens auront échappé de peu à EuropaCity (Gonesse n’est pas loin), ils gagneront sans doute avec autant d’ardeur la reconstruction du pavillon. Mais pour en faire quoi au juste ? Une station de lavage pour 4×4 hybrides Karcherisés à l’eau potable pendant une canicule ? Et pourquoi pas lors de l’expo universelle suivante, à Osaka en 2025 ? (Paris a renoncé, souvenez-vous… Dommage, le pavillon aurait été parfait)
L’architecture n’est d’évidence plus un enjeu, ni même l’une des premières des vitrines de la France. Les observateurs s’interrogeront néanmoins sur les agences retenues cette année. Relativement inconnues du grand public, sans envergure internationale notable, ni assez jeunes pour en faire un argument, pas assez vieille pour reluquer un Pritzker avant les 30 prochaines années… Il en faut peu pour imaginer que certains architectes maîtrisent l’art du lobbying aussi bien qu’Areva.
D’autant que les concepteurs du Pavillon France auront à subir la comparaison avec les pavillons signés BIG, Calatrava, Grimshaw architects ou encore Foster and Partners. GLA et Atelier du Pardo dans la cour des grands ! Cocorico !
Le maniement des symboles est un exercice casse-gueule. Au moins autant que celui de dessiner un pavillon. Car convoquer le cliché culcul-la-praline d’un Monet comme s’il avait été le dernier de nos artistes les plus talentueux, ou celui du siècle des lumières pris au premier degré, oubliant surtout que le XVIIIe siècle nous a laissé le Traité sur la tolérance de Voltaire et les bases de la démocratie. Nos nouveaux meilleurs amis, sortis des sables comme un mirage, sont en revanche réputés pour l’autoritarisme de la famille dirigeante, la censure politique et médiatique…
Certes les expositions universelles n’ont jamais eu de rôle politique ou polémique. Si elles sont dans leurs discours alors plus proches du festival de Cannes, il n’empêche qu’un peu de subtilité et de courage n’auraient pas nui ; à la vacuité intellectuelle et prospective de l’événement, il nous est offert une publicité pour un fabricant de tuiles !
Les expositions universelles, autrefois foires d’excellence et d’innovations techniques ne sont plus aujourd’hui qu’un grand supermarché géant, moins chic que RodeoDrive, plus riches que les Halles, plus perdues que l’Atoll.
Si l’envie de chanter la Marseillaise nous est un peu passée, c’est que personne n’est réellement dupe des enjeux qui se trameront là-bas. Pour ce pavillon France (comme le paquebot ?), 28 M€, dont 20 seront assumés par l’Etat, pour concevoir 800 m² d’exposition, ce n’est finalement pas très cher payé au regard des juteux contrats d’aviation, d’armement, de recherche qui y seront signés, tandis que nos architectes rameront toujours autant sur la scène internationale.
Encore incertaine sur le plan climatique, la ville de futur se finance au moins dès maintenant. Car aux multiples gros pollueurs de la planète avec qui le rendez-vous est pris, les enjeux environnementaux, martelés à fond comme le dernier morceau de musique à la mode dans une boîte de nuit de vacances, ne feront que de la figuration.
La déception est à l’échelle du site. A l’heure où bon nombre d’architectes, accompagnés d’un bon nombre de partenaires et d’entreprises, s’évertuent chaque jour à trouver des solutions pour opérer une transition écologique efficace, réelle, d’engagement, la France offre au monde une mascarade architecturale, environnementale et climatique.
Alice Delaleu