Le 18 octobre 2019, à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris, Franck Riester, ministre de la Culture, a prononcé, à l’occasion de l’ouverture des Journées nationales de l’architecture, un discours traitant des grands chantiers de son administration concernant l’architecture. Le texte intégral.
Madame la présidente, chère Marie-Christine Labourdette,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est chaque fois un plaisir de venir ici, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, dans ce lieu tout entier dédié à l’architecture. Lieu de débats, de connaissance, de documentation, de conservation, d’archivage, d’enseignement, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine est le navire amiral de la politique de valorisation de l’architecture auprès de tous les publics.
Ce lieu nous rappelle combien l’architecture transforme le monde. Elle conditionne nos interactions, nos mouvements, notre relation à l’espace et aux autres.
C’est une grande responsabilité.
Tant pour ceux qui la font naître, que pour ceux qui la font vivre.
Tant pour ceux dont elle est le métier, que pour l’ensemble de la société.
Tant pour les architectes, que pour nous toutes et tous.
Oui, il nous faut, collectivement, mieux regarder l’architecture.
Et pour mieux regarder l’architecture, il faut qu’elle soit mieux valorisée.
C’est l’un des objectifs des Journées nationales de l’architecture.
Je suis heureux de lancer leur quatrième édition aujourd’hui [vendredi 18 octobre].
Pendant trois jours, partout sur le territoire, nos concitoyens pourront se faire une idée de la réalité du métier d’architecte, par la visite des chantiers, des espaces urbains, des agences d’architecture.
Plus de 1200 événements sont prévus.
Je veux saluer les professionnels impliqués pour la réussite de cette nouvelle édition. Merci au conseil national et aux conseils régionaux de l’Ordre des architectes, aux conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, aux maisons de l’architecture, aux écoles nationales supérieures d’architecture, aux Villes et pays d’art et d’histoire.
Merci à notre nouveau partenaire : les éditions A Vivre. Toute la journée de demain, architectes et maîtres d’ouvrage ouvriront les portes des appartements et maisons qu’ils ont imaginés ensemble.
Merci encore à la Cité de l’architecture et du patrimoine, et à tous les porteurs d’initiatives, qui vont faire de ces Journées, j’en suis certain, un succès.
Merci enfin à l’Académie d’architecture, notre partenaire pour le prix du livre d’architecture pour enfants. Cette initiative, au même titre que l’opération « Levez les Yeux », s’inscrit dans une ambition de valorisation de l’architecture, d’éducation des regards, de sensibilisation.
Nous pouvons nous féliciter de l’engagement et de l’enthousiasme de ces nombreux partenaires.
Cet enthousiasme c’est aussi celui des auteurs du rapport « Valeurs de l’architecture ».
Un grand merci à vous, chère Marie-Christine, et à toutes celles et ceux qui y ont pris part à vos côtés.
Merci aux deux lauréats des Albums des jeunes architectes et paysagistes 2018 : Alicia Orsini, et Matthieu Barré.
Merci aux trois personnalités qualifiées : Christine Leconte, présidente du conseil régional de l’ordre des architectes de l’Ile de France, Simon Teyssou – président de l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand – et Guy Tapie – auteur de l’ouvrage récent consacré à la culture architecturale des Français.
Et merci aux trois grands Prix nationaux de l’architecture : Marc Barani, Frédéric Borel, et Jean-Marc Ibos. Je sais que vous vous êtes pleinement consacrés à cette mission.
Vous avez mené 80 auditions, à Paris et en régions et élargi votre réflexion aux propositions du Grand Débat.
Vous avez vu l’énergie et l’engagement des acteurs de terrain pour promouvoir l’architecture.
Vous avez également vu les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
A partir de cette expérience, vous m’avez remis un rapport de mission d’une grande richesse, en vue de créer les conditions d’une meilleure valorisation du métier d’architecte.
Merci pour ce rapport et ces propositions, qui correspondent pleinement aux priorités du ministère de la Culture : porter haut les valeurs culturelles, environnementales, économiques, sociales et territoriales de l’architecture.
Les propositions de votre rapport sont orientées autour de l’idée que l’architecte est un apporteur de solutions. Un apporteur de solution pour les citoyens, pour les collectivités, pour les maîtres d’ouvrage publics ou privés et plus généralement pour toutes les parties prenantes de la chaîne de la construction. L’architecte est au XXIe siècle plus que jamais un apporteur de solutions au service des grands défis de notre pays : la richesse de nos territoires et la transition écologique.
A partir de la diversité de vos propositions, je tiens à affirmer ce que seront les priorités essentielles de ma politique en faveur de l’architecture pour les prochaines années. Elles pourront guider notre action commune afin de les réaliser.
A cet effet, je vous propose de nous mobiliser ensemble autour de quatre grandes priorités :
– Pour développer une meilleure médiation de l’architecture en faveur du grand public ;
– Pour dynamiser la formation aux métiers de l’architecture et moderniser les conditions d’exercice des architectes ;
– Pour asseoir l’ancrage interministériel de l’architecture, sous l’impulsion du ministère de la Culture, afin de permettre notamment une plus grande efficacité de l’action de l’Etat sur les territoires ;
– Pour accompagner l’innovation architecturale au service de la transition écologique.
Notre premier grand chantier sera de continuer à populariser l’architecture par l’apprentissage du regard.
Le patrimoine architectural est une richesse inestimable, mais cette richesse n’est pas seulement celle des monuments anciens. Ce sont aussi nos lieux de travail, nos immeubles, nos écoles ; nos logements ; nos lieux de vie. L’architecture nous entoure à chaque instant. Comme le dit Paul Valéry, «nous ne pouvons [lui] échapper». Si ne nous pouvons lui échapper, encore faut-il apprendre à regarder. Bien souvent, il suffit de lever les yeux. « Levez les yeux », c’est justement le nom de l’initiative que nous avons lancée avec le Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse.
Le vendredi qui précède les Journées Européennes du Patrimoine et des Journées Nationales de l’Architecture sera entièrement réservé au jeune public. L’objectif ? Sensibiliser à l’architecture les 13 millions d’élèves, de la maternelle à la terminale. Car nous devons éduquer les regards, dès le plus jeune âge.
Pour les élèves de maternelle, apprendre à regarder l’architecture, c’est d’abord entrer en contact avec elle par son corps, par ses matériaux, en en faisant l’expérience. Cela prend aussi la forme de lotos des matériaux, d’imagiers de composantes architecturales, d’abécédaires de l’habitat… Pour les élèves de primaire, de collège et de lycée, des ouvrages ont été réalisés, entre mon ministère et celui de l’Education Nationale, pour leur donner une meilleure compréhension du cadre de vie.
J’irai, dans quelques minutes, avec les enfants, dans la galerie des moulages, où des ateliers de construction auront lieu toute la journée… Je veux remercier les enseignants et acteurs du patrimoine qui y prennent part. « Levez les yeux », c’est grâce à vous !
C’est un projet qui me tient tout particulièrement à cœur. Et notre volonté de renforcer la part de l’architecture dans l’éducation artistique et culturelle se déclinera dans la durée. Nous constituerons à cet effet une banque de ressources nationale liées à l’architecture pour les enseignants, avec tous les acteurs de l’architecture.
Mais l’apprentissage est une quête quotidienne, et concerne tous les âges. Dans cette perspective, je souhaite que le ministère de la Culture puisse mettre en place un portail national participatif, «France-Architecture», qui permettra de recueillir toutes les données relatives à l’architecture telle qu’elle se pratique aujourd’hui dans notre pays et de mieux faire connaître cette réalité, loin des clichés. Il devra permettre de «déconstruire les idées reçues» sur l’architecture et sur les architectes, si bien rappelées dans le rapport de la mission Valeurs de l’architecture.
Notre deuxième chantier visera une meilleure adaptation des formations et la modernisation des conditions d’exercice. Je suis conscient de l’importance cruciale de cette question pour l’avenir de la profession. Le ministère de la Culture est déjà engagé dans cette voie via ses écoles d’architecture et le suivi de l’exercice de la profession. Mais je souhaite m’appuyer sur le rapport qui m’a été remis pour renforcer cette dynamique à travers trois mesures.
D’abord, nous aurons constamment le souci d’améliorer l’employabilité des jeunes diplômés de nos écoles, tout au long de la vie, et aux différents niveaux de formation, au regard des évolutions de la profession. L’année 2020 verra la mise en place d’une mesure de premier plan : celle d’un schéma national de l’offre de formation, de la recherche et de l’expertise, qui mettra en valeur la réussite collective du réseau national des écoles nationales supérieures d’architecture.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement des 20 écoles nationales supérieures d’architecture, qui sont mobilisées pour la mise en œuvre de la réforme portée par le Ministère de la Culture, en lien étroit avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de l’Innovation. Dans ce contexte, le lancement cet automne de la 2ème série de labellisation «chaires partenariales de recherches» illustre notre volonté de renforcer les liens entre les formations, l’univers de la recherche et les acteurs économiques.
Je suis aussi attaché au lien entre patrimoine et architecture. C’est pourquoi je lancerai en juin 2020 les premières Assises nationales des écoles d’architecture, consacrées au lien entre architecture et patrimoine, en réponse à la demande grandissante d’interventions sur le bâti existant, avec l’appui de l’Ecole de Chaillot, chère Marie-Christine.
A ce titre toujours, je souhaite saluer la création à l’école nationale supérieure d’architecture de la Villette de la chaire la « Preuve par 7 », initiée cette année par l’architecte Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019, en partenariat avec la communauté d’universités et d’établissements Hesam.
En deuxième lieu, nous accompagnerons les organisations professionnelles dans les évolutions importantes que traverse le secteur actuellement.
J’en profite pour féliciter le lauréat de la 17ème Biennale d’architecture de Venise en 2020, qui porte sur le thème «Comment vivrons-nous ensemble ?». L’équipe dirigée par Christophe Hutin illustre des principes d’action qui s’inscrivent dans la tendance grandissante à valoriser l’expérimentation, à inclure les habitants dans la co-construction du projet, à privilégier une architecture de la frugalité.
Sans que ce modèle d’exercice soit unique, il est émergent.
Quelles que soient ses formes, l’architecture est aussi une activité économique, qu’il nous faut mieux connaître et soutenir au même titre que l’ensemble des autres filières professionnelles liées au ministère de la Culture. Nous devons en particulier renforcer la capacité du ministère à connaitre les réalités de la discipline et de la profession.
Pour ce faire, j’ai demandé aux services du ministère de réfléchir à la mise en place d’un observatoire de l’architecture qui collecterait l’ensemble des données qui s’y rapportent, notamment celles concernant la rémunération des architectes, l’évolution de l’insertion professionnelle des jeunes diplômés ou encore à l’accès à la commande architecturale.
Enfin, la promotion sur la scène européenne et internationale de l’architecture française constitue un axe important pour affirmer la souveraineté culturelle de notre pays. L’architecture est pour la France un vecteur de rayonnement économique et culturel. C’est l’un de nos secteurs d’excellence.
Nous mettons en oeuvre, avec le Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, une stratégie d’exportation et d’expertise internationale, à laquelle contribuent les différents acteurs : l’Afex, l’Institut Français, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, nos écoles d’architecture… Il s’agit notamment de mieux accompagner les architectes français à accéder à des marchés à l’export dans un univers très concurrentiel mais aussi à diffuser les savoir-faire de l’architecture française à l’international.
A l’échelle européenne, je suis également attaché à diffuser l’esprit et la singularité culturelle, géographique et historique de la culture d’un bâti de qualité, c’est pourquoi la France a rejoint les ministres de la culture signataires de la déclaration de Davos sur la culture du bâti.
Mais, si la réussite à l’international constitue un enjeu capital pour le métier, et une source de fierté pour la France, je crois aussi que l’architecture peut – et doit – jouer un rôle à l’échelon territorial. Notre troisième chantier sera de conforter l’approche interministérielle pour mieux asseoir l’architecture comme levier de cohésion et d’attractivité territoriales. Nous déclinerons, dans chaque DRAC, une stratégie territorialisée pour l’architecture en appui aux élus, aux professionnels, aux porteurs de projets et aux citoyens. Ainsi, nous valoriserons les territoires comme espaces privilégiés pour la création et pour l’ambition en matière d’architecture. Sa mise en oeuvre s’appuiera sur la mise en réseau et la contractualisation avec les nombreuses structures d’expertise et d’appui territorial compétentes.
Les opportunités, déjà nombreuses, seront enrichies par l’animation du réseau des territoires «amis de l’architecture», et grâce au soutien à des initiatives locales qui revalorisent l’architecture, comme «Action Coeur de ville».
Nous renforcerons la dimension interministérielle à l’appui de notre action sur les territoires.
Cette dimension interministérielle, qui figurait déjà dans la Stratégie Nationale pour l’Architecture de 2015, est riche en projets, que je prendrai l’initiative de consolider.
Dans cette optique, nous avons annoncé, avec la Ministre de la Transition écologique et solidaire ainsi que le Ministre chargé de la Ville et du Logement, le lancement d’un groupe de travail pour garantir la qualité d’usage et la qualité architecturale des logements sociaux.
Cette réflexion portera tant sur les modalités de la commande architecturale que sur l’exercice de la maîtrise d’ouvrage sociale et de la maitrise d’oeuvre. Elle devra aboutir à une charte des bonnes pratiques, en construction neuve comme en réhabilitation.
Sa présidence est confiée à Pierre-René Lemas. Ses propositions nous seront communiquées au printemps.
Enfin, l’architecture a un rôle de premier plan à jouer dans la réponse aux grands défis sociaux et sociétaux par sa capacité à faire partager un espace commun. Les projets participatifs locaux et le dialogue entre architectes et citoyens ont donc vocation à être développés. Je pense par exemple aux démarches locales de médiation architecturale, dans l’esprit des résidences et permanence d’architectes, ou encore des tiers lieux.
Notre quatrième chantier, et sans doute celui qui nous oblige le plus, est de faire de l’innovation architecturale un outil au service de la transition écologique. Pour atteindre cet objectif, l’architecture doit s’engager dans deux voies. Elle doit, d’une part, contribuer à la neutralité énergétique du bâti. Les architectes pourront dans ce domaine s’appuyer sur leur connaissance des matériaux et sur leur capacité à intégrer dans leurs projets de construction les technologies les plus modernes. Car les architectes de par leur formation et leur pratique professionnelle sont les mieux placés au sein des métiers de la construction pour mener à bien cette transition vers un bâti plus sobre et plus respectueux des grands enjeux environnementaux d’aujourd’hui et de demain.
Je félicite à ce titre l’excellence du projet lauréat français de la compétition internationale Solar-Décathlon Europe 2019 pour les étudiants : la maison écologique à énergie positive, conçue et construite par les étudiants de l’école nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille, des compagnons du Tour de France de Villeneuve d’Ascq.
Mais d’autre part, cette expertise des architectes ne doit pas seulement s’appliquer sur les constructions nouvelles. En effet, nous savons aujourd’hui que l’un des facteurs essentiels de la transition écologique est la lutte contre l’extension débridée de la construction. Il faut au contraire savoir réutiliser le bâti existant pour préserver les sols et l’environnement naturel. Ainsi le ministère de la Culture encourage les architectes à investir les centres urbains et à s’appuyer sur le bâti en place pour développer des formes innovantes d’habitat et d’espaces de vie.
Je sais d’ailleurs que les architectes conseils de l’Etat se réunissent en ce moment même à Strasbourg sur ces sujets d’actualité en soulignant «la nécessité de la ville, ressource» pour faire de la construction sur le bâti existant.
Toutes ces mesures, j’en suis convaincu, sont de nature à mieux valoriser l’architecture.
Mesdames, et Messieurs, tous ces chantiers et au-delà, les nombreuses propositions du rapport «Valeurs de l’architecture», doivent être concertés avec la profession. C’est pourquoi je souhaite que le ministère de la Culture puisse réunir autour de lui régulièrement les architectes dans toute la diversité de leurs pratiques et échanger avec eux sur les priorités de cette politique publique, à mes yeux, essentielle.
Mesdames et messieurs,
Il est devenu évident que nous devons changer nos modes de vie et changer la manière de penser le bâti.
C’est l’architecture qui nous y aidera.
Je l’ai déjà dit et je le répéterai : l’architecture nous aidera à relever les grands défis de notre temps.
Nous avons besoin d’elle.
Et nous avons besoin des architectes.
Nous avons besoin de vous pour requalifier l’existant.
Pour ériger des éco-quartiers, des villes intelligentes.
Pour apporter la nature en ville.
Mon engagement et celui du ministère de la Culture sera total pour vous accompagner dans la réalisation de ces objectifs essentiels.
Je vous souhaite de très bonnes journées de l’architecture !
Franck Riester
Ministre de la Culture
Cité de l’architecture et du patrimoine
18 octobre 2019