L’opération Black Swans, conçue par Anne Démians à Strasbourg et qui consiste en trois tours identiques, est sans conteste à ce jour le projet le plus abouti de construction mixte et réversible construite en France, voire au-delà. La femme de l’art revient pour Chroniques d’architecture sur les idées qui ont guidé l’élaboration de ce projet innovant à plus d’un titre.
Ici à Strasbourg, sur la presqu’île Malraux, je viens installer trois black Swans comme signe d’une attention particulière à une ancienne friche portuaire et romantique, riche de ses bassins.
Depuis le début, j’ai eu la confiance de Roland Ries, maire de Strasbourg, et de Hervé Manet, président d’Icade Promotion et d’Olivier Wigniolle, directeur général d’Icade.
Le projet que je proposais devait être à l’image d’une société, des immeubles d’une grande nouveauté, capable de créer un effet d’enchainement économique et esthétique sur le site, en se distinguant par son architecture respectueuse d’un quartier.
C’est ainsi que j’ai proposé de qualifier les berges de la presqu’île Malraux, ancien site industriel de Strasbourg, pour leur donner une dimension onirique. Il s’agit, selon le principe d’Archimède, de penser la légèreté du poids d’un corps dans l’eau. Et j’ai pensé très vite à la métaphore du cygne pour sa légèreté et l’élégance de son port. J’ai donc installé 3 cygnes. Le cygne par son port traduit cet équilibre entre horizontalité et verticalité par son cou. J’ai voulu « cambrer » le projet.
Trois silhouettes vont ainsi se dresser sur le bord du bassin d’Austerlitz. Leurs découpes élégantes proposeront une nouvelle lecture du ciel.
Le projet s’insère dans le développement de l’axe économique entre Strasbourg et la ville de Kehl, en Allemagne. C’est un projet mixte de 40 000 m², logements, bureaux, commerces, crèche, hôtel ; un morceau de ville qu’il s’agit de dessiner le long de la Presqu’Île Malraux, ancien site industriel, dont la transformation a été initié avec la magnifique médiathèque d’Ibos & Vitart et le Centre de danse et de musique d’Henri Gaudin.
Le projet articule le passage, le lien, entre la Presqu’Île Malraux et le nouvel éco-quartier dessiné par Christian Devillers. J’ai cherché un dispositif permettant de ménager des vues entre l’un et l’autre. Les tours semblent identiques : même hauteur, même texture, même socle… Et en réalité elles le sont. Parce que justement j’ai voulu ne pas faire un projet bavard qui risquait d’amoindrir le dispositif urbain. Ici le dispositif est comme une agrafe urbaine entre les deux quartiers.
Ce projet est un projet mixte, composé de logements, de bureaux et de commerces.
Je me suis attachée à répondre tout à la fois à la contrainte économique d’un projet mixte et de permettre dans le temps l’évolutivité des programmes, sans que son expression architecturale, ne soit impactée par les transformations.
Pour atteindre ce double objectif, j’installe par trois dispositifs, une manière de rationaliser, de mettre en commun des moyens pour plus de qualité architecturale :
Premier dispositif : je ne crois pas, dans ces configurations, à la mixité superposée comme on le voit quelquefois, car c’est au détriment de l’efficacité du bâtiment, notamment parce qu’en France les réglementations de sécurité entre logements et bureaux sont différentes. Comme on le voit sur le schéma, les logements se superposent aux logements et les bureaux se superposent aux logements, ce qui n’empêche pas de pouvoir développer plus de logements ou plus de bureaux.
Deuxième dispositif : j’installe des circulations verticales au centre, pour dégager les façades, et faciliter ainsi l’évolutivité du cloisonnement transversal.
Troisième dispositif : Elément beaucoup plus lourd à faire passer, c’est le déformatage des trames. Il y a des trames gravées dans le marbre : 1,35 m pour les bureaux et 1,50 m pour les logements depuis les nouvelles réglementations handicapés. Ici, à force de travailler sur la rentabilité et l’épaisseur des bâtiments, on a une trame commune qui est le garant de cette flexibilité. Dans ce projet que je pensais trop théorique pour gagner le concours, ICADE en a vu le parfait intérêt. Grâce à cette trame unique, quel que soit le programme, entre le moment où j’ai gagné le concours et aujourd’hui où l’on vient de déposer le PC, le programme a changé d’au moins 50%, le promoteur a pu ajuster le tir en fonction des réalités économiques.
Une coursive vient entourer le bâtiment. Cette coursive contribue à l’identité architecturale du projet, Black Swans. Cette coursive est aussi le garant d’une urbanité, une sorte de filtre entre l’espace public et la domesticité les logements, bureaux, et donc garant de l’évolutivité possible.
Cette coursive devient balcon devant un logement et coursive d’entretien devant un bureau. Et dans des situations particulièrement privilégiées, notamment face au canal, la coursive s’élargit pour se transformer en loggia.
On a un dispositif globalement homogène, qui permet cette variabilité et ce métissage des fonctions à l’intérieur de ce dispositif attentif à préserver son inscription urbaine tenue et maîtrisée.
Le site est particulièrement privilégié car entouré de deux bassins.
Le bâtiment s’ancre au sol par une façade en double hauteur afin de favoriser un rapport fluide avec l’espace public. Cela donne une certaine dignité à chacun des accès de chacun des programmes, sans transformation difficile. La qualité du projet est intimement liée à la mise en commun des moyens pour avoir un projet un peu plus hors normes que ce qu’on trouve habituellement lorsqu’on est très contraint économiquement comme c’est le cas ici.
Ce qui m’intéresse dans ce projet, c’est de trouver une alternative dans l’expression de la mixité plutôt qu’une collection d’objets, avec des prouesses architecturales qui figeraient le projet dans une certaine temporalité, à un instant « t ». J’ai voulu installer ce projet dans un équilibre entre deux temporalités : temporalité longue de l’installation d’un projet dans un site donné, en intégrant également, la temporalité courte des évolutions programmatiques qui ne peuvent pas, ainsi, remettre en cause l’intégrité de la cohérence du projet.
Par l’addition des questions de la mixité et de la mutabilité, on peut trouver les bases d’une nouvelle esthétique, c’est bien cela que le projet démontre.
Anne DEMIANS
Le 21 avril 2016