La Samaritaine nous parle d’un temps que les moins de 100 ans ne peuvent pas connaître. Au début du XXe siècle, la France est dynamique, innove et une formidable énergie permet aux entrepreneurs de construire des empires, ce dont témoigne la Samaritaine. Que reste-il aujourd’hui de cette énergie ? Le projet de réhabilitation des bâtiments historiques du Quai du Louvre à la rue de Rivoli est à cet égard tristement révélateur.
Fin novembre dernier, conférence de presse à La Samaritaine. Depuis dix ans* que cette affaire est engagée, le dernier recours enfin épuisé par le Conseil d’Etat le 1er juillet 2015, la polémique SANAA apparemment apaisée, du moins hors des radars de la presse, il était donc important pour La Samaritaine de LVMH de faire savoir que les travaux avaient enfin commencé et de faire le point des différents projets.
Le point des projets
Le premier intervenant était un architecte japonais de chez SANAA ne s’exprimant qu’en anglais, mal. On a bien compris son idée de ‘passage parisien’ de la rue de Rivoli à la Seine, avec les ‘new courtyards’. Pour la double-peau de verre, les explications semblaient plus floues, il est question de normes, environnementales notamment, et d’effet miroir, cette façade «réfléchissant les bâtiments haussmanniens qui lui font face». Bref, en anglais dans le texte, «a combination of heritage and contemporary attitude». Sauf qu’une fois qu’on a dit ça… Mais bon, parmi les dates clés du projet précisées dans le dossier de presse, il y a ‘2010 – Sanaa lauréat du Prizker Architecture Prize’ ce qui vaut quitus de cette façade peu convaincante sans doute.
L’archi de SRA (architecte d’opérations bureaux commerces) est lui revenu sur la logistique compliquée de ce chantier hors normes : un grand magasin (entre la rue de Rivoli et le Pont neuf), un hôtel palace «Cheval blanc», 96 logements sociaux, une crèche, des bureaux. Sans compter le fait de devoir loger des centaines de personnes durant la durée des travaux. «Un chantier acrobatique,» dit-il en évoquant la dépose d’ouvrages à «caractéristiques historiques», fresques et garde-corps entre autres.
La Maison Edouard François a récupéré la conception de l’hôtel. Edouard François en personne, s’il s’excuse de ne rien pouvoir dévoiler et de n’avoir pu sauver les planchers de verre, se félicite cependant de la «liberté relative [dont il dispose] dans le respect des éléments patrimoniaux». Il anticipe donc notamment sur le jeu des escaliers anciens et modernes et sur cette façade arrière, «un endroit incroyable», destinée à demeurer inachevée quand il en aura fini avec elle. Des jardins d’hiver apporteront l’intimité aux clients tout en préservant la vue sur Seine de ces chambres dont il conserve ainsi les grandes baies vitrées. Pourquoi pas.
François Brugel (Brugel Architectes Associés – architecte d’opération logements crèche) évoque lui un chantier dans le chantier, ses logements et sa crèche étant imbriqués au-dessus des zones de commerces. Lui aussi évoque l’enjeu des grands vitrages et semble avoir également retenu l’option jardin d’hiver. Ces logements sociaux devraient en effet avoir de l’allure ne serait-ce que par l’esprit du lieu.
Le point de ce qui fut
Enfin, la conférence se termine avec la présentation de Jean-François Lagneau, architecte du patrimoine. Il rappelle qu’en son temps, il y a un siècle déjà, l’immeuble Jourdain était déjà mal vu par les associations de préservation du patrimoine. Comme quoi, il n’y a pas que les bâtiments qui se muséifient à Paris ! Surtout, Jean-François Lagneau montre avec une infographie très pertinente comment s’est constituée La Samaritaine fondée en 1870 par Ernest Cognacq. Et là, surprise ! En trois courtes phases entre 1905 et 1928, les audacieux architectes Frantz Jourdain et Henri Sauvage ont construit et reconstruit ce temple de la consommation qui bientôt, au fil de rues qui disparaissent, relie la rue de Rivoli à la Seine.
En vingt ans, en cœur d’îlot un fatras architectural indescriptible prend corps de façon anarchique et quand l’art déco remplace l’art nouveau, on badigeonne sans état d’âme à l’huile austère les ornements kitch existants sans autre forme de procès. Durant les travaux, le magasin ne ferme jamais et nul ne se dit à l’époque qu’ils sont en train de construire des monuments historiques. Quel dynamisme ! Quelle inventivité pour de qui est des verrières et de l’industrialisation des structures acier ! Le savoir-faire français étonnait le monde.
Toujours est-il que lors de cette conférence, tous de rendre grâce aux qualités de ces bâtiments. Sans doute mais à l’époque, ces hommes de l’art n’avaient pas d’ordinateurs, pas de téléphones, pas de grosses machines, pas de laser et pourtant, en quelques années à peine, ils avaient construit et rénové selon des arts savants des îlots entiers en plein cœur de Paris. Aujourd’hui, il faut déjà dix ans avant que les travaux ne commencent et le magasin est fermé depuis ! Et, pour le coup, ce n’est même pas une question de budget ! Il est d’ailleurs intéressant de constater que LVMH, au début du projet, envisageait une livraison en 2015. Et il s’était sans doute donné de la marge. A l’étranger, d’aucuns ricanent désormais du savoir-faire français en la matière.
Au final, qu’apprend-on par exemple ? Que les architectes se félicitent d’avoir trouvé en Province des artisans ferronniers et menuisiers «qui travaillent encore comme on le faisait à l’époque», que des restaurateurs consciencieux, sur tous les éléments «à caractéristiques historiques», vont s’employer à faire disparaître le badigeon art déco pour retrouver les ornements étincelants d’origine de l’art nouveau. Pourquoi pas mais quel retour vers le passé ! Pourquoi n’adopterions-nous pas le même principe que les rénovateurs des années 20 pour au contraire ajouter une couche supplémentaire de contemporanéité, une couche qui parle de notre temps ? Non, Paris c’est Radio nostalgie.
Cela appelle in fine à la réflexion suivante : quels sont les futurs monuments historiques construits en ce moment ? Et si pour avoir des bâtiments historiques demain, il fallait ne pas avoir peur du fatras architectural, de la vitesse, des erreurs, de la créativité des architectes, de la reconstruction express de la ville sur la ville ? Plutôt que ce zonage en macro-lots systématiques sur des ZAC qui finissent par être toutes pareilles, peut-être pourrait-on parfois oublier un peu l’ordre trop bien ordonné. Il est vrai que le fatras, c’est tout ce que détestent les normes qui, comme leur nom l’indique, n’ont d’autre fonction et application que de normer les vecteurs, c’est-à-dire nous.
Quant à la façade de SANAA, rideau de douche ou œuvre géniale, de toute façon elle est là. L’histoire jugera. Peut-être finira-t-elle comme les fameux planchers de verre de la Samaritaine, ou non. Rendez-vous donc à la prochaine rénovation.
Christophe Leray
*Dix ans d’attente
2005 : Fermeture des magasins 2 et 4 pour des raisons de sécurité incendie
2006-2009 : Diagnostics patrimoniaux et Techniques
2009 : Consultations d’architectes – Herzog et de Meuron et Sanaa
2010 : Révision simplifiée du PLU approuvée par la Ville de Paris
2011 : Dépôt des permis de construire et enquête publique de novembre à juin 2012
Décembre 2012 : Obtention des permis de construire
Février 2013 : Recours contre les deux permis de construire
Avril 2014 : Le tribunal administratif valide le PC Seine mais annule le PC Rivoli
Janvier 2015 : La Cour administrative d’appel confirme l’annulation
Juin 2015 : Le Conseil d’Etat casse cet arrêt, le permis Rivoli devient définitif
Septembre 2015 : Début du chantier prévu pour une période de 36 mois