Je n’en peux plus des expositions de collectionneurs. J’y vais, je suis faible. Si on me dit qu’il y a des Matisse, il faut que j’y aille. Chacun sa faiblesse, la mienne c’est Matisse, mais aussi Rothko, Schiele et Monet, toujours, mon premier amour, celui qui m’a poussé à faire histoire de l’art.
Alors, comme beaucoup d’entre vous, je suppose, je fréquente beaucoup les musées et les expositions. Et le privé est bien différent du public quand il s’agit de faire des expositions. Les lieux offrent des différences notables qui semblent influencer la composition ou la possibilité de composition des expositions.
Je déteste Gehry et je déteste la fondation Vuitton. A chaque voyage, car il s’agit d’un voyage d’y accéder, j’ai l’impression d’arriver dans un lieu dédié à une certaine élite, à une certaine clientèle qui vient voir le blockbuster de l’année dans le lieu du savant fou. Aller dans le bois de Boulogne en automne par jour de pluie est comme se retrouver dans un périple de flaque d’eaux entourée de BMW et autres voitures de luxe. C’est entendre les badauds ornés de leur sac gravé se plaindre de ne pas réussir à se garer.
Arriver à la fondation Vuitton, avec ses expositions blockbuster de l’hiver, c’est toujours attendre dehors dans le froid. Le bâtiment est ouvert depuis seulement six ans, aurait-on pu ou pourrait-on installer un abri pour les longues files d’attente et instaurer un contrôle plus rapide des entrées toutes quasiment obligatoirement réservées ? La foule drainée est plus facile à gérer au Louvre que dans une fondation quasi neuve ! Mais il ne faudrait surtout pas gâcher la vue sur le paquebot de verre et de tôle.
Le chaos est aussi palpable dès l’entrée où peu d’indications s’offrent aux visiteurs pour s’orienter, si ce n’est la boutique-souvenirs à gauche et les guichets à droite. Il faut un peu de temps pour se repérer dans le lieu. Une fois la première visite passée, c’est presque facile.
Le pire du lieu reste cependant ses espaces muséographiques. Toute visite commence au -1. En suivant l’escalator, un goulot d’étranglement invite à faire la queue de nouveau pour accéder à l’exposition. Ah bah oui, il faut attirer le chaland et le faire poireauter car l’espace n’est pas dimensionné pour accueillir tant de personnes. Si vous n’avez pas envie/besoin de lire la biographie des frères Morozov, tant pis, c’est obligatoire puisque vous attendez de pouvoir accéder au vestibule d’entrée, bondé. Les galeries semblent volontairement structurées pour ne pas pouvoir y circuler aisément, avec des coins et des recoins. Par ailleurs, si vous avez l’intention de revenir sur vos pas, n’y comptez pas, c’est strictement interdit et écrit à chaque étage. « RETOUR INTERDIT. Merci de respecter le sens de la file ». On suit la file comme dans un supermarché. Que le visiteur ou la visiteuse puisse avoir envie de faire des liens entre les œuvres, nouer une conversation intime entre les œuvres lors de son parcours qui l’invitent à aller revoir certaines d’entre elles, pour cela, il ou elle devra de nouveau payer (et revenir).
Vous suivez alors, vous remontez au rez-de-chaussée pour la suite, après avoir suivi l’escalator et que cela soit pour Chtchoukine ou Morozov, vous trouverez dans les galeries 3 et 4 des salles dédiées à Gauguin. Au moins, d’expositions en expositions, pas de surprise : les ensembles sont souvent mis en avant par monographie.
Puis, vous reprenez de nouveau l’escalator et accédez au 1e étage, ayant perdu la notion de sens. Vous suivez comme un.e imbécile les salles qui se succèdent, trop petites souvent pour accueillir les artistes qui ornent les murs. D’ailleurs, si vous voulez voir la Ronde des prisonniers de Van Gogh, c’est en sortant de la salle des natures mortes, vous sortez de l’exposition, vous suivez le couloir noir et vous vous mettez à faire la queue pour accéder à la salle avec le tableau unique. Tant de files d’attente épuise. Si vous voulez passer votre tour, pour accéder à la fin de l’exposition, monter par l’escalier pour les dernières salles, dont les Matisse et Maurice Denis.
Le tout forme 11 galeries, non obligatoirement connexes sur quatre niveaux. Si vous êtes une personne à mobilité réduite, ne comptez pas sur un parcours fluide pour parcourir l’exposition. En cherchant vainement les toilettes, jamais signalées – il est fort possible que l’on ne fasse pas pipi chez Bernard Arnault – vous trouverez peut-être les ascenseurs, eux aussi mal indiqués. Les médiateurs servent largement de Monsieur ou Dame Pipi plutôt que de remplir leur tâche d’expliquer les œuvres aux visiteurs.
Expositions après expositions, le lieu s’avère toujours aussi chaotique, le manque d’unité, l’obligation d’interrompre son immersion artistique pour monter, toujours monter, jamais descendre, rend le lieu peu accueillant pour les œuvres qu’il expose. Les œuvres servent-elles à mettre en valeur l’architecture ? Ou alors, les thèmes mêmes des expositions, dédiées à de riches collectionneurs russes d’art français, spoliés par la nationalisation patrimoniale des méchants « rouges », n’ont-ils d’autre vocation que légitimer la démarche même de nos collectionneurs « philanthropes » dont Bernard Arnault le 1er ? Après tout, exposer les collections d’autres collectionneurs, c’est investir sur son propre avenir et sa propre reconnaissance.
Durant mes pérégrinations de ce long week-end, Orsay a été plus accueillant. Le lieu offre une unité, une possibilité de revenir dans son parcours, d’embrasser le temps d’une visite une exposition dans sa composition, d’avoir une meilleure appréciation du travail des commissaires et du choix des œuvres qu’ils proposent, des thèmes de l’exposition. « Enfin le cinéma » laisse parfaitement entrevoir, par la scénographie et les espaces unifiés, les différents moments de la vie artistique moderne qui ont été explorés pour accompagner la découverte et les sujets des premiers films animés.
L’exposition « Signac collectionneur » permet de faire des allers-retours, de revenir à la genèse du néo-impressionnisme, de comprendre le projet de collection de l’artiste, discours moins simpliste que celui de la collection Morozov, et de revisiter lointainement les engagements anarchistes de Signac. Il y a un investissement plus important grâce à la scénographie de l’exposition, plus que de réunir les pièces d’une collection, certes russe, certes emblématique.
Cette sensation de ne pas aimer Gehry, je l’avais déjà éprouvée, il y a douze ans à Bilbao, en automne déjà, et sous la pluie aussi. J’avais été éprouvée par une visite au Guggenheim où je n’arrivais ni à me situer, ni à trouver la cohérence de l’exposition. L’un allant avec l’autre. Ne pas comprendre l’espace me donne l’impression de ne pas pouvoir appréhender ce que j’y vois et de toujours devoir chercher où j’en suis et où je vais. Je perds la liberté de me laisser envahir par l’art pour tenter de comprendre comment aller appréhender la suite. Je passe plus de temps à réfléchir sur le lieu que sur les œuvres exposés. Je l’ai éprouvé de nouveau, cette fois au début de l’été, lors de l’exposition Méliès à la Cinémathèque, en devant monter puis redescendre pour suivre le fil, sortir et entrer de nouveau dans l’espace d’exposition.
C’est peut-être primaire mais j’aime appréhender l’espace, même sommairement, comprendre pour déambuler et flâner à l’envi. Gehry me l’interdit et m’impose toujours le même chaos, que je maîtrise bien maintenant, mais qui m’éreinte à chaque exposition.
Julie Arnault