Le 14 juillet 2016, j’ai eu la chance d’être invité par Farrokh Derrakshani, directeur du Prix Aga Khan d’Architecture, à une conférence au V&A Museum de Londres, intitulée « Beyond The Bridge ». Dans la liste des orateurs, j’ai vu la biographie d’un homme appelé Marc Mimram. Chronique-photos d’Erieta Attali.
Je ne savais pas qui était Marc Mimram mais j’étais curieuse de l’écouter parler de ses œuvres et je me suis retrouvée dans un auditorium rempli à ras bord de personnes assistant à sa conférence. J’étais sidérée : avec ses ponts primés, au Maroc, en Chine, à Kehl – pour n’en citer que quelques-uns – je découvrais quelqu’un dont la mission était de relier les géographies et connecter les mers à la terre.
J’ai vu des courbes plonger dans l’eau, des fenêtres s’ouvrir vers le ciel, se refléter, tourner et créer de nouveaux carrefours. En regardant les ponts de Mimram, j’avais l’impression de descendre dans le tableau Humboldt Current (1951/52) de Max Ernst. Dès ses premiers mots, j’ai compris qu’il me faudrait dans le monde et à travers la France explorer ses œuvres, ses ponts, ses gares, ses piscines.
À travers mon objectif, j’ai commencé à suivre ces lignes qui, dans l’espace, touchent doucement le sol pour décoller à nouveau. J’ai chassé les espaces illusoires reflétés à travers les vides dans l’eau, mais aussi les vrais espaces, nourris par une vision d’une œuvre publique profondément démocratique. Il est rare de trouver une expression aussi rationnelle de la beauté – l’aspect binaire de l’émotion et de la logique y fait souvent obstacle – non seulement ondulante dans la forme mais également ondulante dans l’expression, du civique au poétique.
Jusqu’à ce 14 juillet 2016, j’avais déjà photographié à travers le monde, je venais de terminer mes études doctorales en Australie, avec de grandes monographies photographiques en cours de publication. Les créations sculpturales de Marc Mimram, à la croisée de ma vision et de mes envies d’enfance, m’ont embarquée dans un voyage photographique de cinq ans à travers ses œuvres.
La photographie n’a rien à voir avec l’objet regardé mais tout avec l’action de regarder au travers. C’est ce qui fait de la photographie d’architecture à la fois un acte intentionnel et une conséquence de la compréhension d’un l’espace construit.
Des photographes sont attirés par les formes, par une sorte de maniérisme de l’image : ils finissent par photographier l’architecture de manière à produire des compositions intéressantes mais finalement trompeuses et source de malentendus. Le simple fait que cela soit possible montre l’importance de regarder au travers de l’image plutôt que seulement la regarder.
Quiconque voit une image peut l’interpréter à sa manière, nul ne peut jamais échapper à la subjectivité, mais l’intention, l’intention consciente et focalisée, produit une différence transmissible à travers l’image. C’est pourquoi mon travail va au-delà de la seule documentation.
Ce qui m’intéresse est l’inversion du contenu et du contexte, l’aplatissement des hiérarchies entre les objets et leurs environnements. Pour y parvenir il faut s’éloigner de l’objet. A trop s’en approcher, la relation avec le contexte est amputée. Des détails sont révélés mais jamais les connexions.
Cette approche de l’architecture à travers les détails visuels favorise une fétichisation de la composition visuelle, avec pour résultat de mettre en valeur les objets, les formes. Une telle approche n’aurait jamais fonctionné avec l’architecture de Marc Mimram, où il est important de laisser l’horizon et la lumière se déployer et l’intérieur se fondre avec l’extérieur.
Les œuvres de Marc Mimram invitent le passant à une expérience différente, à une redécouverte du familier à travers l’inconnu.
Erieta Attali
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Cette chronique est le sujet d’un livre : Marc Mimram: Structure | Light , Landscapes of Gravity Through the Lens of Erieta Attali. (English, French 2019. 328 pp., 236 ills. Hatje Cantz Editeur. 55€)