J’ai eu l’occasion de visiter en juillet 2021 la nouvelle ‘poste du Louvre’, ouvrage emblématique s’il en est, construit à Paris par Julien Guadet au XIXe siècle et réhabilité et restructuré par Dominique Perrault au XXIe.
La visite, en compagnie de Dominique Perrault et Gaëlle Lauriot-Prévost son associée, fut une sorte d’enchantement tant passer une heure avec un architecte qui parle avec passion et intelligence de son œuvre n’est jamais une heure de perdue. Comment faire, pour le journaliste bonne poire et sincèrement impressionné, pour ne pas écrire un article dithyrambique à la gloire du maître ? Article qui ferait sans doute plaisir à ce dernier mais qui n’apporterait rien qu’il n’ait déjà dit ailleurs.
Dominique Perrault a cette élégance de faire visiter son bâtiment pas seulement à la presse spécialisée mais aussi à ses confrères et consoeurs, une forme de confraternité devenue rare qui a ravi ses invités comme elle a conquis la presse, dithyrambique forcément… Alors, un par un, Chroniques a joint six de ces hommes et femmes de l’art pour leur demander de raconter leur visite, en toute confraternité évidemment, sachant que les datas recueillies seraient anonymisées.
Ne sont pas anonymes en revanche les citations, en italiques, de Dominique Perrault ni mes propres remarques entre crochets []. C’est parti donc. Bonne visite en bonne compagnie.
Le contexte par Dominique Perrault. « De l’îlot industriel à l’îlot urbain, c’était le titre du projet. Je n’ai pas reconstitué le parcellaire parisien car il s’agissait là d’un bâtiment-îlot particulier. Parlons plutôt d’une improvisation jazzy – je pense à Coltrane – à partir du thème de Guadet ; ce projet est une création, pas une reconstruction ! C’est un condensé d’urbanité : une façade périphérique, des passages, une logique d’hôtel particulier, etc. Il s’agissait au départ d’une usine qui employait plus de mille personnes. Pour Haussmann, pas question de construire une usine près du Louvre, d’où le monumentalisme de la poste, qui semble ne compter que trois étages quand il y en a six. L’îlot redevient un îlot et n’est plus arrimé à une exploitation industrielle ».
[La poste était l’internet de l’époque, avec du courrier deux ou trois fois par jour. En témoigne encore aujourd’hui le flagship d’Apple, tout près.]
Premières impressions en rez-de-chaussée
– « C’était un projet malhabile mais, avec Dominique Perrault, c’est toujours pareil, le miracle se produit au fur et à mesure du développement du projet, de sa mise au point et de sa construction. Perrault n’est pas forcément l’homme des rénovations mais il a trouvé un complément à ce qu’a fait Guadet et parvient à l’accompagner. Cependant, il partage en deux les grandes fermes métalliques à l’intérieur, là il n’accompagne pas l’architecture de Guadet mais comme il est malin et qu’il est doué, il s’en sort ».
– « La poste du Louvre est celle où nous déposions nos paquets pour les concours, le cachet de la poste faisant foi, et la poste du Louvre fermait à minuit. C’était une gare et quand nous déposions nos paquets, nous ne savions rien du reste, ce phénomène constructif de la fin du XIXe siècle en acier longue portée. L’espace donne encore l’impression d’être dans une hyperstructure entre verre et métal et que tu pourrais attendre le train ».
– « Le rez-de-chaussée est un point fort du projet : outre la capacité de traverser l’îlot, il offre une visibilité claire du projet, on devine les éléments verticaux qui mènent aux éléments programmatiques. J’aime la fluidité du rez-de-chaussée même si on n’y perçoit pas forcément le dialogue avec Guadet ».
– « Un endroit magique. Dans la grande cour au rez-de-chaussée, avec ces grandes hauteurs sous plafond, on respire ».
– « Dans ce lieu chargé d’histoire, ce qui est beau est l’archéologie des différentes époques que l’on est invité à revivre avec cette transformation. Le dialogue entre le bâtiment de Guadet en pierre, un monument très élégant, et la rénovation qui joue, dans mon ressenti, avec une certaine présence, une sensation d’austérité, presque une absence. Cette transparence urbaine au rez-de-chaussée m’a projetée dans le temps de construction de la Poste ».
– « C’est sans doute un projet d’une grande complexité avec un sujet patrimonial, un sujet urbain, un sujet programmatique, un sujet financier et, pour les élus, les habitants et La Poste, un sujet sociologique. Les enjeux, financiers notamment, sont nombreux et importants ».
« Il faut faire avec et ne rien laisser à l’abandon : Guadet a construit une usine sachant qu’elle allait se modifier dans le temps, ce qui est une autre notion moderne. À l’intérieur, des hauteurs incroyables. Il a fallu mener un travail de médecin légiste pour acquérir la compréhension de l’objet, qui fait 90 m de long, un monstre. Il était donc important pour nous d’aller vers une forme de dématérialisation de la perception monumentale ». Dominique Perrault.
‘Poly-fonctionnalité’ et organisation fonctionnelle horizontale
[Sur 35 000m², compter des logements, des plateaux tertiaires et des commerces, un hôtel 5*, plusieurs points de restauration, un bar panoramique en ‘rooftop’. De nombreux services, dont un bureau de Poste, un commissariat de police, une halte-garderie, des espaces de coworking et un hub de logistique urbaine en sous-sol, complètent l’ensemble. Si la poly-fonctionnalité est aujourd’hui à la mode, la Poste du Louvre est le premier grand bâtiment livré dans cette philosophie.]
« Il s’agit d’un travail de composition. Un art de la géométrie permet de gommer les formes dans un dessin de composition. L’îlot n’est pas rectangle, c’est un trapèze, il a donc fallu des astuces pour récupérer une géométrie pure ». Dominique Perrault.
– « À l’intérieur j’ai vu un travail graphique, presque de dessin, offert par la qualité des structures poursuivies par des vitres bombées ».
– « Le choix multifonctionnel est un choix théorique qu’il faut confronter à la capacité théorique du bâtiment et à sa capacité patrimoniale ».
– « Se pose toujours la question de la générosité des espaces, la capacité d’être un bâtiment réversible implique une remise en question de la façon de construire aujourd’hui ! ».
– « C’était un chantier extrêmement compliqué, long, au cœur de Paris, avec plein de différents programmes. La mixité des programmes est à la mode et ces différences de programme sont importantes mais elles impliquent plein de problèmes à résoudre. En résumé, plein de programmes différents dans un projet, c’est bien mais c’est galère (rires) ».
– « La multi fonctionnalité implique un chantier extrêmement compliqué ».
– « Je sais que c’était un chantier difficile et le tout est plutôt bien fini. Je pensais que ce serait un peu plus luxueux mais c’est bien fini ».
– « Il y a un équilibre entre le respect du patrimoine et la qualité des lieux intérieurs. Les bureaux par exemple, avec leurs double-hauteurs, ne sont pas ordinaires, ils sont magiques dans la qualité de l’espace offert, dans leur diversité ».
– « Dominique n’a pas eu peur d’intervenir et de réinterpréter le bâtiment avec une puissance architecturale radicale ».
– « Le projet est très dessiné et évoque l’ordre, l’ordre de l’architecture, l’ordre militaire. Être ordonné, c’est ne pas se répandre. La poste du Louvre, c’est un effet d’onde plus subtil qu’à La Samaritaine ».
« La notion d’ordre n’est pas une question d’autorité mais l’ordre en tant que syntaxe pour la langue, ou la portée pour la musique. Lorsque l’ordre est installé, il est flexible, on peut le travailler. Comme la République est un ordre démocratique. L’ordre c’est aussi définir des éléments premiers et à partir de là trouver un système. L’ordre c’est enfin la rigueur intellectuelle ». Dominique Perrault.
Monochrome ?
« Le noir monochrome permet d’offrir une dimension amplifiée. C’est le même noir partout mais le support change ». Dominique Perrault.
– « Le parement et ses différentes teintes de noir m’a fait penser à Soulage. Dominique Perrault est proche de l’art contemporain. C’est un projet bichrome, en noir et en lumière (et le blanc laiteux qui caresse les pierres) d’où l’impression de 200 nuances de noir. Avec Gaëlle (Lauriot-Prévost), ils forment un tandem incroyable, très subtil, qui s’inspire du monde de l’art, le travail de Gaëlle s’inscrivant dans la durée. Ils sont tous deux hypersensibles à l’intervention artistique mais très rangés dans leur tête, ils sont capables de résumer leur pensée ». [À ce propos, mention spéciale pour tous les luminaires au fil de la visite.]
– « Dominique a utilisé la matière noire pour bien gérer les interfaces entre structures ancienne et neuve. Il est dans son esthétique de mono couleur qui donne des espaces fluides et assez généreux ».
– « Le contraste du noir et blanc est sobre, chic et efficace ».
– « Il y a un côté très Soulage, le noir donne une identité, la rénovation ne disparaît pas, elle marque une époque et souligne à nouveau l’ambivalence entre présence et absence ».
– « Il a dégagé de la matière, fait entrer la lumière. Après le noir, c’est un exercice ».
– « Les fenêtres arrondies invitent l’urbain à percer la façade tandis que du bâtiment jaillit cet esprit noir ».
Du rez-de-chaussée au toit
[L’Idée originale du projet était que la place urbaine en rez-de-chaussée soit totalement ouverte le jour et la terrasse du toit accessible quasi H/24 ; c’est la raison pour laquelle il y a cet ascenseur extérieur sur la rue Etienne Marcel.]
– « Dominique a choisi les bons endroits pour ouvrir l’espace au public mais tu ne peux traverser l’îlot que si La Poste l’autorise. Et il faut se méfier de ces pseudo espaces publics parisiens, sinon Anne Hidalgo [maire de Paris] va y mettre des pissotières écolos, des trucs à vélos et des bacs à fleurs ».
– « Mais si je monte, comme à Beaubourg, j’ai immédiatement une vue parisienne extrêmement forte ; elle était interdite cette vue. Il faut espérer qu’elle ne soit pas réservée aux ‘happy few’ comme à la Samaritaine ».
– « La dernière strate horizontale, au sommet, offre une promenade incroyable et une vision à 360° sur le panorama parisien. Après, ce sont les utilisateurs qui font ce qu’ils veulent mais cette promenade, Dominique la rend possible. Un tel espace est assez rare et s’il demeure public peut devenir un endroit recherché, un lieu couru. Avec une telle attractivité, je suis optimiste que cette promenade soit préservée avec un accès public, c’est au talent des aménageurs qu’il faut s’en remettre ».
– « La toiture est un endroit précieux et nécessaire à Paris. Il y a une multiplicité d’expressions formelles qu’on retrouve sur les toits qui donne un goût du chaos parisien. C’est le toit qui annonce ce bâtiment comme un monument dans le quartier et la ville. Si le public peut y accéder, Dominique Perrault aura transformé un monument en espace public et rendu ce bâtiment encore plus contemporain. Le toit fait écho au rez-de-chaussée, il redonne un nouveau sol, un sol élevé qui offre une lévitation intéressante ».
– « Si le toit ne devait pas être accessible au public et qu’il devienne interdit d’en faire le tour, une telle décision reviendrait à nier l’histoire, nier l’intérêt du projet, nier l’intérêt des Parisiens ».
[Dès le début, l’idée était pour le public de pouvoir accéder à la totalité de la promenade, à 360° autour du bâtiment, à hauteur des toits de Paris. Il y a cependant une limite sur un tel ouvrage : le nombre d’unités de passage comme disent les pompiers. Selon nos informations, dont ne disposaient pas nos interlocuteurs lors de nos conversations, 100% de ces unités de passage auraient été cédées par Poste Immo, qui demeure propriétaire, à l’exploitant en ‘roof top’, privatisant de fait la terrasse et ne permettant plus au public d’en faire le tour complet.]
Les structures
– « Dominique met en avant le travail du métal de l’époque de la poste, il sublime les structures et les fait disparaître, une ambivalence et une ambiguïté qui créent l’émotion du lieu. Il reste dans la mémoire, il y a d’ailleurs un rapport fort à la mémoire. Les grands volumes sont respectés, sublimés, occupés par de nouvelles fonctions. Il a créé la densité nécessaire pour ces nouvelles fonctions dans la monumentalité de ce lieu ».
– « Il a coupé les structures de Guadet ce qui à mon sens signifie qu’il a subi l’architecture de Guadet plutôt que de l’organiser. C’est là ma seule réserve ».
Budget
[Avec un budget estimé de 100 M€ au concours en 2016, le coût final des travaux se monte à 130M€. En tout état de cause, une opération financière réussie puisque le bâtiment vaut aujourd’hui beaucoup plus qu’il n’a coûté.]
« 130M€, cela demeure un prix raisonnable pour 35 000m², surtout considérant que, normalement, c’est là pour 150 ans ». Dominique Perrault.
Confidences recueillies par Christophe Leray
Lire le communiqué de presse de l’agence (septembre 2020) : L’emblématique poste du Louvre transformée par Dominique Perrault
Voir la vidéo (septembre 2020) : La Poste du Louvre, le tampon de Dominique Perrault faisant foi