Le confinement nous aura au moins rappelé que l’espace public nous est indispensable et même vital pour notre individualité ; le « vrai » espace public, celui qui est fait d’espaces concrets, que nous parcourons physiquement.
La télévision, Internet, les réseaux, le téléphone, tout ce qui est virtuel et dont on nous expliquait voici peu que cela constituait notre « nouvel espace public », ne nous suffit pas. Même avec les liens d’accès gratuits à tous les programmes culturels ou de divertissement, enfermés entre quatre murs, nous attendons enfin l’heure de sortir de cage.
Mais sortir une heure par jour pour faire nos courses ne nous est pas suffisant et ne fait qu’accroître le manque de pouvoir déambuler librement dans l’espace de la ville. Nous avons besoin de retrouver la rue, la place, les squares et les jardins, pouvoir nous asseoir sur un banc, regarder les passants ou papoter avec son voisin, se donner rendez-vous au carrefour, « flâner sur les grands boulevards », emprunter un chemin du parc pour aller travailler, longer le port sur le quai, regarder les vagues éclater sur la digue, laisser courir les enfants sur la place ou jouer dans le square …
Retrouver les autres dans l’espace public nous est vital comme l’air que nous respirons. Comme lui, il peut être pollué par les mauvaises occupations de quelques-uns au détriment de tous les autres mais, comme nous ne pouvons-nous empêcher de respirer, nous ne pouvons-nous passer de l’espace public.
L’espace public est le lieu de la citoyenneté, il est le lieu de notre liberté de vivre ensemble. Les pouvoirs dictatoriaux le savent bien en interdisant les réunions dans l’espace public. Notre vie collective est faite de la liberté de nous rassembler ou pas, de nous regrouper pour une raison bien précise ou sous l’effet du hasard. Des manifestations aux concerts, si l’espace public est le lieu des grands rassemblements, il est également le lieu de notre solitude même au milieu de la foule.
L’espace public est le lieu des frottements avec les autres, qu’ils soient bénéfiques ou maléfiques, favorables ou défavorables, pour notre intimité d’être unique ils nous constituent. Chaudron des rencontres, il est le cadre de l’immédiat saisissement d’un regard tout autant que d’un amour languissant.
L’espace public est l’espace des déplacements, à pied ou motorisés, pour circuler d’un bâtiment à un autre ou tout simplement pour parcourir tout le vide de la ville, pour la posséder en la pratiquant. Il est l’espace du partage des flux, des échanges et des usages. Suspendus dans la contemplation de la ville qui bouge ou participant à cette frénésie, nous sommes l’espace public.
Le confinement réveillant en chacune et chacun de nous le besoin d’espaces publics, les politiques élus aux commandes des villes auront-ils le bon réflexe d’en confier les aménagements à des femmes et hommes de l’art, architectes et paysagistes, qui ont su depuis le XIXe siècle lui donner les formes pour que nous puissions en user comme nous en avons envie ? Se donneront-ils les moyens d’investir dans l’espace public au-delà de la simple et confortable fonctionnalité technique et au-delà des faciles interventions cosmétiques ? Sauront-ils évaluer et répondre à l’importance des enjeux sociaux, historiques et esthétiques des espaces publics de manière à aménager la ville pour répondre à notre soif d’être ensemble ?
Le confinement aura également eu le mérite de souligner que vivre ensemble dans un logement requiert des qualités minimales qui ne sont pas respectées aujourd’hui tant les surfaces ont diminué en 20 ans* et qu’il vaut mieux jouir d’un grand logement disposant d’espaces diversifiés et d’espaces extérieurs (large balcon ou loggia, terrasse, jardin) que d’être entassé dans un de ces innombrables logements aux surfaces et aux fenêtres réduites. Les promoteurs privés et publics, avec l’Etat et la Caisse des Dépôts et Consignation sauront-ils saisir le moment pour réviser, en conséquence, les modes de financements et les normes qualitatives du logement ?
Que restera-t-il demain de ce que le confinement aura mis en évidence ? La relance ne sera-t-elle que quantitative ?
Serge Renaudie
Architecte-urbaniste-paysagiste
* de -15 à -20%