Comment éviter que le bonheur momentané des cyclistes parisiens ne rejoigne le malheur des automobilistes franciliens ? Une logique urbaine, et la beauté du ring.
Le fait de limiter la vitesse à 50km/h sur le périphérique, bonne ou une mauvaise idée ? Nous n’en sommes plus là. Faut-il recouvrir d’un tapis vert le périphérique qui enceint Paris ? Le faire disparaître ou encore en faire une limite infranchissable ? Ce n’est plus le problème. La vraie question est comment saisir une opportunité unique, celle de conduire un projet exceptionnel qui ferait enfin de Paris une capitale historique, contemporaine, économique et dynamique avec un patrimoine remarquable et des potentialités inattendues.
Ces potentialités se trouvent de part et d’autre du périphérique, à condition que l’on accepte une fois pour toutes de s’attaquer à ce grand projet pour faire rentrer la capitale dans le XXIe siècle. Après les Champs Elysées, fleuron du XIXe siècle, les Grands Travaux du XXe, c’est une avenue circulaire qui doit mettre en rapport le Centre et la Périphérie métropolitaine.
La suppression de l’automobile dans Paris est programmée ; elle a d’ailleurs été anticipée par les parisiens puisque 50% ont déjà renoncé à la voiture et 30% d’entre eux ne l’utilisent qu’occasionnellement. C’est le sens de l’histoire et des rapports entre espace urbain et vitesse. La réduction de la vitesse de déplacement en centre-ville induit inéluctablement une mutation de la nature des activités : « pour consommer vite il faut circuler lentement ».
La clef c’est l’accessibilité. La ville et son espace relèvent d’une équation, elle met en relation la vitesse horizontale, celle des déplacements, et la vitesse verticale, celle des ascenseurs, donc la densité et la nature des activités. La présence de la nature dans l’espace de la ville est une valeur d’ajustement. Chaque type d’espace relève d’une équation et d’un équilibre.
La mairie de Paris et l’urbanisme doivent prendre la mesure des conséquences induites par la suppression des véhicules individuels dans la ville. D’autre part, l’extension actuelle des terrasses de restaurants et cafés aura vite atteint sa limite. Sans projet global, ces deux décisions vont être lourdes de conséquences pour la ville, pour la Métropole et pour la Région.
Si la pollution et la qualité de l’air sont des prétextes au ralentissement, il y a également une autre logique. En effet, la ville moderne, telle la ville américaine, a une capacité que Paris n’a pas : elle se régénère sur place, elle se densifie, elle transforme le ralentissement de la circulation horizontale (les rues) en accélération de la vitesse verticale (les immeubles de grande taille avec ascenseur).
La ville européenne, historique, considère avant tout, légitimement, son patrimoine situé en plein centre. Elle est incapable de suivre le modèle américain ou asiatique et de répondre à une demande, en plein centre-ville de plus d’activités, plus de logements, plus de services, plus de nature… La réflexion sur la ville européenne doit impérativement intégrer la question du centre, de sa capacité à croître, à se développer, à s’étendre en même temps que l’ensemble du territoire autour de la ville.
L’analogie anthropomorphique, la croissance homothétique, atteint vite sa limite. En effet c’était commode de parler du cœur, des poumons, des artères de la ville. Le bâtiment n’a pas cette capacité proprement biologique. Chez un individu tous les organes croissent simultanément, la taille du centre de la ville quant à lui ne peut pas s’étendre, il a une taille définie dès l’origine de la conception, sauf si l’on accepte comme pour le lézard de changer de peau à chaque étape de la croissance.
On pourrait valablement parler de renouvellement urbain, sans pour autant que les réseaux changent et c’est ici que se comprend le sens du changement de nature de la vitesse qui d’horizontale se mue en verticale. De même, l’utilisation de l’écologie comme méthode d’analyse a sa limite, puisqu’elle vise la stabilité d’un écosystème. Dès que celui-ci est perturbé par l’action des hommes, des cris d’alarme sont poussés, souvent à juste titre. L’alternative à la ville, cet ensemble en perpétuelle évolution et croissance, est celle proposée par Platon « une taille limitée et on crée un nouveau village un peu plus loin » !
La ville doit se développer, c’est dans sa nature. Aujourd’hui, Paris intramuros est le centre symbolique et réel de la métropole, le polycentrisme tant rêvé n’existe pas, il restera une chimère. Inutile donc de se voiler la face, Paris doit absolument se développer si elle ne veut pas dépérir ou devenir un parc touristique (qu’elle est déjà), une Venise vide avec ses marchands de souvenirs.
Alors, si le centre historique ne peut pas se régénérer, si la banlieue ne peut pas offrir l’opportunité d’un polycentrisme autre que villageois, il faut trouver de façon urgente La solution, le complément direct de la politique actuelle de réduction de la circulation engagée par la ville.
Un autre paradoxe. A la qualité de l’air s’ajoute l’objectif de réduire l’imperméabilisation des sols. Cette vision doit être large, avec une réflexion indispensable à mener au niveau de la région et non des quartiers ou des arrondissements. Ce deuxième paradoxe : « moins d’occupation du sol et plus de constructions » doit permettre de trouver le territoire d’accueil de ce Grand Projet.
Si la ville envisage de réduire la vitesse à 50km/heure sur le périphérique, une vitesse urbaine : nous sommes au milieu du gué, il faut agir vite. Paris doit conserver la plus belle avenue du monde, en définissant rapidement une OIN (opération d’intérêt national), sur le territoire du périphérique. Un secteur d’environ 500 mètres de profondeur de part et d’autre du périphérique, sur un linéaire de 34 km. Dit de façon plus pragmatique, il s’agit de 1/3 de la surface de Paris. C’est là que les mutations foncières sont à projeter et que l’avenir doit se jouer.
Partager le bien commun : « le centre sera vert et va ralentir », ceci suppose que la ville/centre soit en rapport avec la périphérie par l’intermédiaire de cet anneau qui contiendra à la fois l’activité, la mixité, l’urbanité, et assurera la sécurité… Par un retournement de l’histoire le rempart, auparavant limite, deviendra le lien entre l’intérieur et l’extérieur. La ceinture bioclimatique va mettre en rapport la nature, toutes les technologies et toute notre culture urbaine, ce qui compose le bien commun.
Le nouveau « périph » mettra enfin en relation les parties éclatées du territoire pour que la ville « puzzle » livre une image lisible et fasse sortir les banlieues du monde désorienté dans lequel elles sont confinées actuellement.
Ce n’est pas en bricolant, de façon opportuniste, des petits bouts de projets timorés qu’un Grand Projet va se révéler. C’est à travers la volonté de donner à Paris et sa région un véritable avenir.
Alain Sarfati
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