Mardi 16 mars 2021, la culture française retrouvait un peu de ses lettres de noblesse en apprenant le sacre d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, récipiendaires du Pritzker 2021, 43ème du nom. Archi cocorico ?
La surprise fut belle, d’autant que personne ne l’avait vraiment vu venir, du moins pas si vite, seulement deux ans après avoir reçu le prix Mies Van Der Rohe en 2019. Une consécration internationale, pour une double carrière somme toute relativement locale.
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, dont l’agence est née en 1987 après une rencontre à l’école d’architecture de Bordeaux, sont les troisième et quatrième architectes français à être ainsi internationalement reconnus, après Christian de Portzamparc en 1994 et Jean Nouvel en 2008. Anne Lacaton est de fait la première femme architecte de l’hexagone à le recevoir et la sixième, seulement, en tout.
L’architecture de Lacaton & Vassal s’est rapidement tournée vers la typologie du logement, individuel et collectif, laquelle a enrichi leur démarche si particulière quand l’agence a abordé les équipements publics. Les deux architectes de la rue de Paris, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) font par ailleurs partie de cette génération qui a très tôt pris en main la question de la réhabilitation. A l’heure où d’autres n’y voyaient que le parent pauvre d’une architecture encore vaguement patrimoniale ou foncière, Lacaton & Vassal en a retenu ce qu’elle avait de pragmatique mais aussi, tout simplement de belle. Certes, il en faut parfois de la modestie pour s’attaquer de front à une structure déjà vielle de plus de 50 ans, à des bâtiments dans lesquels des familles vivent depuis trente ans.
Mais Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, bien souvent accompagnés de Frédéric Druot, ne font pas œuvre de modestie tant leur architecture est manifeste et crie sa présence. Pour la philosophie du geste, leur architecture a offert depuis 30 ans une nouvelle voie. De fait, dès leurs débuts, à Floirac (Gironde), les concepteurs bordelais ont préféré la philosophie de l’architecture à la beauté du geste. Avec autant d’ambition, la modestie ne pouvait être de la partie.
Et tant mieux, car la force de leurs créations réside dans une volonté « de faire plus avec moins », de créer de l’espace, de la dimension, de la lumière là où il en manquait, de redonner à l’architecture un peu de son essence en utilisant ses armes immortelles que sont la lumière, l’espace et les matériaux, de créer un bâtiment de l’intérieur vers l’extérieur pour en qualifier les usages. Bref d’être architecte et de faire de l’architecture !
Bien sûr, à la lumière d’une si belle récompense, d’aucuns ne manqueront pas de reconnaître l’humanisme de la démarche, la sobriété de la philosophie ou le caractère environnemental de la recherche. Si aujourd’hui, les architectes, parfois penseurs, jettent l’architecture d’abord sur le papier, à grands coups de manifestes et de pétitions pour que suive une cohorte d’opportunistes, le moins que l’on puisse dire est qu’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont mis en œuvre leur philosophie, loin des mots, du scandale et du marketing. Du moins en apparence car cet excès inverse est aussi une forme de mise en scène d’un savoir-faire et d’un goût sûr pour la représentation, moins modeste qu’il n’y paraît.
Depuis la Cité Manifeste en 2005, l’agence a su en effet créer une mythologie autour de son travail, celle d’une agence audacieuse, sans concession et généreuse, au service des usagers et des habitants, s’attelant à une critique radicale du dogme moderniste de l’Existenzminimum. Une architecture autant humaniste qu’humanisante, capable de flexibilité et résilience, sans apparente ostentation.
Cependant dépenser moins de matière ne veut pas dire dépenser moins pour les maîtres d’ouvrage qui ont eu le bon goût de les faire travailler. En effet, 112 000€ / logements, pour une opération en site occupé, le budget était généreux de la part de Paris Habitat. Une opération manifeste certes mais pas vraiment modeste non plus.
Evidemment, la reconnaissance d’Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal par le jury de la Fondation Hyatt, présidé par Alejandro Aravena (Pritzker 2015), a de quoi surprendre tant la production de leur agence, en majorité en France, est d’une échelle bien plus modeste que celle de ses prédécesseurs. Pas d’architecture star ni de musées ou de tours aux Emirats, une reconnaissance polie au-delà des frontières essentiellement due à un enseignement dispensé dans les plus belles maisons (Harvard, Lausanne, Berlin, Madrid).
Récemment, la revue D’Architectures offrait à lire un dossier sur une architecture tendance du moment « Simple c’est plus », dont l’agence Bruther, représentante multirécompensée, en était l’emblème. Quelques citations et références plus loin témoignaient cependant de tout ce que cette nouvelle génération devait aux maîtres quant à l’élégance de la structure, l’épure de l’espace et à la grâce de matériaux les plus simples.
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, désormais « starisés » endosseront-ils l’habit de chef de file d’une architecture plus neutre et non moins généreuse ? L’architecture de l’hexagone, rarement représentée dans les concours internationaux, deviendrait-elle enfin le symbole d’une démarche conceptuelle innovante capable d’exister pour elle-même dans le monde ?
Cela écrit, la femme et l’homme de l’art restent les chantres d’une philosophie de l’architecture rigoriste et d’une conception très contextuelle qui posent la question de son export possible vers d’autres cieux. Quelles possibilités dans les villes-mondes d’Afriques et d’Amérique du Sud ? Pour des logements tropicaux ? Des musées sur des territoires aux cultures affirmées ?
Il est toujours délicat d’oser la critique devant tant de liesse. Mais force est de constater que depuis Grand-Parc à Bordeaux, la méthode Lacaton & Vassal est devenue de plus en plus systématique.
On regrettera surtout que depuis la Cité Manifeste, Grand Parc, l’école de Nantes, le Frac du Nord ou encore le Palais de Tokyo, que le jury du prix ne se soit pas plus tôt penché sur le cas de ce duo frenchy moins simple qu’il n’y paraît.
Car maintenant que cette démarche automatique fait école, au point que son esthétisme est copié sans la démarche, c’est peut-être que la récompense arrive trop tard.
Alice Delaleu
Les articles de notre dossier Pritzker 2021
– Pritzker 2021, plastique bien française ?
– Lacaton & Vassal, un Pritzker et quelques paradoxes
– Brutalité architecturale, comment résister au naufrage ?
– Mais pourquoi diable un Pritzker français ?
– Lacaton & Vassal, le jury du Pritzker 2021 explique son choix