Depuis un an, la cité Pierre Semard du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) a fait l’objet de divers articles de presse. La raison : le combat des locataires contre leur bailleur social, Seine-Saint-Denis Habitat, qui souhaitait démolir une partie de l’ensemble construit par l’architecte Iwona Buczkowska pour financer la réhabilitation tout en cédant une partie des terrains à Cogedim. Retour sur un combat de longue haleine.
La cité Pierre Semard, située au Blanc-Mesnil à quelques pas de la gare de RER, est un havre de tranquillité à proximité de Paris. La parcelle de six hectares en forme de triangle compte 225 logements sociaux, six ateliers d’artistes et des commerces et espaces communs. L’enveloppe en bois des logements s’épaissit et se densifie au fur et à mesure que l’on se rapproche du tissu urbain du Blanc-Mesnil.
C’est grâce à Jean-Pierre Lefebvre, alors directeur général de la Sodedat 93 – créée en 1975 et absorbée en 2009 par Séquano Aménagement (Ndrl) – qu’Iwona Buczkowska, alors toute jeune diplômée, peut construire la première cité en bois de France, écologique avant l’heure, et rappelant les vergers environnants. Onze prototypes sont élevés entre 1977 et 1982 afin de s’assurer de la viabilité du projet, de l’acceptation par les habitants de ces logements atypiques formés de pans obliques et de toitures pointues qui répondent à la forme triangulaire du terrain. Cela permet aussi de tester la possibilité nouvelle de construire en bois.
Une trame « bête », selon les mots de l’architecte et, en effet, en regardant les plans, la trame semble se déployer tel un origami grandeur nature à partir de l’enchevêtrement de solives en bois. L’opération est complétée en 1992.
La cité Pierre Semard forme un paysage atypique en Ile-de-France, où les habitants vivent dans une cité dont l’apparence rappelle celle des villages de montagne, loin donc de l’image habituelle des grands ensembles. Enchevêtrement de ruelles et de coursives en bois, l’accès à chaque logement peut se faire par des chemins différents. Des logements qui s’emboîtent les uns aux autres mais tous différents, avec de belle hauteur sous plafonds. Les façades très découpées permettent un éclairage changeant tout au long de la journée grâce à de nombreuses ouvertures. Chaque logement dispose d’une ou plusieurs terrasses, sans vis-à-vis, tout en rendant possible une forte convivialité.
Bon an, mal an, la cité vieillit. En 2014, les habitants, regroupés en grande partie au sein de l’Amicale des locataires créé en 1989, signent une pétition afin de demander au bailleur de réaliser des travaux de réhabilitation. Des problèmes d’infiltration, d’humidité, de fuite d’eau détériorent le cadre de vie des habitants. L’OPH 93 accepte les travaux, mais ceux-ci s’arrêtent rapidement en 2016. L’opération coûte cher.
Celle-ci pourrait en partie être financée par la vente à Cogedim du terrain attenant à la cité et reliant celle-ci au RER, 7 000m² d’espaces verts et le parking (gratuit) de la gare de RER ainsi promis au promoteur. Entre la ligne existante du RER et les lignes 16 et 17 du futur Grand Paris, le Blanc-Mesnil est promis à un bel avenir, promoteurs et spéculateurs ne s’y trompent d’ailleurs pas. En 2018, le permis de construire est accordé pour la construction de 244 logements et commerces. Le programme « Villa des sables » est lancé et les quelques images encore trouvables laissent songeur devant tant de qualité architecturale*.
L’Amicale des locataires est vent debout contre un projet qui dénaturerait leur cité ainsi que le cadre de vie de tous les habitants du Blanc-Mesnil. L’association et les seize locataires les plus impactés par les nouvelles constructions déposent un recours contre le permis de construire. Par ailleurs, des études mettent à jour l’impact sur la nappe phréatique des nouvelles constructions qui pourraient accroître le risque d’inondation dans le quartier. Les locataires obtiennent gain de cause.
Pour autant, Cogedim ne rend pas les armes et tente de négocier avec les locataires. Le promoteur propose 100 000, puis 300 000 et enfin 500 000 € en tout (1). Les locataires ont tous refusé ! A ce prix, il faut aimer son logement, et son cadre de vie pour ne pas céder !
Une obstination qui interroge cependant sur la rentabilité de l’opération : quelle marge le promoteur espérait-il sur ce terrain ? De fait, sorti par la porte, cela n’empêche pas Cogedim de tenter de revenir par la fenêtre.
Entre 2018 et 2021, le bailleur social, Seine-Saint-Denis Habitat, dont le directeur général (DG) n’est autre que le mari de l’ex-porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, fait traîner la rénovation, promettant de réaliser les études structurelles nécessaires puis de trouver les solutions et les financements pour le chantier. En attendant les logements qui se vident sont condamnés. Pendant près d’un an et demi, les habitants sont menés par le bout du nez par un bailleur qui promet, promet encore et toujours de rénover. Et le promoteur de revenir par la fenêtre.
En 2020, Seine-Saint-Denis Habitat, en accord avec la municipalité, propose ni plus ni moins que la destruction de 130 logements de la cité et le retour du projet de Cogedim pour financer les travaux de rénovation restant. Cogedim double la mise en proposant la construction de 500 logements (contre 244 dans le premier projet). Parmi ceux-ci seuls 48 seront destinés à remplacer les 130 logements sociaux détruits. La mixité sociale mérite bien que l’on ne remplace pas un logement social détruit par un nouveau logement social.
Les locataires reprennent le combat contre la destruction de leurs logements. Alertant les médias, les associations, etc., force est de constater que le combat a payé. La rénovation de la cité est actée par le bailleur social, dont la direction a entretemps changé. Le projet de Cogedim est abandonné, laissant un goût amer à la mairie.
La municipalité semble ne pas digérer complètement le combat des locataires, que pendant un temps elle a surnommé « Les bancales » en raison des toitures obliques des logements. L’ancien maire LR de la ville, élu en 2014 puis réélu en 2021, Thierry Meignen (adhérent au micro-parti de Valérie Pécresse, Libres !), qui a laissé son premier adjoint reprendre les rênes de la ville après avoir été élu au Sénat, continue, lors des séances du conseil municipal, de se lamenter du projet déchu du promoteur.
En effet, lors d’une séance du conseil municipal en décembre 2021, bien plus au fait que le maire actuel, c’est lui qui prend la parole lorsque Didier Mignot (dernier maire PC de la ville entre 2008 et 2014) demande des nouvelles du projet de Cogedim. La réponse ne laisse que peu de doute sur les regrets de la municipalité et son mépris pour l’architecture de la cité Pierre Semard :
« Comme vous le savez, il y a eu un recours de quelques habitants du quartier (…). Cela dit, c’est tombé en pleine élection municipale ; nous n’avons pas polémiqué, en attendant. Aujourd’hui, ces personnes ont saisi l’architecte de l’époque qui considère avoir réalisé un chef-d’œuvre alors que les habitants ne veulent plus habiter dans ces immeubles en bois, difficiles à chauffer, avec des ponts thermiques en pagaille. Toujours est-il qu’ils ont saisi les ABF dans la perspective de classer, ce qui serait un comble (…). Ce projet comportait deux volets, le volet sur le terrain de la Ville autour de la gare. On considérait qu’on ne pouvait pas laisser ainsi cette entrée de Ville en venant de Paris ou de Roissy, cette gare du RER B. Il y avait un projet immobilier de belle ampleur permettant de replacer sur le socle les commerces et d’en refaire une centralité avec des commerces pour les habitants du quartier. Seine-Saint-Denis Habitat sur la deuxième partie, sur les bâtiments en bois, pensait faire une opération miroir. Peu importe l’avis de Seine-Saint-Denis Habitat et on va laisser mûrir leur décision.
Pour ce qui concerne la Ville, on avait le choix de s’associer à un recours ou de choisir un autre sujet. Si le bâtiment est classé (et j’espère que ce ne sera pas le cas), on ne va pas s’engager dans des procédures qui prendront très longtemps et qui nous imposeront probablement des façades que l’on ne souhaite pas. On a un nouvel architecte des Bâtiments de France qui est insupportable. (…) Plutôt que se friter contre cet architecte qui risque de ne pas comprendre, on est tout près de prendre la décision de faire un parc. A la sortie de la gare RER B, il y aura un parc. Après tout, pourquoi construire encore à cet endroit-là, si on ne peut pas faire ce qu’on veut, autant changer le fusil d’épaule et chacun s’en portera d’autant mieux qu’on aura plus d’espaces verts, et notamment dans cette partie de la Ville ».*
Si l’espace semble se libérer de la pression spéculative, c’est au prix de la lutte des habitants pour préserver leur cité.*** Et encore, les promoteurs pourraient sûrement reprendre espoir si son classement n’est pas suffisamment protecteur. Une labellisation « Architecture contemporaine remarquable » n’empêcherait nullement la mairie de revenir à l’attaque sur les alentours de la cité.
Le changement à la tête de Seine-Saint-Denis Habitat**** semble avoir eu quelques effets sur les velléités de destruction et une réhabilitation complète de l’ensemble a été proposée. Une trentaine de logements sont encore condamnés, et certains locataires continuent à connaître de fuites d’eau, des ponts thermiques, etc. Un bureau d’études et un.e architecte doivent être encore désignés.
Iwona Buckowska à ce stade n’est pas associée à la rénovation de l’ensemble. Elle met son énergie aux côtés de l’Amicale et des locataires à faire connaître la cité. Des gens heureux qui vous ouvrent leur porte bien volontiers pour vous raconter la chance qu’ils ont d’habiter des pans coupés.
Julie Arnault
* https://bonaparte-promotion.fr/appartement-neuf/ile-de-france/seine-saint-denis-93/blanc-mesnil/villa-sables
** Les projets en cours au Blanc-Mesnil présentés sur le site de la ville ne laissent que peu de doute sur les goûts de la municipalité pour une architecture de pastiche proche des meilleures constructions du Plessis-Robinson : https://www.blancmesnil.fr/la-ville-change/grands-projets-urbains
***Parmi les autres exemples de collectif de locataire en lutte pour la préservation de leur habitat et du patrimoine : https://chroniques-architecture.com/a-aubervillliers-la-maladrerie-miracle-architectural-en-peril/ ; https://chroniques-architecture.com/butte-rouge-chatenay-malabry/
**** Patrice Roques, époux de Sibeth NdIaye a rejoint Nexity en qualité de Directeur général Habitat social et résidence gérés en septembre 2021, et Bertrand Prade a été nommé directeur général de Seine-Saint-Denis habitat en décembre 2021.
(1) Mis à jour le 31/05 à 21h.