Nous savons depuis quelques décennies que les hommes et femmes politiques français sont «responsables mais non coupables». La réalité serait-elle qu’ils sont tout simplement irresponsables ? En témoigne l’histoire édifiante de ce projet de 42 logements construit à Montreuil (93) par l’agence PetitdidierPrioux et livré en mai 2016.
En 2010, Cédric Petitdidier et Vincent Prioux avaient gagné en bonne et due forme ce concours avec un ‘projet bois’, une grosse caisse carénée comme il s’en construit tant désormais. Il se trouve que Dominique Voynet, à l’époque maire de Montreuil et ancienne ministre de l’environnement, malgré l’accord de tous les partis – «même les voisins n’avaient rien à dire» – déboule comme un chien dans un jeu de quille. «Je n’aime pas les plans coupés et le bois en façade», expliqua-t-elle. Des propos rapportés qui s’ils ne sont pas l’exact verbatim ne changent rien à l’affaire.
Au risque sinon d’innombrables délais dont ce pays a le secret, le financement étant par ailleurs déposé avec le permis et l’obligation afférente de construire, il fallait refaire le projet. «Messieurs, vous avez 15 jours !» fut-il annoncé en substance aux architectes. De l’influence du choix politique sur le choix architectural…
Certes un budget leur fut alloué pour ce complément d’études mais que penser de ce maire qui estime pouvoir prendre sur elle de désavouer autoritairement un jury souverain et qu’elle idée se fait-elle du métier d’architecte pour imaginer que 15 jours sont suffisants pour concevoir un projet de logements sociaux appelé à durer 50 ans au moins ? Quand toutes les temporalités sont réduites à ce point, que peux donner l’architecte ? La gageure est que l’agence PetitdidierPrioux est parvenue à proposer ainsi un projet que ses architectes assurent être meilleur que celui vainqueur du concours.
Dans ce quartier populaire hétéroclite où chaque bâtiment est la traduction fidèle jusqu’à la caricature des canons de son époque, leur bâtiment apparaît comme étant tout à fait singulier car s’il est parfaitement daté, bien que parfaitement neuf il donne aujourd’hui aux profanes le sentiment d’avoir toujours été là tout en se démarquant des immeubles existants alentours.
En effet, si les éléments qui font référence à l’architecture contemporaine telle qu’elle est produite aujourd’hui en France ne sont pas surlignés, pas plus que l’attention au contexte et à l’histoire – autant de clefs de conception incontournables aujourd’hui –, ils sont pourtant tous ou presque bien présents dans la composition.
La brique (naturelle sur les balcons, en parement sur les murs) offre un clin d’œil historique au quartier, les menuiseries en alu donnent un cachet discret et intemporel, les volets en bois parlent bien d’aujourd’hui, l’enduit n’est pas considéré comme un gros mot, le travail de percement des fenêtres, avec un percement pour deux pièces parfois, devient un élément de qualification et le jeu d’amoncellement des logements donne au bâtiment selon l’angle duquel on le regarde l’allure d’une «tour chancelante» même si, de quelque côté qu’on le perçoive, il est impossible de voir tout l’ouvrage d’un coup. Il y a bien sûr des terrasses plantées pour les vues et des espaces extérieurs, immenses, compris dans le volume.
Le nouveau projet est resté conforme au plan de masse initial, c’est-à-dire que ses architectes ont conservé le retrait par rapport aux bâtiments voisins, choisissant ainsi de gérer les prospects et d’offrir de vraies façades. Ils ont conservé également la venelle fondatrice du projet qui leur a permis de créer, en sus du bâtiment collectif à R+7, trois logements intermédiaires à R+1 et R+2 ainsi qu’une petite maison de ville.
«L’aménagement de la venelle a été prépondérant dans l’élaboration du projet puisqu’il a permis d’ouvrir des façades sur la ville et d’offrir un agrément de circulation entre voisins en lieu et place de pignons aveugles», expliquent Cédric Petitdidier et Vincent Prioux. De fait, la venelle a permis de situer l’entrée dans le jardin et non face à la rue, le parcours devenant ainsi essentiel à la façon de rentrer chez soi.
Pour la nouvelle définition du volume, ils ont choisi de travailler les étages deux niveaux par deux niveaux. Le projet, un objet à 360° et quatre façades, joue donc sur plusieurs écritures architecturales et deux échelles. «A l’objectif de redynamiser le quartier par une nouvelle approche de la densité, il nous a semblé pertinent de répondre en prenant le contre-pied des masses bâties alentours, statiques et presque inertes», disent-ils.
«L’architecture du bâtiment principal offre donc une silhouette animée, où les étages couplés deux à deux se superposent sans jamais se correspondre totalement. Il en découle un jeu de gradins et d’encorbellement, de terrasses et de porte-à-faux qui confèrent au bâtiment sa dynamique presque intrigante. Avec le jeu de retraits successifs, les étages hauts sont peu visibles et le nombre réel de logements perçus (38) est atténué. Ce dispositif présente en outre l’avantage de dégager de grandes avancées végétalisées tous les deux niveaux, offrant aux résidents un paysage proche et rassurant (l’effet de vertige est atténué par la vue des terrasses)».
Autre effet de cette conception, pas un des logements (T2, T3, T4 ainsi que 2 T5) n’est identique à un autre ce qui répond au besoin d’individualisation des locataires qui, chez eux, n’ont pas l’impression d’être chez le voisin.
Dernier avatar ayant contribué au succès de l’opération, l’obstination d’EDF qui, à la fin du gros œuvre, est venue leur annoncer la construction d’un transformateur dans le jardin à l’alignement du bâtiment voisin. Sans être pour autant des décorateurs de transformateurs, les architectes ont pris l’initiative de le faire peindre de la couleur même de ce bâtiment voisin datant sans doute des années 70 ou 80. Cette simple idée d’une part a permis de rendre plus intimiste encore le parcours à travers le jardin pour les habitants et, d’autre part, elle contribue désormais à renforcer le sentiment de déjà-là de l’immeuble car seul un œil expert d’électricien saurait déceler que ce transfo est neuf.
Noter enfin que l’OPH Montreuillois maître d’ouvrage s’est appuyé sur un montage ‘classique’ pour cette opération à 100% sociale. Dit autrement, le maître d’ouvrage a acheté le terrain, lancé un concours, choisi l’architecte et basta. «L’agence PetitdidierPrioux a parfaitement répondu à l’exigence de densité en imaginant une écriture différente sans oppresser ni les locataires ni le voisinage», se félicite Clémence Debaille, (à l’époque) directrice du pôle patrimoine et développement au sein de la maîtrise d’ouvrage.
Edifier des logements sociaux à Montreuil offre un bonus constructif inscrit au PLU de 25% de la capacité initiale du terrain. «Si cela permet effectivement de produire plus de surfaces, la densité créée ne doit pas générer des nuisances ou une perte de qualité dans les logements», soulignent les architectes. La densité exprimée ainsi offre à la fois une qualité de vie en commun aux résidents et un signal urbain intriguant, voire harmonieux, depuis la rue.
Il n’en demeure pas moins que si l’agence PetitdidierPrioux a pu travailler aussi vite, nonobstant le talent propre de ses architectes, c’est qu’elle s’est appuyée sur tous les codes ou presque de la construction de logement telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du «Collage urbain» d’Edouard François à Champigny-sur-Marne. Sauf que, en poussant par provocation jusqu’au bout la logique des codes actuels, Edouard François a construit un bâtiment tellement hétéroclite et archétypal qu’il ne communique plus avec son environnement mais seulement avec lui-même.
Cédric Petitdidier et Vincent Prioux ont eu la délicatesse de ne pas rentrer dans une logique de ‘manifeste’ mais de rester, dans le temps qui leur fut imparti, au plus près du confort et des besoins des locataires et des riverains. C’est peut-être pourquoi leur bâtiment se distingue tant de tous ceux qui l’entourent car il est, à lui seul, tous ces bâtiments.
Ironie de l’histoire. Le maire de la ville a changé et, depuis, selon le dernier credo de l’époque, les immeubles à façade bois pullulent à Montreuil.
Christophe Leray