Confinée, l’agence Valero Gadan & Ass. travaille en ce moment [en avril 2020] sur plusieurs dossiers : des collèges, un lycée pour la Région Île de France, un établissement pénitentiaire… Membre Titulaire de l’Académie d’Architecture, Bernard Valero relate son expérience, parfois énigmatique, «au-dessus de ses bureaux».
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Quand et comment l’agence s’est-elle préparée ?
Bernard Valero – J’ai, au mois de janvier, été malade. (Virus ou pas?) Je regardais alors la Chine, Wuhan et l’épidémie naissante. J’ai pris, à cette occasion, la décision de ne plus embrasser personne ni même de serrer la main de quiconque. Beaucoup y ont vu une attitude bravache….
Dix jours avant le confinement, pressentant l’évolution de la situation, j’ai demandé aux collaborateurs de l’agence – une trentaine – d’étudier la possibilité d’un repli chez soi. Nous avons alors préparé les serveurs et mis toutes les solutions en place ; j’attache beaucoup plus d’importance à l’humain.
Quelles solutions techniques avez-vous choisies ?
Techniquement, je n’y connais rien…. Quoique. Aussi, la semaine précédant le confinement, j’ai demandé à la structure qui gère l’informatique de notre agence de trouver les moyens permettant de travailler à distance. Les logiciels sont cependant trop puissants pour être installés sur les ordinateurs personnels de chacun. Il faut, de plus, un équipement spécifique pour développer des modèles Revit. Nous avons dès lors préféré installer des softwares permettant à tous d’accéder, depuis chez lui, à son poste de travail à l’agence.
Habitant à proximité de nos bureaux, je peux m’y rendre facilement. Je vois alors tous les écrans allumés. Tout bouge. Des fenêtres s’ouvrent et se ferment : c’est énigmatique ! Si un ordinateur bogue, je suis en mesure de le redémarrer sans problème.
Étiez-vous déjà habitué au travail à distance ?
Les grèves ont été un épisode un peu compliqué qui nous a demandé de nous adapter.
Pour certains collaborateurs la mise en place du télétravail était une évidence. Il paraissait naturel de leur éviter une perte de temps conséquentes dans des déplacements trop longs.
Et maintenant, comment vous organisez-vous ?
Nous avons créé un groupe Whatsapp avec tous les collaborateurs. Nous échangeons des nouvelles de chacun, des références… de la musique, du cinéma… D’une certaine façon, cela nous rapproche. Mais si whatsapp est là pour parler de soi, nous échangeons sur les projets par mails. Certes, nous trouvons des biais, des astuces qui peuvent être attrayants et fonctionnels, certes, je découvre des fonctionnalités sur mon smartphone… mais il serait bon que tout cela ne dure pas trop longtemps… Des projets sont purement et simplement arrêtés.
Pour une émulation collective, il faut, à mes yeux un contact physique. Le rapport humain est important. C’est pourquoi à l’agence je n’ai pas, et mon associé non plus, de bureau attitré. En fait nous sommes toujours dans la nasse ! Je suis toujours là à corriger ou à préciser un détail, à dessiner sur un bout de calque. Tout cela me manque terriblement.
L’agence a-t-elle vue sa structure changer ?
Chacun est parti avec ses tâches et son travail. Chaque chef de projet gère son projet. Nous n’avons fait aucune modification en ce sens. Par ailleurs, nous travaillons tous sur les mêmes modèles 3D afin d’être en permanence au même niveau d’information pour les projets qui tournent encore. Personne n’est ainsi isolé. Il n’y a que la relation au projet qui est finalement différente et le fait que le travail a la maison comporte un certain nombre de contrainte.
Travailler des concours à distance est-il possible ?
J’habite à proximité de l’agence comme je l’ai dit. J’imprime, je corrige, je scanne, je renvoie. Cela dit, nous sommes davantage en train de parfaire nos projets plus que de les développer. Tous nos plans sont en effet déjà très avancés. Ce sont des concours qui se déroulent sur dix ou douze mois et le gros du travail était déjà bien avancé.
Qu’en est-il de la phase chantier ?
Nous avons quatre chantiers en cours. J’ai écrit des courriers à chaque maîtrise d’ouvrage pour les arrêter. Comment maintenir des travaux avec un risque de contamination voire de décès ? Quant à la possibilité de faire un chantier avec du gel hydroalcoolique… Qui peut le croire ?
Dans ces circonstances, il y a des risques humains. Pour les entreprises ce sont des risques juridiques. Si un retard de livraison peut se juger au civil, un décès se jugera différemment. Enfin, je ne crois pas bon de réduire les ouvriers à un simple lumpenproletariat. Pour eux le télétravail n’existe pas. Déplacer une banche ou monter une baignoire n’a pas d’équivalent Excel.
Ce choix a-t-il des conséquences sur l’économie de l’agence ?
Cette décision coûtera ce qu’elle coûtera et cela nous coûtera. La mission de chantier n’est, toute proportion gardée, pas la plus importante d’un point de vue économique même si pour nous c’est la phase cruciale pour l’aboutissement du projet puisque nous suivons toutes nos opérations. La conception représente 60 % des honoraires et la phase chantier 40 %. On parle actuellement d une perte de rémunération sur quelques semaines…si cela reste ainsi et si les indemnités de l’État nous aident à passer cette épreuve.
L’agence continue-t-elle la prospection ?
Les interlocuteurs sont absents. Nous essayons un tant soit peu de continuer les candidatures à partir de ce qui est publié…Nous n’avons pas de visibilité à plus de quatre mois….
Trouvez-vous un aspect positif à la situation ?
Oui ! On se rend compte que le télétravail et les visioconférences fonctionnent. Le confinement nous évite de courir, de traverser Paris et sa banlieue. Trois heures de transport en commun pour une heure de réunion ! Depuis, tous ces échanges gagnent énormément en efficacité et sont tout autant qualitatifs. Puissions-nous développer ce type d’échanges par la suite.
Tirez-vous enfin un enseignement de tout cela ?
Un enseignement ? Mais ça marche ! Nous y arrivons. J’apprends aussi le refus de l’immédiateté alors que j’étais non-stop à répondre, ne voulant jamais faire attendre. Je renonce à cette course réclamant une réponse toujours plus rapide.
Le temps a pris, depuis plusieurs semaines, une valeur singulière. Quel était donc jusqu’à présent cet empressement inutile ?
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé en avril 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.