Quand la langue d’Emmanuel Wargon a fourché en octobre 2021 à propos de la maison individuelle « non-sens écologique, économique et social », c’est probablement aux maisons de constructeur qu’elle pensait. Or, pendant que tous les projecteurs de la polémique se portaient sur elle, personne pour remettre en cause, à propos de maison individuelle justement, un autre ministre, autrement dangereux : Bruno Le Maire, dont le site ministériel recommande le contrat de construction de maison individuelle (CCMI). Lettre ouverte.
Monsieur le ministre, de l’Economie, des finances et de la relance,
Monsieur le ministre, en écrivant sur votre site* que « Le contrat de construction de maison individuelle a été conçu pour protéger les consommateurs. Il offre un degré de sécurité juridique plus élevé que d’autres contrats de construction », vous mettez en danger l’avenir des Français qui vous croiraient sur parole.
En effet, vous confondez production industrielle et construction de bâtiment. Dans une production industrielle, des objets identiques sont conçus après une mise au point de nombreux prototypes puis sont fabriqués de façon automatisée, parfaitement contrôlés et échangeables en cas de malfaçon ; enfin, ils sont vendus. Ainsi le client achète un produit existant et fiable ; il ne risque rien, à part l’obsolescence programmée.
Dans le bâtiment, c’est tout l’inverse, à commencer par l’acte d’achat initial d’un produit qui n’existe pas encore. Sera alors bâti un prototype unique, fait à la main, qui ne sera guère réparable et qui ne sera pas échangeable s’il est défectueux.
Vous croyez que mentionner dans un contrat que « tout sera idyllique » suffit à éloigner les mauvais esprits et faire d’un chantier une promenade semée de pétales de roses ? Toute construction est un prototype unique : il n’y a aucun droit à l’erreur, ni dans sa conception, ni dans sa réalisation.
Or, lors de la construction de sa maison, le client, néophyte signataire de ce fameux CCMI que vous promouvez, ne saura rien des malfaçons commises à tout moment, des fondations aux revêtements de sol. Il sera aveuglé par le constructeur, son interlocuteur unique qui lui cachera la réalité de l’opération. Le client réalise toujours trop tard l’étendue du désastre.
Voici ce que tout le monde, y compris un ministre, doit comprendre à propos du CCMI.
Prime à la mauvaise qualité : Le client, logiquement, veut le meilleur résultat pour son investissement. Au contraire, l’intérêt financier du constructeur est de lui vendre le plus cher possible ce qui lui reviendra le moins cher possible, en quantité et en qualité de matériaux et, bien sûr, en sous-traitants choisis pour leurs prix les plus bas de la place et qui, il est permis de le penser, ne seront pas les meilleurs. Ainsi, plus la qualité sera mauvaise, plus le constructeur gagnera de l’argent. Le CCMI est une prime financière que le client verse au constructeur de maisons individuelles pour l’encourager à une mauvaise qualité des travaux.
Piège à plus-values : une fois le CCMI signé, le client souhaite presque toujours modifier ou simplement choisir des prestations. Le constructeur ne permet pas de faire réaliser des travaux « en direct » par d’autres artisans, à un prix normal, quand lui-même propose des avenants à des prix excessifs. Quand le client réalise qu’il est piégé, il doit surpayer pour avoir ce qu’il souhaite.
Personne ne surveille les travaux pour le client, personne ne veille à ses intérêts. Bien sûr, il n’y a de contrôle véritable qu’indépendant des intérêts financiers. Le constructeur fait ce qu’il veut car le client est écarté de la conception technique de l’ouvrage, du choix des sous-traitants (au mépris de la loi sur la sous-traitance, d’ailleurs), des prix réels des ouvrages, des malfaçons éventuelles qui ne lui seront évidemment pas révélées par le constructeur. Qui protégera les intérêts du client ainsi paralysé ?
Le client surpaie les travaux. La marge brute des CCMI est en général de +30% par rapport au coût des travaux, souvent bien plus, jamais moins de 25%. À comparer aux 12 à 15 % des architectes. Le CCMI est un gaspillage pour le client.
À cela, ajoutons qu’il n’existe pas de diplôme de constructeur ; c’est une profession « ouverte » à qui veut en faire partie, sans contrôle de compétence, ni en conception architecturale (pourtant reconnue d’intérêt public), ni en droit, ni en technique, ni en probité (ce n’est pas une profession réglementée devant respecter un code de déontologie).
Notons encore que le CCMI, soi-disant assorti d’une « garantie de livraison à prix et délai convenus », comprend presque toujours une franchise de 5% à la charge du client (soit, pour un contrat de 150 000 € par exemple, un surcoût de 7 500 €, quand même) et un délai contractuel souvent délirant (on trouve des délais contractuels d’un an, voire de deux ans ! pour une construction ne nécessitant que six mois de travaux).
Bref, le client qui signe un CCMI a perdu ses pouvoirs de maître d’ouvrage, il ne sera plus au courant de rien, il n’aura pas accès au dossier technique, au choix des artisans, à la véracité des prix, au contrôle du chantier, il n’aura aucun conseil désintéressé et il devra se résigner à subir. Le CCMI est un contrat très dangereux, « contre-nature » ; il n’a rien à faire dans le monde du « bâtiment ». Dans le monde-là, « refaire après coup » est toujours problématique, parfois impossible.
Comment arrive-t-on à bon port quand on traverse une jungle ? Tout simplement en ayant un guide fiable et qui connaît bien le terrain, pour protéger des dangers. Les aléas, les dangers d’une construction se préviennent, s’anticipent. Pour cela, il faut un tandem : un client éclairé, c’est-à-dire un maître d’ouvrage, et un professionnel qui éclaire son client, justement, c’est-à-dire un architecte**.
Puisque la maison de constructeur est un sujet, comme semble le penser Emmanuelle Wargon, vous faut-il vraiment faire la retape pour ce CCMI d’évidence un « non-sens écologique, économique et social » et dangereux pour les clients?
Jean-François Espagno
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** Le contrat de construction de maison individuelle (CCMI)
* Les architectes constituent une très vielle profession, créée dès que l’on a commencé à bâtir (l’architecte Imhotep construisait des pyramides il y a près de 5000 ans). Ils constituent aujourd’hui une profession réglementée, sous tutelle de l’État. Ils sont le plus souvent formés dans des Écoles d’Architecture publiques, et leur inscription au Tableau de l’Ordre est validée par votre collègue, ministre de la Culture. Bref, les architectes existent toujours car leur rôle est irremplaçable.