Pendant que Fleur Pellerin, ministre des architectes, se réjouit que les promoteurs privés aient signé la chartre ‘un bâtiment une œuvre’, tout est fait pour réduire la surface des logements. Le dernier décret en date en témoigne. Nul n’a entendu la ministre à ce sujet. Pourtant quand La chambre passe de 12m² à 10,90m², il est bien question d’architecture, non ? Décryptage.
Chacun sait que 80% des logements sont en France issus de la promotion privée. Or, depuis quelques années, la capacité des ménages à acheter un T3 de 65m² est de plus en plus réduite. Et, comme le dit l’adage, quand le bâtiment ne va pas, rien ne va. Il y avait donc urgence pour ce gouvernement à légiférer. La solution retenue consiste, à travers les normes et donc la loi, à faire passer la surface réelle des logements de 65m² à 58 ou 57m². A 10 000€ le m², faites le calcul, par appartement, par opération, par opérateur, à l’échelle du pays… Le tout y compris même là où il n’y a pas de grosse pression foncière, prétexte habituel pourtant. Joli cadeau aux promoteurs non ? On comprend dès lors qu’ils soient prêts à offrir des bricoles à Fleur Pellerin. Mais à quel prix ?
Ainsi est-il désormais possible de mettre les toilettes dans la salle de bains d’un T3. Cela n’a l’air de rien. C’était déjà le cas dans les studios et les T2, ce qui a du sens car occupation de l’espace permet en l’occurrence d’agrandir les espaces de vie. Mais dans un T3 ? Un T3, c’est un couple et deux enfants, quatre personnes. Avec les toilettes dans la salle de bains, bonjour l’attente le matin, et à nouveau le soir. Après les embouteillages, les files d’attente dans les services publics, la queue au supermarché, devoir encore attendre chez soi pour aller pisser. Combien au m² la qualité de vie ? Mais voilà toujours 2m² de gagnés !
Voyons la cuisine. Souvenez-vous, la cuisine de Le Corbusier faisait 4m², et c’était encore le cas dans les logements sociaux des années 70, mais seulement parce que ces logements avaient UNE SALLE A MANGER, en plus du salon et des chambres. Avec l’évolution de l’électroménager et ses six éléments requis, tous également normés, la taille de la cuisine est passée à 5,40m², la salle à manger ayant cependant le plus souvent déjà disparu. Puis la norme PMR a rendu obligatoire un rond de 1,50m devant les éléments et la cuisine a atteint la taille faramineuse de 7,56m². Ce qui, convenons-en n’est toujours quand même pas un palace. Or aujourd’hui l’obligation ne s’applique désormais que pour la prise en compte de cinq éléments seulement, ce qui met la cuisine à 6,3m². Et voilà 1,20m² de gagné. Bon, qui s’interroge quant à savoir quel élément doit sauter pour les nouveaux locataires qui, après la queue devant les chiottes, se pressent dans leur cuisine ? Le lave-vaisselle ? Le frigidaire ? L’évier ?
Autre exemple de norme qui avait bien besoin de changer. Auparavant, encore en 2015, il fallait deux portes entre la salle de vie et les toilettes. Il n’en faut désormais plus qu’une. A bientôt la salle de bains et les toilettes qui donnent directement sur le salon, ainsi les habitants de ce T3 pourront regarder la télé en faisant la queue devant leurs toilettes. Autant de m² gagnés.
Le logement public a toujours mis le curseur plus haut que les bâtiments de promoteurs pour ce qui concerne la qualité de vie à l’intérieur de ces logements. De fait, bien souvent, le logement social est tout simplement de meilleure qualité que le logement privé. Deux normes d’ailleurs en témoignaient. La norme NF logement pour les promoteurs, la certification Habitat et Environnement Profil A pour les bailleurs sociaux. Mais depuis septembre 2015, une seule norme NF Habitat régie tous les logements, lesquels seront dotés d’une norme HQE 1 ou 2** afin de permettre aux bailleurs de mettre en exergue la qualité sans dire que l’espace a encore été réduit. Bref, ici la norme est encore au détriment des habitants.
Il n’est pas question ici d’écrire que tous les promoteurs sont des constructeurs inconséquents mais il est à craindre qu’à choisir entre qualité de vie et rentabilité, le cœur de nombre d’entre eux ne balance. Offrir une possibilité est en l’occurrence avoir la certitude qu’elle sera mise en pratique.
Et que lit-on encore dans le décret* du 28 décembre dernier (l’arrêté date du 24 décembre, on ne peut guère être plus discret), dans l’alinéa intitulé ‘La composition de l’unité de vie des logements à plusieurs niveaux (un duplex en clair) situés dans un bâtiment d’habitation collectif ?’ «La composition de l’unité de vie des logements à plusieurs niveaux situés dans un bâtiment d’habitation collectifs est assouplie en cas de contraintes particulières liées aux caractéristiques de l’unité foncière ou aux règles d’urbanisme». Que viennent faire les règles d’urbanisme là-dedans ? Que l’on sache, les règles d’urbanisme n’ont jamais défini la constitution de l’intériorité d’un espace. Quelles sont donc ces contraintes non spécifiées qui font qu’il serait désormais impossible de suivre la réglementation ? On n’appliquerait donc plus le Code civil ?
Ce n’est pas le seul lézard : «Dans ces cas, l’espace du niveau d’accès au logement peut se limiter à la cuisine ou à la partie du séjour aménageable en cuisine, au séjour et à un cabinet d’aisance comportant un lavabo, à la condition qu’une réservation dans le gros œuvre permette l’installation ultérieure d’un appareil élévateur vertical pour desservir la chambre et la salle d’eau accessibles en étage». Cela a l’air compliqué écrit ainsi mais séjour aménageable en cuisine signifie simplement la possibilité de mettre la cuisine dans le séjour, ce qui se fait déjà dans le privé mais ne se faisait pas encore dans le public. Voilà, c’est fait ! Bref, voici venu le temps des logements sans aménités – avec l’évier sur le palier ? – mais avec une trémie pour mettre plus tard, éventuellement, un ascenseur.
D’ailleurs, dans le même décret, l’alinéa concernant les VEFA vaut également son pesant de cacahuètes. La vente en état futur d’achèvement est ce qui permet à un promoteur privé de construire pour un bailleur public. Sans même parler du fait que ces marchés se font sans appels d’offres… Voici ce que dit le décret. «Cette demande n’est possible que si les travaux projetés permettent au logement d’être visité par un usager en situation de handicap et que les travaux soient réversibles par des travaux simples. La notion de «visitabilité» implique qu’une personne quel que soit son handicap puisse entrer dans le logement, se rendre dans le séjour par un cheminement accessible, y circuler et en ressortir». Avant, tout logement accessible par un ascenseur se devait d’être aménagé PMR, c’était une obligation réglementaire. Là il ne s’agit plus que de faire rentrer la personne handicapée jusqu’au séjour et l’en faire sortir, même à reculons. Et si elle veut aller se laver les mains dans la cuisine, tant pis. Surtout, ce qu’autorise cette nouvelle réglementation est rien moins que la construction de logements non plus adaptés mais «adaptables». Nuance. Six ans après la loi PMR de 2009, nous sommes aujourd’hui encore moins avancés que nous ne l’étions avant. «Visitabilité» ? Voilà un concept que les correcteurs d’orthographe vont devoir adopter fissa.
Pourtant, au final, ce n’est pas tant le poids pesant de la réglementation qui est le problème, les architectes savent travailler avec ces contraintes, mais plutôt la sidération de ne pas savoir où va s’arrêter le lobbying des promoteurs qui, avec la bénédiction de ce gouvernement, s’organise à merveille pour gagner plus d’argent tout en s’adaptant à la solvabilité des pauvres.
Peut-être que le plus simple serait simplement de construire une seule pièce entre quatre murs aux dimensions uniques et l’appeler pièce de vie, le séjour donc, dans lequel il y aurait les toilettes, la salle de bains, la cuisine. Et le soir, comme le font déjà les Asiates, transformer l’espace de vie en chambre. Là ce serait carrément plus simple pour la promotion privée, des cubes de 32m², des contenants ou conteneurs en somme, empilés les uns sur les autres.
Enfin, selon la loi sur l’architecture adoptée par l’Assemblée nationale et en discussion au Sénat à partir du 9 février 2016, deviendra obligatoire «l’apposition du nom de l’architecte et de la date d’achèvement des travaux sur la façade du bâtiment qu’il ou elle a réalisé», une mesure saluée par la plupart des instances représentatives de la profession. L’ironie de l’histoire est donc que bientôt, ce sont les architectes qui devront signer dans l’enduit ces bâtiments de promoteurs. C’est à lui donc que penseront les locataires de ces nouveaux logements en faisant la queue.
Christophe Leray
*Publication le 28 décembre du décret et de l’arrêté du 24 décembre 2015 relatifs à l’accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d’habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leur construction. Ces textes s’inscrivent dans le cadre des ’50 mesures de simplification’ des normes de construction.