Pudique, pour ne pas parler de lui-même à la troisième personne, l’artiste-photographe Guillaume Martial s’en remet aux lois de l’hospitalité et à son personnage pour occuper les lieux. Comme un Willie McKay de burlesque mémoire, il interroge la place de l’homme dans l’espace confiné de l’architecture sans laquelle pourtant l’espace ne serait pas. Chronique-photos.
L’architecture est un terrain de jeux. Elle est une matière première à de nouvelles histoires photographiques. Les personnages de ces fictions rentrent dans le décor comme au théâtre. Acteurs du paysage ou observateurs, ils révèlent souvent un décalage sur nos espaces de vie. Comment l’homme s’adapte à ses constructions quelquefois dénuées de sens et loin du confort humain ? Mon personnage cherche en vain une solution, il crée sa propre logique comme un enfant qui explore un espace, en l’expérimentant physiquement. Ma démarche n’est pas performative, elle est visuelle. J’utilise le corps dans l’espace, comme un révélateur, il devient un outil de description du monde. Je définirais ma pratique comme un magicien ou un interprète d’espaces fabriqués par/pour les hommes.
En 2013, je réalise la série PARADE, dans le cadre de la mission France(s) Territoire Liquide, qui regroupera 43 photographes avec leurs propres écritures et sensibilités. Cette aventure, dans la lignée des grandes commandes institutionnelles comme l’avait pu être la DATAR dans les années 80, sera un véritable laboratoire sur la représentation du paysage en France, avec les nouveaux outils du digital et son vaste champ d’exploration. Elle sera pour moi l’occasion de faire naître et développer ma photographie basée sur l’espace, le corps et son comique visuel dans la tradition du cinéma burlesque.
A la suite de ce travail, j’entame une collaboration avec l’architecte Francis Soler qui m’envoie sur le centre de recherche R&D de EDF à Saclay, gros vaisseau labyrinthique. Mon personnage, perdu dans cet immense chantier, tente malgré lui de se rattraper à l’échelle pour ne pas perdre l’équilibre. Il tombe, se relève, se fige, comme pour pointer l’absurdité des situations dans lesquelles il se retrouve lui-même piégées.
Pratiquant une pratique sportive spatiale depuis l’enfance, j’ai ensuite rapidement croisé l’œuvre des cinéastes qui utilisaient leurs corps comme témoins de leur époque. Max Linder, Keaton, Tati, Etaix pour n’en citer que quelques-uns. Mon écriture marquée par ce cinéma viendra aussi évidemment flirter avec le cirque et l’art scénique qui sont très liés.
Comme au cinéma, mon personnage change de costume en fonction des lieux dans lesquels il s’inscrit, un athlète dans un gymnase, un ouvrier dans un chantier, un patient dans un hôpital, un agent dans son ministère ou un oiseau dans sa cage architecturale.
En 2017, mon personnage s’envole en Guyane française. Un drôle d’oiseau cherchera à se réapproprier son habitat naturel soumis à des transformations. Ici, le logement et l’habitat sont une réelle problématique environnementale et sociale dans un contexte de déforestation et de surpopulation. Le réel viendra orienter ma narration visuelle. Il est une source et devient une porte d’entrée vers l’imaginaire. D’ailleurs, mes images sont souvent intemporelles, elles sont toujours ouvertes et non une fin en soi. Elles tentent d’ouvrir des fenêtres sur les espaces que nous construisons pour l’homme. Ma démarche n’est pas directement politique, elle est poétique.
Je poursuis ma collaboration avec Soler sur le site des Bons Enfants du ministère de la Culture en 2018, démarche exemplaire pour un architecte dans la mesure où ses créations s’exposent à un nouveau point de vue et à de nouvelles interprétations.
Mon travail est également un jeu avec l’image et sa véracité toujours assignée. Le Modulor, série de neuf photographies, est un pied de nez amusé à l’unité de mesure architecturale inventée en 1945 par Le Corbusier. Selon l’architecte, elle devait permettre un confort maximal dans les relations entre l’homme et son espace vital… Interprétation totalement fictive de cette notion, les formes architecturales se mêlent au corps du personnage, se retrouvant coincé dans son jeu, nous rappelant combien l’espace et l’architecture peuvent parfois nous soumettre et nous contraindre dans nos libertés physiques et mentales.
Une chose est sûre: méfiez-vous des images !
«Ceci n’est pas une pipe». Merci Magritte.
Guillaume Martial
Son actualité :
-Commande du Ministère de la Culture – Projet Camus
-Exposition collective: Friche La Belle de Mai – festival Instants Vidéo – Marseille – Du 25 oct. au 1 déc. 2019
Découvrir son travail plus avant : www.guillaumemartial.fr