N’en déplaise aux aficionados, le bois et les matériaux biosourcés sont loin de représenter une quelconque solution aux défis environnementaux globaux. L’enjeu carbone auxquels les architectes se doivent de répondre vaut mieux que l’élitisme des « happy few » de l’écologie. Tribune.
Alors qu’il s’agit de transformer les obligations de moyens en obligations de résultats, le biosourcé est imposé de toutes parts comme solution à la décarbonation de la construction. Le bois est adapté dans certains cas mais son imposition fréquente risque d’avoir un effet inverse, inquiétant pour tous les architectes qui souhaitent s’atteler à l’enjeu carbone : créer un « élitisme » territorial et/ou professionnel, sans possibilité de diffuser les bonnes pratiques.
Les objectifs d’émission de gaz à effet de serre issus de la COP 21 sont clairs : l’effort doit être violent et rapide. Pour atteindre les objectifs du 2°C de réchauffement, il était question en 2015* d’une nécessité de diviser par quatre le niveau des émissions carbone de 1990, le fameux Facteur 4. La cible pour 2050 est aujourd’hui le facteur 6 de réduction (division par six des émissions carbone). Et toutes les industries nationales sont concernées.
Parmi elles, le secteur du bâtiment pèse pour 20 % des émissions nationales, 25 % si on y intègre leur consommation d’énergie. Ce distinguo entre construction et usage d’un bâtiment mérite quelques détails. Le graphique ci-dessous montre que la part majeure du bilan carbone de la construction réside dans la prescription de ses matériaux et équipements (PCE : produits de construction et équipements).
Ainsi, dans l’acte de construire, la vie du bâtiment pèse pour moins de 20 % de son bilan carbone ; la « manière de faire » y pèse pour plus de 80 % (dont la moitié pour le gros œuvre). Le résultat est sans appel : une réflexion de fond doit être menée sur la manière de construire.
De nombreux acteurs se sont emparés de ces réflexions. Parmi eux, les hérauts du bois et du biosourcé.
Dans la famille du biosourcé, mettons de côté la production animale puisque la laine de mouton comme isolant a la caractéristique singulière d’un bilan carbone 20 fois plus mauvais que celui de notre vieille laine de roche …
Le bois (et tout produit issu directement du milieu agricole) présente la particularité de stocker le carbone en son sein (la photosynthèse transforme le dioxyde de carbone de l’air en croissance végétale). Il est donc usuellement admis que son usage présente un bilan carbone quasi nul, voire négatif lorsqu’à l’utilisation d’un arbre succède une plantation équivalente (la suppression d’un arbre sans le replanter accroît de facto la concentration de CO² dans l’atmosphère).
A l’échelle macroscopique, toute construction biosourcée contribue à transformer le carbone de l’atmosphère pour le figer sous forme de ville. Incontestablement intéressant.
Ce serait indubitablement pertinent si ce stockage pouvait être considéré comme définitif. Ce qui n’est pas le cas. Dans les ouvrages de construction, seule la structure primaire en bois semble pouvoir passer les âges, nonobstant les incendies, les fuites graves …
Cependant, ce qui interroge le plus dans l’usage généralisé du bois est la réalité de la ressource, sans même parler de la filière industrielle et artisanale.
Quelques chiffres : la production annuelle de bois destinée à la construction (structure et aménagements) est d’environ 5 millions de m3**. Cette production, accompagnée d’une importation croissante, permet de couvrir la réalisation d’environ 5 millions de m² de constructions dites en bois*** (les constructions mixtes sont intégrées à ce chiffre).
L’industrie immobilière (tous domaines confondus) produit plus de 40 millions de m² par an****.
Le taux d’usage du bois avoisine donc les 10% en France. Un triplement de ce taux d’usage sur 20 ans, très ambitieux, permettrait de réduire au mieux l’empreinte carbone de la construction en France de 10% (20 points de part de marché en plus x 50%, la part du gros œuvre). Nous sommes bien loin du facteur 6.
Qui plus est, la ressource est limitée. La surface de forêt sur le territoire français occupe déjà 30 % du territoire (50 % sont des zones agricoles cultivées et le reste des zones urbaines ou périurbaines). Toute surface de forêt exploitée supplémentaire conduit inéluctablement à une diminution :
– des surfaces agricoles ;
– des surfaces d’espaces boisés non exploités à haut niveau de biodiversité ;
– des surfaces déjà urbanisées.
Ce d’autant plus que la filière bois est destinée à également se développer rapidement dans son usage « énergie ».
Il va donc falloir faire des choix : arrêter de manger, supprimer des villes ou tirer un trait définitif sur la biodiversité, ou les trois à la fois.
Enfin, le rapport de la Cour des comptes d’avril 2020 épingle une incapacité chronique de la filière à se structurer efficacement. Les chiffres de production et de coupe le traduisent : malgré une augmentation assez soutenue de la demande, la production française reste totalement stagnante depuis 2011, voire en légère décroissance.
Le bois est donc une solution très intéressante du point de vue environnemental mais semble, sans importation massive, condamné à un usage assez marginal dans la construction. On pourrait aussi rêver d’un usage raisonné du bois : le mettre là où il se comporte parfaitement, là où on a besoin de sa légèreté. L’utiliser comme moyen de transformer ou étendre l’existant.
La construction biosourcée ne sera donc « certainement » pas la solution unique pour répondre aux engagements de la France et plus généralement à l’urgence climatique.
L’industrie de la construction doit réinterroger en profondeur ses émissions carbone dans toutes ses facettes. Tous les secteurs doivent être en mesure de réformer leur chaîne de production et de mise en œuvre pour minimiser l’impact carbone des ouvrages (équipements techniques, béton, acier, …). Il y a urgence à innover en la matière ; c’est-à-dire rechercher, expérimenter et déployer.
A ce titre, d’intéressants progrès ont été réalisés ces dernières années dans les bétons sans ‘clinckage’ (poids carbone divisé par cinq) mais leur usage reste marginal. Les filières de l’acier de l’aluminium et des matériaux de second-œuvre tentent de développer leurs filières de recyclage. Des acteurs du réemploi comme Cycle-Up s’attèlent à généraliser le réflexe de ré-usage de matériaux de construction. Mais les efforts de ces industries doivent être d’urgence valorisés au même titre que ceux vantés par les parangons du biosourcé.
Les acteurs publics – Etat, collectivités engagées ou aménageurs nationaux – ont vis-à-vis de ces questions un rôle fondamental. Depuis toujours, ces acteurs ont stimulé l’innovation, produit des morceaux de ville prototypaux, inspiré toute la chaîne de la construction par leurs impulsions. La production architecturale que ces acteurs pilotes sert de modèle à toute la chaîne professionnelle. Le « permis de faire » introduit par la loi LCAP en 2016, réservé aux OIN, montre bien que la puissance publique est le promoteur privilégié de l’innovation.
Si ces acteurs majeurs se contentent d’imposer le bois comme matériau unique de l’architecture (obligation de moyen plutôt que de résultat), aucune des autres filières ne trouvera le nécessaire terrain d’expérimentation au déploiement de leurs innovations. Si le béton, l’acier, la brique… sont relégués au statut de « tricard » de l’architecture, qui se targuera d’exploiter ces filières différemment ?
L’exemple ne vaut que s’il est reproductible. L’enjeu du bilan carbone vaut mieux qu’un élitisme de la construction qui limitera son impact à des zones marginales pour les « happy few » de l’écologie.
Francis Soler
* MIES – Mission Interministérielle de l’Effet de Serre
**VEM https://vem-fb.fr/index.php/chiffres-cles/filieres-d-usage et ministère de l’agriculture
*** Enquête nationale de la Construction Bois, juin 2019
*** INSEE https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277877?sommaire=4318291