Comment se fait-il qu’aujourd’hui l’habitat individuel soit devenu porteur de tous les maux de notre modèle de développement ? Que lui reproche-t-on au juste ? En réalité, c’est tout le modèle de logement français qui est à réinterroger.
Le 14 octobre 2021, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, l’a annoncé : la France doit en finir avec le rêve de la maison individuelle, non-sens écologique, économique et social ! Il faut dire que la ministre s’y connaît en logements individuels puisqu’elle pratique elle-même dans le Val-de-Marne ce travers français.
Alors pourquoi s’en prendre ainsi à l’habitat individuel ? Pourquoi en vouloir à ce point à l’aspiration de la majorité des Français ? Au nom de la sacro-sainte doctrine écologique !
Le développement de l’habitat collectif de masse correspond au moment où l’homme a cessé de vivre en harmonie avec la nature, alors que pendant plus de deux millénaires l’homme a vécu massivement en habitat individuel et de façon parfaitement écologique… Comment se fait-il alors qu’aujourd’hui l’habitat individuel devienne à son tour porteur de tous les maux de notre modèle de développement ? Que lui reproche-t-on au juste ?
Son tort principal : il participe de l’étalement urbain.
Il est vrai que la France ne peut pas se réjouir du développement de ses lotissements en périphérie des communes. Noter cependant que les derniers chiffres dans ce domaine indiquent que la région qui artificialise le plus de terres tous les ans est l’Ile-de-France. Une zone où, en effet, comme chacun le sait, les promoteurs de maisons individuelles se bousculent ! Reparlerons-nous du plateau de Saclay à propos de l’artificialisation des sols agricoles ultra-fertiles ?
Ensuite, l’habitat individuel créerait la dépendance à la voiture.
Il faut reconnaître que, dans ce domaine, notre chère ministre peut en témoigner, elle serait en appartement elle irait sûrement au travail en métro ou à vélo !
En réalité, c’est tout le modèle de logement français qui est à réinterroger car il n’y a pas plus de dépendance à la voiture stationnée devant la porte de son garage qu’à celle stationnée en bas de son ascenseur… Est-il plus écologique de l’avoir directement stationnée au niveau de la rue ou dans un sarcophage de béton de deux niveaux ayant nécessité des rabattements de nappe phréatique et des cuvelages et des allers-retours d’ascenseurs quotidiens pour y accéder ?
Si l’on veut donner une chance à la marche et aux circulations douces, il faut commencer par couper le cordon ombilical que le logement français entretien avec le stationnement ; et ce, quel que soit le modèle de logement. Combien de règlements d’urbanisme y incitent ? Dans de nombreux pays où la pratique du vélo est plus développée, les logements n’ont pas leur stationnement en sous-sol mais dans des parkings silo.
En réalité sous l’effet d’annonce de la ministre se cache une magnifique démonstration d’inculture de l’administration qui, à force de pensée bienveillante à outrance, en arrive à proférer de telles inepties. Dans le cerveau de nos chers Enarques, habitat individuel = pavillon = lotissement en raquette = pas bien ! Certes l’habitat individuel peut répondre à ce raccourci mais pas uniquement ; en témoigne le pavillon de notre chère ministre sans doute pas situé au fond d’une impasse avec raquette de retournement et la voiture garée devant chaque maison !
Pire ! il y en a même dans Paris intra-muros des maisons individuelles avec jardin ! Certes, leur prix de vente les rend inaccessibles pour la majeure partie de la population française, pour autant, doit-on forcément les détruire aux motifs qu’à la place d’une de ces maisons pourrait être construit un immeuble de cinq ou six logements ?
Tout le monde a cependant bien compris que, par ce raccourci hasardeux, notre administration souhaite faire la chasse aux lotissements qui mitent nos campagnes et, pour ce faire, il est plus facile de crier haro sur le pavillon que sur l’urbanisme qui l’entoure ! Il est plus facile de fustiger ces Français qui veulent leur maison que de reconnaître que ce sont les amis politiques qui acceptent voire encouragent le développement de cet urbanisme décrié. Et reconnaître de plus que si nos édiles cèdent à ces sirènes, c’est pour essayer de conserver leurs écoles ouvertes, garder les quelques reliquats de services publics encore présents sur leur territoire et la subvention d’Etat basée sur le nombre de résidents de leur commune !
De fait, si la population aspire à la maison individuelle, elle n’a pas vraiment de possibilité d’action sur son implantation sur le territoire, elle n’est pas à l’origine des règlements d’urbanisme ni même des conceptions de lotissement. Le citoyen moyen qui cherche un terrain ou une maison où il souhaite habiter, au même titre que celui qui cherche un appartement, doit transiger avec ce qui lui est offert en fonction de son budget. Ainsi ce n’est pas lui qui va définir d’acheter au fond d’un lotissement ou le long d’une rue, ce n’est pas lui qui va décider d’être dans un continuum de front bâti ou isolé milieu de sa parcelle. Ce sont les politiques et les administrations qui rédigent les règlements d’urbanisme et qui autorisent les lotisseurs à faire leurs opérations.
Malgré le discours volontaire, méprisant et maladroit, les lotissements aberrants ont encore de beaux jours devant eux et, sans urbaniste, sans architecte, vont continuer de prospérer. Surtout avec un discours de communicant en greenwashing.
Au lieu de vouloir aller à contre-courant des aspirations de la population et de désigner des coupables, il serait sûrement plus pertinent de s’interroger sur la façon de conjuguer les problématiques « environnementales » et l’habitat individuel, organiser la réflexion. En d’autres temps les ministères réfléchissaient ainsi, mais c’était avant… quand les ministres avaient eux-mêmes un tant soit peu de culture au sujet de la politique qu’ils entendaient mener.
Ainsi dans les années 70, Albin Chalandon, lointain prédécesseur d’Emmanuelle Wargon, s’était lui tourné vers les architectes pour réfléchir sur la problématique de l’époque : « comment produire des logements individuels en masse, pour répondre aux aspirations de la population Française ? ». Il en résulta un concours faisant appel à de nombreux architectes, dont certains grands noms de l’époque comme Emile Aillaud, Andrault et Parat, Marcel lods, Philippe et Martine Deslandes. Il en a résulté la production de 70 000 logements individuels avec des formes urbaines à faire pâlir certains écoquartiers récents !
Certes, si d’aucuns s’attachent à l’architecture des bâtiments, celle-ci est nécessairement connotée, datée, loin des standards écolos actuels, elle est pour autant tellement plus intéressante dans leur spatialité ! Regardons aussi ces aménagements urbains qui, malgré l’absence totale de réflexion écologique ou de rejet de l’automobile, contenaient la voiture dans des « poches » de stationnement et laissaient ainsi l’ensemble de l’opération libre de toute circulation motorisée, des circulations douces qui ne disaient pas leur nom à l’époque.
Il suffit d’arpenter le Pré Yvelines et les patios de Grigny pour s’en convaincre. D’ailleurs il est intéressant de voir que le sentiment d’appartenance à ces opérations chez les habitants et leur souci de préservation de celles-ci est encore fort après plus de 50 ans d’usage. Dans le même temps nombres d’immeubles de la même époque ont été dynamités… Faisons donc un bilan carbone !
La Fédération Nationale des coopératives HLM reconnaît que ces opérations ont joué un rôle d’ascenseurs social pour ceux qui y vivent ou y ont vécu. N’est-ce pas là ce qu’il y a de plus important finalement ? N’est-il pas plus important de proposer aux Français un habitat confortable dans un environnement agréable et poétique où chacun puisse s’épanouir et s’élever plutôt qu’une stricte vision comptable de bilan carbone par essence partiale, orientée et illusoire ?
J’invite quiconque à produire un bilan carbone fiable entre un pavillon en construction légère, fondation superficielle et assainissement individuel tel qu’il est aisé de construire aujourd’hui et un appartement dans un immeuble de 50 logements sur deux niveaux de parking en béton avec ascenseur, tel qu’on les construit aujourd’hui, et en intégrant aussi le traitement des eaux usées. Pas sûr que le non-sens écologique et social soit là où il est attendu ! Sans compter l’analyse de cycle de vie intégrant les coûts de remise aux normes, la déconstruction et remise en état du terrain ! A vos calculettes.
Alors oui, il y a bien un problème « du pavillonnaire » en France mais il est lié au mépris des pouvoirs publics à son encontre (visiblement ce n’est pas près de changer !) et le manque de réflexion sur le sujet. Si les lotisseurs avaient déjà l’obligation de recourir à un urbaniste et un architecte indépendant, si les maires étaient assistés dans les projets de croissance de leur commune plutôt que laissés seul face à ces promoteurs et pavillonneurs ayant comme simple objectif de faire leur business… si l’Etat ne menaçait pas de fermeture tous les services publics à chaque fluctuation de population, si l’Etat faisait son travail en somme plutôt que de faire des incantations, le problème pourrait être résolu par le haut plus tôt que par le bas.
Il est vrai que pour ce faire, il faut s’entourer d’experts, de personnes dont c’est le métier, architectes, urbanistes, et non de communicants plus prompts à faire le buzz avec des slogans de greenwashing que de traiter les problèmes de fond.
Maintenant que tout le monde est au courant de la difficulté de madame la ministre sur son impasse écologico-économique personnelle, souhaitons-lui de trouver un promoteur qui remplace sa maison individuelle par un bel immeuble de 15 logements, dans lequel il ne manquera pas de lui réserver un beau trois pièces de 65m² avec espace extérieur de 4m² comme il se doit pour toute personne vivant en osmose avec la nature…
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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