Sur l’Ile de la Cité à Paris, les pouvoirs en place ne savent plus ce qu’il faut faire à Notre-Dame et nul ne sait ce qu’il adviendra du Palais de Justice. Au moins, pour ce qui concerne l’Hôtel-Dieu, l’avenir est connu depuis le jeudi 16 mai 2019 et l’annonce par l’AP-HP que c’est le projet d’Anne Démians Architecte porté par Novaxia, avec Pierre-Antoine Gatier architecte en chef des Monuments nationaux, qui l’a emporté. Une œuvre de bienfaisance ?
Premier constat. Sur un site oh combien patrimonial, l’Ile de la Cité, «le cœur de Paris», – le monde entier pleure encore Notre-Dame à chaudes larmes, non ? -, dès l’annonce de la victoire du groupement lauréat, comme pour Notre-Dame d’ailleurs, ce sont les questions d’argent qui ont fait les titres des journaux. «L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a choisi le projet du développeur immobilier Novaxia pour rénover le site parisien, à deux pas de Notre-Dame», titrait Le Monde (17/05) dès le lendemain, et ce n’était pas pour ironiser. «Novaxia l’a emporté face à Bouygues, Eiffage, Emerige et Quartus», indique l’article.
En d’autre temps, nous aurions appris qu’Anne Démians l’avait emporté devant Wilmotte, Perrault, Azzi et Reichen&Robert.
Même Novaxia, dans son premier communiqué victorieux n’a pas cité les architectes – un oubli sans doute – et a distribué des images du concours copyrightées Novaxia – une étourderie évidemment.
Pour sa part, l’AP-HP, arbitre de cette bataille de titans, dans un souci de transparence sans doute, fait longuement le détail des comptes*.
De fait, depuis les Réinventer Paris d’Anne Hidalgo, maire de Paris pourtant bien représentée au jury de l’Hôtel-Dieu, chacun se fait désormais dans son coin son propre ‘réinventer’, réinventer l’Hôtel-Dieu en l’occurrence. En conséquence, tout comme Anne Hidalgo, la plupart des acteurs concernés pensent à parler pognon avant de parler architecture et projet. Ce qui en dit long sur l’ambition des uns et des autres, dont il n’est pas certain d’ailleurs qu’ils sachent vraiment ce qu’ils peuvent ou pourraient avoir ou non pour 15, 30 ou 75 M€.
De fait, il est permis de se demander si le communiqué de l’AP-HP n’aurait pas été aussi triomphant quel que soit le vainqueur puisque, au fil des trois tours de la compétition, les investisseurs, rusés, étaient tous parvenus à des offres financières remarquablement similaires.
Ce qui eut pour effet, les questions d’argent ainsi réglées, que ce sont tous les autres paramètres, dont pour le coup l’architecture, qui ont compté pour définir le vainqueur. L’architecture en France est pleine de ces paradoxes.
Autre effet manifeste de cet esprit ‘Réinventer’, il est désormais attendu que ce soient les architectes, ou plus exactement les groupements composés d’un investisseur et d’une ou plusieurs agences, qui fassent la programmation des lieux emblématiques de la capitale, et d’ailleurs. C’est un sacré changement de culture.
Auparavant, un programmiste un peu borné imposait ses desiderata aux hommes et femmes de l’art qui n’en pouvaient mais. Aujourd’hui, et il faut peut-être s’en féliciter, des architectes, voire pour certains d’entre eux désormais de plus en plus spécialisés, participent à la réflexion programmatique et, parce qu’ils sont architectes, celle-ci se révèle soudain un peu plus subtile. Avec des projets à la complexité accrue, les architectes apportent sans doute à la programmation une validité architecturale et économique nouvelle. Même s’ils peuvent se tromper ; la preuve, il n’y a qu’un lauréat.
Soit-dit en passant, le fait qu’investisseurs et architectes en soient à devoir faire la programmation eux-mêmes démontre à quel point la puissance publique, désargentée, ne contrôle plus grand-chose du développement de la ville. Tant que les rôles sont bien clairs…
En l’occurrence, le cœur du projet d’Anne Démians, consiste en un centre de recherches et d’innovation de 10 000 m² animé par «un incubateur prestigieux de biotechnologies et d’intelligence artificielle, en proximité immédiate des équipes médicales de l’AP-HP» dont se félicite l’hôpital.
Lié donc à l’histoire du lieu, le programme s’inscrit par ailleurs dans le futur puisqu’il participe avec cohérence au projet médical porté par l’AP-HP dans l’Hôtel-Dieu, lequel sera réorganisé, sur les 35 000m² qu’il conserve, en quatre pôles (un service d’accueil des urgences, un plateau de consultations spécialisées pluridisciplinaire, un important pôle de psychiatrie, un pôle de santé publique).
Une cinquantaine d’entreprises dans le domaine des biotechnologies de pointe sont d’ores et déjà attendues dans cet incubateur. Elles disposeront d’une salle polyvalente pouvant accueillir jusqu’à 1000 personnes et proposant une programmation scientifique et culturelle, d’une maison des associations de patients et d’un «accélérateur de design en santé».
La vocation médicale de l’Hôtel-Dieu est donc préservée et renforcée dans le projet d’Anne Demians, ce qui permettra sans doute à Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP et président du jury, de défendre le projet devant ses troupes sur des logiques de fond, qu’elles soient médicale, architecturale ou sociale.
Certes, pour le reste, le programme compte commerces et restaurants, un pôle dit «habitats solidaires» comprenant par exemple une résidence sociale étudiante, une maison du handicap et une crèche associative, autant de fonctions propres, avec l’incubateur, à générer des flux dans les nouveaux espaces accueillants conçus pour le public et les usagers.
Dit autrement, le projet n’est pas fait pour les touristes. D’ailleurs, l’hôpital retrouve ses entrées originelles et si les cours, désormais sous verrières, offrent de larges vues sur Notre-Dame, le projet n’est pas ouvert sur le parvis.
Chacun se fera son opinion évidemment mais, sur ce site sensible, ce projet articule la dimension patrimoniale du bâtiment avec une modernisation qui raconte de façon apaisante, et au-delà des considérations financières, une époque pourtant dédiée à la gesticulation et aux raccourcis commodes. Et encore, le jardin, qui met en relation le parvis de Notre-Dame, l’entrée principale de l’Hôtel-Dieu et la Chapelle de l’hôpital, à lui seul mériterait un article.
Même les verrières, contemporaines au possible**, si elles vont transformer des parkings existants et des espaces abimés par les usages en espaces vivants, ne sont qu’un nouveau chapitre d’une histoire plus ancienne et itérative. En effet, l’architecte Hector Horeau (1801 – 1872), contemporain d’Haussmann et de l’Hôtel-Dieu proposait déjà, pour sociabiliser et densifier plus encore l’îlot haussmannien, de le couvrir d’une verrière, un concept rendu populaire par la mode des marchés couverts.
«Je n’ai fait que retrouver le vide initial et renouer avec une modernité issue de cette période quand les architectes réfléchissaient à la destination publique des grands espaces, une question intrinsèque au bon fonctionnement d’une cité», explique Anne Démians. A fortiori au bon fonctionnement de La Cité ?
Entre Notre-Dame où il faudra vite faire quelque chose, le palais de Justice où il faudra bien faire quelque chose et l’Hôtel-Dieu où un projet va donc démarrer, l’Ile de la Cité sera bientôt couverte de grues.
Peut-être était-il temps qu’elle se réveille !
Christophe Leray
* Les chiffres donc (source AP-HP) :
300 : en M€, l’investissement total promis par Novaxia
144 : en M€, prix de cession (loyers) à Novaxia pour l’usage de 20 000m² des bâtiments de l’AP-HP.
100 : en M€, le budget du projet médical et hospitalier investi par l’AP-HP, fruit de cessions de bâtiments dont elle n’aura plus l’usage, sans recourir à l’emprunt, ni à des financements qui auraient pu bénéficier à d’autres hôpitaux.
80 : comme la durée, en années, du bail à construction de longue durée appelé à conclure par Novaxia. Il concerne environ un tiers de la surface totale du bâtiment. Le lauréat prend en charge l’ensemble des travaux liés au projet. Le PLU sera modifié par le Conseil de Paris pour permettre la réalisation du projet, au regard des objectifs d’intérêt général qu’il poursuit.
30 : en M€, le montant qui sera exclusivement consacré par l’AP-HP à l’amélioration des conditions de travail et l’amélioration des conditions de prise en charge des patients. Ce fonds fonctionnera sur projet et fera une large place à des projets proposés par les équipes soignantes. (De l’huile dans les rouages de la négociation sociale en vue de la réorganisation. Nde)
2 : en M€, le montant d’un appel à projets permettant «de faire avancer la santé environnementale dans une grande métropole urbaine soucieuse du bien-être de ses habitants». (Ce qui ne mange pas de pain et qui fera du grain à moudre pour au moins un labo. Nde.)
**Lire notre article Signé Hugh Dutton, à l’hôtel de la Marine, un bijou domine le dessin de la verrière