Le 2 mai 2022, la préfecture du Val-de-Marne a publié le rapport de la commission d’enquête émettant unanimement un avis défavorable au prolongement de la ligne 1 du métro parisien. Elle devait pourtant enfin desservir des zones enclavées de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Vincennes et Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Ou quand les politiques vont à contresens du bon sens territorial ?
Dans son rapport d’enquête, l’avis défavorable est unanime contre la déclaration d’utilité publique du prolongement sur trois stations de la ligne 1 du métro parisien dans le but de renforcer l’attractivité de l’Est parisien. Les enquêteurs se sont appuyés sur une enquête publique de janvier 2022 à laquelle 8 279 personnes ont répondu, un record.
Les habitants de la proche banlieue sont déçus. Le métro tant attendu qui devait relier la station Château de Vincennes au RER de Val-de-Fontenay (Val de Marne) après avoir traversé Montreuil-sous-Bois ne verra sans doute pas le jour au motif que « la balance avantages/inconvénients de l’ensemble des critères penche incontestablement du côté des inconvénients qu’[il] générerait ». Passé au filtre, comprendre que le projet mené par IDF Mobilités coûterait bien trop cher pour un impact environnemental non négligeable. Arguments de facilité ?
Bien que le « caractère d’intérêt général » ait été relevé, il est vraisemblable que les enquêteurs ne se sont pas fatigués à se rendre un matin à l’heure de l’embauche ni dans les RER A et E, au départ de Val-de-Fontenay, ni au terminus de la ligne 1 à Château de Vincennes. Ils se sont encore moins offert le luxe d’un safari-voiture dans les embouteillages entre l’A86 et l’A3 ou dans les accordéons en ville(s) au moment de déposer tout ce que les villes font d’enfants pour les écoles.
Bref, ils ne se sont sans doute pas rendu compte à quel point ce territoire si mal desservi tout en étant si proche de Paris souffrait chaque jour d’un mal des transports chronique auquel un premier remède efficace aurait été quelques stations de métro supplémentaires.
A l’heure du grand ramdam du nouveau métro du Grand Paris et de la métropolisation galopante de l’Île-de-France, le projet, porté par La Région, alors en pleine possession de ses prérogatives avait été largement soutenu par les élus des trois villes, de sensibilité politique pourtant différente (Charlotte Libert-Albanel à Vincennes, Patrice Bessac à Montreuil-sous-Bois ou Jean-Philippe Gautrais à Fontenay-sous-Bois) alors que les populations l’avaient plébiscité, à 92 % dans un sondage Ipsos. À terme, ce sont 95 000 voyageurs quotidiens que les trois stations (Grands-Pêchers, Rigolos et l’extension de Val-de-Fontenay) devaient voir défiler.
Le coût de l’opération estimé à 1,7 milliard d’euros avait de quoi faire bondir et offrait un premier argument de poids en défaveur du projet. A titre de comparaison, la commission rappelle que le prolongement de la ligne 11 vers Rosny-Bois-Perrier, à utilité comparable, était budgété à 1,8 milliard d’euros pour six arrêts.
« Depuis le début, le SGPI ne voulait pas sortir le chéquier et la commission d’enquête lui déroule le tapis rouge », a réagi Gaylord Le Chéquer, premier adjoint du maire de Montreuil cité dans Les Echos (3/05/22).
L’avis de la commission d’enquête rejoint cependant l’avis de l’Autorité environnementale qui, comme la SGPI, n’était pas favorable à l’opération au motif que le nombre d’arbres à abattre serait bien plus important que l’estimation du projet donnée par île-de-France Mobilités.
Bien sûr l’impact social doit être maîtrisé davantage qu’il ne l’est dans d’autres villes en attente de leur gare du Grand-Paris où les prix au m² du foncier a augmenté en moyenne de 25 % en cinq ans.
Allonger les distances à grand renfort d’infrastructures urbaines ne peut être la seule solution pertinente alors que le télétravail se démocratise et que les familles (privilégiées) choisissent davantage de vivre loin des villes alors qu’une autre solution consisterait à privilégier d’habiter au plus proche de son travail.
Mais penser l’impact immédiat d’un tel chantier comme argument à sa suspension immédiate relève du non-sens à la fois urbain, territorial et, surtout, social. Le coup d’arrêt subit aura des impacts environnementaux et territoriaux bien plus dommageables sur le temps très long de son exploitation.
Rappelons-nous que la ligne 1 du réseau de chemin de fer métropolitain de la ville de Paris, conçue pour relier la Porte Maillot à l’ouest à la Porte de Vincennes à l’est fût la première ligne inaugurée en 1900 (construite en deux ans), la station Château de Vincennes inaugurée en 1934. C’est d’ailleurs dès 1936 que l’idée de prolonger de nouveau la ligne émergea. L’hyperdensité d’aujourd’hui, qui n’a rien à voir avec celle d’il y a 110 ans, n’explique pas toute l’incapacité des politiques de la ville à faire face aux défis territoriaux dès qu’il s’agit de la banlieue populaire, au sens le plus littéral du terme.
Considérant également comme négative la rentabilité socio-économique du projet, reprenant ainsi un argument du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) qui avait déjà pointé l’argument de la rentabilité négative alors que l’administration sous l’autorité du Premier ministre Jean Castex avait déjà émis un avis défavorable au projet dès l’automne 2021. Un critère qui bénéficie toujours des mauvais arbitrages autour du tunnel sous la Manche ou de l’Orlyval et qui va à l’encontre systématique de toute nouvelle infrastructure lourde.
Ce coup de massue pointe une fois encore une coutume française consistant à penser les retours socio-économiques des projets en les regardant depuis la focale locale, occultant largement les bénéfices à l’échelle de la grande région.
L’équilibre financier, environnemental et territorial aurait sans doute dû pencher favorablement en faveur de quelques gares construites et utilisées pendant plus de 100 ans contre des aléas en surface s’opposant à la lutte contre le changement climatique en favorisant toujours plus les embouteillages et le nombre de voitures sur les routes ou encore la baisse de la qualité de vie (en augmentant considérablement les temps de trajets banlieue-Paris et intra-départementaux).
A l’échelle de l’aménagement global du territoire, ce prolongement inné connectait de plus tout l’Est parisien aux infrastructures du Grand Paris via le pôle de Val-de-Fontenay qui nécessite une rénovation à cœur urgente
Selon la Préfecture, le conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilité dispose de six mois pour réitérer une demande de déclaration d’utilité publique. Que faire contre l’argument des chênes centenaires, illusion climatique et gageure environnementale ? (A suivre…)
Alice Delaleu
Au sujet des transports métropolitains dans une autre grande capitale, lire L’épique voyage architectural de la femme la plus célèbre du monde