La mixité fonctionnelle au sein d’un seul immeuble plutôt que dans le cadre d’un îlot multiprogrammes est un exercice difficile. C’est cette voie qu’explore pourtant depuis plusieurs années l’agence Hérault-Arnod Architectes. A Rennes (35), ils ont livré au printemps 2016 un bâtiment comprenant les locaux de l’Université de Bretagne-Loire (UBL), un restaurant universitaire, des espaces sportifs de loisirs et une résidence pour étudiants-chercheurs étrangers. Visite.
Située à quelques encablures de la gare SNCF de Rennes, la Cité internationale Paul Ricoeur se dresse fièrement face aux Champs Libres – un bâtiment signé par Christian de Portzamparc qui regroupait déjà plusieurs programmes (le Musée de Bretagne, une bibliothèque et un espace des sciences) – sur l’esplanade conçue par l’ANMA. «Le nouvel équipement a pour vocation de clore la ZAC Charles de Gaulle, un quartier dédié à la culture, aux loisirs et à l’international, désormais renforcé par l’implantation des bureaux de l’Université Bretagne Loire (UBL)», explique Isabelle Pellerin, vice-présidente de Rennes Métropole en charge de l’enseignement supérieure et de la recherche, aux journalistes venus découvrir le nouvel équipement, le 21 juin 2016.
La parcelle exiguë joue le rôle délicat de charnière entre l’éclectique quartier contemporain et un tissu urbain pavillonnaire traditionnel avec ses toits en ardoise. L’urbanisme de la ZAC joue aussi avec la mixité puisque «l’un des enjeux du projet est l’articulation des échelles de la ville traditionnelle et de la ville moderne, à la fois par l’organisation de ses volumes et la disposition de ses fonctions», explique Isabel Hérault, l’architecte du projet.
La forme architecturale de l’immeuble résulte donc à la fois de la contrainte des rues bordant immédiatement la parcelle et de la juxtaposition de logiques urbaines différentes. «Nous ne décidons pas des programmes mais nous cherchons à faire émerger des synergies dans la ville monofonctionnelle», poursuit l’architecte. «Ici le programme définit la question urbaine à l’échelle du bâtiment, dont nous avons renforcé la puissance grâce au mélange des fonctions», dit-elle.
Quatre programmes bien différents cohabitent au sein de l’équipement rennais : le centre sportif au sud, les locaux de l’UBL en façade ouest, la résidence pour chercheurs étrangers au nord, le tout s’articulant dans une enveloppe compacte autour du restaurant universitaire, traversant du sud au nord. «Il y a une salle de judo, une salle de danse et une autre pour les sports collectifs. L’implantation de nouveaux équipements sportifs constitue un véritable défi dans les centres-villes, ici nous gageons de la réussite du projet sportif, dans une réalisation intéressante qui mêle plusieurs usages», précise Yvon Léziart, élu en charge des sports à la ville de Rennes.
La forme du bâtiment témoigne de la multitude des programmes qu’il abrite. Le vaste socle monolithique qui suit l’alignement des rues abrite le restaurant, les bureaux et les gymnases, tandis qu’un volume, identifié par la multitude de balcons disposés aléatoirement, émerge en partie haute pour loger les 79 chambres des étudiants-chercheurs. Chaque entité possède sa propre entrée et des circulations indépendantes, garantes d’une autonomie de fonctionnement. Si la multifonctionnalité permet de minimiser les surcoûts, encore doit-elle être organisée dans un souci de cohérence. En l’occurrence, alors qu’il est géré par plusieurs clients, le bâtiment a été conçu sous l’égide d’un seul maître d’ouvrage, Rennes Métropole, ce qui, analyse Isabel Hérault, est l’une des raisons de la réussite du projet.
«La complexité du montage de l’opération se reflète dans la façon de concevoir l’édifice, d’imaginer les indépendances, les interactions de réseaux, les ouvertures, les superpositions, les vues…», relève l’architecte. L’enveloppe en aluminium et en verre, grâce à un système d’aiguilles pare-soleil verticales ou horizontales, laisse entrevoir cette cohabitation en même temps qu’elle protège des vues extérieures. Pour souligner la mixité du programme, des vues sont par ailleurs ménagées d’un programme sur l’autre : les basketteurs seront observés par les fonctionnaires de l’UBL qui seront visibles à leur tour depuis la terrasse collective de la résidence.
En regard des trois différents propriétaires, chaque façade est traitée comme si elles étaient la principale. «Une des contraintes a été de trouver les règles juridiques et techniques de la cohabitation, comme dans toute copropriété. Concernant l’étanchéité, les réseaux communs, les fluides ou les compteurs, il a fallu parfois doubler les installations», déplore Mickaël Dusson, architecte en charge du projet dans l’agence parisienne.
Cela étant, la mutualisation des bâtiments pour plusieurs utilisations est destinée à permettre une économie d’échelle et des prix de construction plus intéressants. «Nous constatons ici une optimisation de l’enveloppe compacte car nous développons moins de façades que si nous avions conçu trois ou quatre bâtiments», souligne Isabel Hérault. De fait, la compacité de l’objet est un gage de meilleurs rendements thermiques ; les aiguilles, associées à des vitrages plus ou moins foncés selon leurs orientations, permettent une gestion de l’ensoleillement qui laisse ouvertes les vues sur les quatre points cardinaux de la ville. Un jardin d’hiver derrière la façade nord joue le rôle de tampon thermique et phonique.
«En France, il y a une tradition de la ville et des bâtiments monofonctionnels, et les promoteurs demeurent généralement réticents à développer la mixité dans des programmes de bureaux et de logements, contrairement aux villes d’Asie qui, en raison du manque de foncier, mutualisent les projets», observe Isabel Hérault. Sans même parler de la réglementation française arc-boutée sur un découpage strict de l’activité humaine. L’agence, depuis la livraison en 2004 de ‘L’immeuble mixte’ à Grenoble, s’est pourtant attachée à poursuivre ses réflexions autour de la mixité programmatique. A Grenoble il lui fallut concevoir des locaux d’activités, un parking public et des logements sociaux et en accession. Lors de la réhabilitation du site minier d’Oignies, dans le Pas-de-Calais, l’agence est parvenue à créer des synergies entre le patrimoine, l’existant à réhabiliter et les bâtiments neufs.
«A Rennes, c’est le projet de la maturité. Nous avons pu traiter les usages variés dans un bâtiment simple et unitaire, dans lequel tout est traité dans le socle installé en partie basse», conclut l’architecte. Les premiers fonctionnaires semblent d’ores et déjà satisfaits de leurs nouveaux bureaux et la résidence universitaire devrait afficher complet dès la prochaine rentrée.
Comme à Grenoble, le parti architectural de ce projet est in fine très politique puisqu’il exprime la nécessaire mixité sociale et fonctionnelle de la ville en fondant son identité sur l’assemblage des différents programmes.
Léa Muller