Le talent comique de la France telle qu’elle est administrée en 2020 est injustement méconnu. Prenons Notre-Dame par exemple, que le monde entier nous envie. Un communiqué de presse du général d’armée Jean-Louis Georgelin, en charge de la restauration du monument, démontre pourtant toute l’étendue du savoir-faire du pays en matière burlesque.
Chacun sait que le chantier de la restauration de Notre-Dame, a été confié à « l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ». Rien que l’intitulé fait peur. Les Américains l’auraient baptisé ‘Notre-Dame Project’ et cela aurait été lisible et compréhensible par le monde entier donateur. En revanche, « l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris », si vous n’êtes pas francophones, vous ne mettez pas la main au porte-monnaie…
Surtout que les travaux avancent. La preuve, « l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame etc. » annonce le 12 octobre 2020 dans un communiqué avoir lancé un appel à compétences pour la restauration de la cathédrale. Cet appel à compétences est ainsi titré : « Artisans indépendants, maîtres d’art, entreprises… : faites-vous connaître avant le 1er novembre 2020 ».
Fichtre ! Nous sommes le 12 octobre ! Pour un tel projet, rien moins que Notre-Dame, vous avez à peine deux semaines les gars et les filles pour vous décider et remplir un dossier.
Un appel à compétences lancé dans l’urgence ? En tous les cas, il est ouvert à tous, une vraie auberge espagnole !
Qu’on en juge !
Le communiqué démarre par un bref rappel des faits : « Depuis le 15 avril 2019, jour de l’incendie, le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris mobilise de nombreuses compétences et savoir-faire, au service de la sécurisation, de la consolidation et de la conservation de l’édifice ».
Il ne doit pas y en avoir pléthore de savoir-faire, ou pas les bons, puisque « anticipant » en octobre 2020 la restauration de l’édifice – depuis avril 2019, il n’est jamais trop tard pour anticiper – « l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration etc. », qui assure la maîtrise d’ouvrage du chantier, lance un appel à compétences destiné à recenser… « l’ensemble des acteurs souhaitant y participer ». L’ensemble ? Un souhait et un vœu pieux et tout le monde a sa chance ? Un chantier participatif ?
Sans doute !
En effet, « en lançant cet appel à compétences pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, notre objectif est double : permettre à tous les artisans, maîtres d’art et entreprises compétents, en adéquation avec les besoins exprimés, de se faire connaître, et s’assurer, conformément au souhait du président de la République, que le chantier de Notre-Dame puisse être une vitrine de l’excellence de ces corps de métiers et savoir-faire, souvent peu ou mal connus, alors même qu’ils sont des métiers d’avenir », précise le général d’armée Jean-Louis Georgelin, président de « l’établissement public chargé de la conservation et de etc. ».
Tous les artisans et entreprises compétents ? Pour commencer, où trouvent-ils « les besoins exprimés » dont il est question ? Dans la presse ? L’artisan qui tresse le crin de cheval, un métier d’art habituellement réservé à la Haute couture, il a sa chance pour Notre-Dame ?
Heureusement ce court communiqué se montre bientôt plus précis. Comment participer ? C’est simple. « Totalement dématérialisé, l’appel à compétences est gratuit et ouvert à tous, entreprises, artisans et maîtres d’art indépendants, quels que soient leur taille et leur statut, pour peu qu’ils justifient des qualifications nécessaires – certifications QUALIBAT ou équivalent – dans les douze domaines de compétences identifiés à ce jour : pierre/maçonnerie, sculpture, vitraux, charpente, couverture, menuiserie bois, serrurerie, ferronnerie, peintures murales, métal, nettoyage plomb et sujétions plomb, échafaudage ».
Par chance, il n’y a que douze domaines identifiés sinon il aurait fallu pour « l’Etablissement public etc. » créer de toutes pièces un logiciel pour gérer le bottin à Paris et l’annuaire en régions. Rien qu’en Pays-de-la-Loire, les artisans en métiers d’art doivent se compter par centaines. Par milliers ? Il y aurait donc, dans le Berry ou en forêt de Brocéliande, une armée inconnue d’orfèvres qui se révèlerait fort utile à Notre-Dame par les temps qui courent ? Des magiciens par exemple ? L’échafaudage, un métier d’avenir s’il est en bambou ? Et dire que, depuis le temps, le ministère de la Culture n’avait jamais ni remarqué ni répertorié ces artisans d’art si méritants de la nation et apparemment désormais indispensables
Tiens au fait, l’appel à compétences, il est européen ? mondial ? Parce que ce ne sont pas les métiers peu ou mal connus mais d’avenir qui manquent pour un projet comme la conservation et la restauration d’une cathédrale.
Au moins, c’est un appel à compétences facile à comprendre. « Les professionnels intéressés sont invités à télécharger, compléter et retourner le questionnaire avant le 1er novembre 2020, à l’adresse suivante : sourcing@rndp.fr. Il leur est également possible de joindre tout autre document qu’ils jugeraient utile ». Comme par exemple la photo de madame qui tient la comptabilité, pour montrer qu’on est une entreprise sérieuse pour Notre-Dame ? C’est sûr que les fonctionnaires du ministère vont étudier chaque proposition avec attention.
D’autant que, même si cet appel est listé dans Marchés publics > Type d’annonce > projet d’achat et renvoie à un document daté du 18 août 2020, « ce recensement ne donnera pas lieu à une sélection. Il ne présage en rien des consultations et analyses à venir, ni de la composition de groupements éventuels mais a vocation à référencer un large panorama des compétences existantes ». Tout ça pour du référencement ! L’annuaire, nous y sommes ! A moins qu’un dictionnaire des métiers peut-être… Autant dire que, pour le large panorama, la photo de madame ou monsieur à la compta, c’est utile !
Armé de toutes ces bonnes volontés, « l’Etablissement etc. » pourra avancer à pas de géants. La preuve, conclut le communiqué, « les travaux de restauration seront réalisés à l’issue de procédures d’appels d’offres et de mises en concurrence des entreprises, encadrées par le code de la commande publique ». Ouf !
Mais que l’artisan et l’ouvrier d’art qui ont su répondre en moins de deux semaines se rassurent, « la participation à l’appel à compétences n’est pas une condition préalable pour répondre aux appels d’offres qui seront publiés le moment venu ». C’est juste que « la présente étape facilitera la préparation des appels d’offres, afin de garantir à l’ensemble des entreprises souhaitant candidater un accès équitable aux marchés relatifs à la restauration de la cathédrale ». Concurrence non faussée, si ce n’est pas mignon pour les magiciens de Brocéliande…
Mais bon, si on en est encore, depuis l’incendie, à la « facilitation de la préparation » en battant le rappel de tout ce que la France compte d’artisans qualifiés dans les régions même les plus reculées, qu’est-ce que ça va être quand on sera dans le dur ?
Christophe Leray