Depuis le 24 février 2022, la Russie de Poutine prend d’assaut l’Ukraine. Bien que ce ne soit pas le premier conflit depuis la fin de la seconde guerre mondiale en Europe, c’est le premier qui suscite en France un tel élan de solidarité. Et les architectes ? Dans quel ordre ?
Dès le début du conflit, l’architecte Martin Duplantier*, également président de l’association AMO (Architectes et Maîtres d’Ouvrage) a lancé un appel pour l’accueil d’architectes ukrainiens contraints à l’exil. Très vite, l’AFEX (Association Française des Architectes à l’Export) s’est associée à cette initiative spontanée, lui donnant encore plus de poids.
S’en sont suivis les félicitations du Conseil de l’Ordre national des Architectes (CNOA) « de prendre ainsi les devants » et quelques architectes d’indiquer leur volonté d’accueillir dans leur agence. C’est finalement assez peu de réactions au regard de l’importance des réseaux que brassent l’AMO et l’AFEX. D’autant que ces deux associations à but non lucratif ont ensuite diffusé un formulaire afin de faciliter la mise en contact entre les réfugiés et les agences, ce qui a déjà permis de concrétiser la venue à Montpellier à l’agence A+ Architecture d’une architecte ukrainienne.**
Il a cependant fallu deux semaines pour que le CNOA publie sur son site une liste des actions menées pour soutenir l’Ukraine et les architectes ukrainiens. L’initiative AMO/AFEX y tient grande place, l’Ordre expliquant publier sur son site des demandes d’emploi des professionnels ukrainiens cherchant à s’établir en France, avec un tuto en anglais pour expliquer le fonctionnement du site. Jusque-là, rien de bien neuf, puisque la fonction déposer une recherche d’emploi existait déjà. Reste à savoir sir les Ukrainiens, prostrés dans le métro de Kiev auront la possibilité de penser à consulter la page de l’Ordre des Architectes français.
D’autant que cette page rappelle que les titulaires de passeports biométriques ukrainiens n’ont pas besoin de visa pour se rendre dans les pays de l’espace Schengen. Là encore si ce rappel est sans doute utile, l’aide proposée par l’Ordre semble bien peureuse.
Il est vrai que le CNOA a par ailleurs créé une page Facebook « Solidarité avec les architectes ukrainiens » qui, au 21 mars 2022, compte 198 membres pour recenser les initiatives. Il leur manque visiblement un modérateur et de la visibilité, créer une page sur internet ne relevant par vraiment de l’œuvre solidaire en l’état, surtout quand elle est laissée quelques jours plus tard à l’abandon.
Cependant, c’est ici que d’autres initiatives prises par les antennes régionales se découvrent. L’Ordre des architectes d’Occitanie a par exemple voté une motion permettant de créer un budget qui sera octroyé en aides pour les professionnels de la région, tandis que l’Ordre de Loire-Atlantique se relevait les manches en organisant une collecte. L’Ordre de la région PACA offre quant à lui un soutien aux ressortissants qui arrivent. Moins attentifs aux publications mais plus ancrés dans la réalité des territoires, les ordres régionaux se montrent apparemment plus réactifs.
Enfin, à l’échelle du continent, le Conseil des Architectes d’Europe (CAE) va « dans les prochains jours créer une plateforme pour centraliser l’ensemble des initiatives portées par ses membres en faveur de l’Ukraine ». Effet d’annonce ?
L’Ordre n’est visiblement pas la seule institution ayant un peu de mal à réagir effectivement et efficacement. Notons à ce propos le très engagé communiqué de l’UIA qui condamne « fermement l’invasion de l’Ukraine par la Russie », communiqué révélateur de bien des prises de position ces dernières semaines qui relèvent davantage de l’incantationb – « la guerre c’est mal » ou « courage à nos confrères ukrainiens » – que d’un réel engagement concret.
D’autant que quelques rares actions témoignent que l’engagement peut se concrétiser, ne serait-ce qu’à petite échelle. Citons par exemple l’initiative de l’agence A+ Architecture à Montpellier qui s’apprête dès le mercredi 23 mars à accueillir Viktoria, jeune architecte de 22 ans et qui ne parle pas encore français. Clément Rabourdin, jeune associé de l’agence, mise sur le dessin, le langage commun des architectes, pour faciliter l’intégration.
Alors que l’Ordre anticipe les besoins immenses en reconstruction « en facilitant l’accueil des étudiants ukrainiens dans les écoles nationales d’architecture », une rapide recherche montre que le réseau des ENSA ne s’est pas encore mobilisé malgré quelques modestes mais concrètes actions comme à Marseille où une collecte a été organisée. D’aucuns mettront en cause l’inertie administrative propre aux ENSA. Quant à l’ESA, qui se décrit comme « École libre, internationale et ouverte aux évolutions du monde contemporain », si l’école s’engage, c’est silencieusement, ce qui, ces temps-ci, n’est plutôt pas bon signe.
Une exception cependant. Le hasard voulait qu’un workshop étudiant devait être organisé en mars 2022 avec des étudiants de l’école d’architecture de Kharkiv et des étudiants de l’Ecole Confluences, fondée par Odile Decq et aujourd’hui installée à Paris. Projet évidemment tombé à l’eau mais dès le démarrage des hostilités, l’architecte française a immédiatement proposé une aide à la directrice de l’école ukrainienne, notamment sous la forme d’un accueil d’étudiants.
Une des étudiantes de Confluence s’est rendue à la frontière et a su ramener Natalia, une étudiante de l’école de Kharkiv jusqu’en France. L’école lui offre l’enseignement du semestre afin qu’elle puisse terminer son année tandis que la solidarité entre élèves fait le reste, notamment en termes d’hébergement. « Nous sommes une petite école et nous avons su être très réactifs », souligne Odile Decq.
Si Natalia et Viktoria ont la chance d’échapper au moins quelque temps aux bombes, ce n’est pas le cas d’un grand nombre d’architectes et d’étudiants en architecture d’Ukraine, certains ont fui, d’autres ont pris les armes. « Afin de permettre à ceux qui le peuvent de continuer à avoir un accès à un contenu pédagogique, l’école de Kharkiv a mis en place avec l’aide de Confluences un système de cours en ligne » continue Odile Decq. « Pour pallier les difficultés d’accès au réseau internet de certains professeurs ukrainiens qui ont trouvé refuge dans des abris de fortune, les enseignements de l’école française sont aussi invités à participer à ces cours hors les murs » ajoute-t-elle.
Pour l’architecte française, plus que de solidarité, il faut « redonner le sens de l’engagement aux étudiants d’aujourd’hui pour contribuer à recréer une Europe forte ».
Ces trente dernières années, Internet avait contribué à abolir les frontières terrestres de l’Europe géographique mieux que l’Union européenne, tout le temps tiraillée, ne semblait pouvoir le faire. La mondialisation du territoire a lentement permis la création d’une culture européenne portée par des générations qui n’avaient pas connu les conflits du siècle dernier. La guerre en Ukraine vient de raffermir ces liens.
Alice Delaleu
*Lire notre article Pour Martin Duplantier, l’Ukraine est l’Europe. L’U.E.kraine.
** Lire notre article De Kiev à Montpellier, un recrutement un peu particulier