Il y a ambiguïté dans le sens du mot « temps » entre le temps qui passe et le temps qu’il fait. Est-ce une chance d’utiliser hasardement le même mot pour qualifier deux notions aussi différentes que la météo et tout le reste de ce qui rentre dans le sens du mot temps, et qui n’est pas lié au climat ?
Google répond indifféremment à la ligne de prompt « temps » :
– continuité indéfinie, milieu où se déroule la succession des évènements et des phénomènes, les changements, mouvements, et leur représentation dans la conscience ;
– renvoi laconique à météo France.
Dans le temps (qui passe) il y a également plusieurs abstractions, éloignées les unes des autres, entre la période, la durée, l’époque, le moment et les circonstances, tous ces concepts pouvant se raccrocher au temps…
Allez savoir, avec cette ambivalence lexicale inscrite dans nos neurones, quel effet le temps qu’il fait a sur le temps qui passe ? En cas de déprime liée à des jours sans fin sous la pluie, le temps paraît bien long !
La langue anglaise, dont avec une grande clarté le mot « weather » qualifie le temps qu’il fait et « time » le temps qui passe, ne permet pas cette délicieuse confusion où quand il est question du temps que met un train pour aller du point A au point B, il est possible, grammaticalement, de s’inquiéter sur les données climatiques que traverseront ce train au cours de son périple entre A et B.
On peut opposer à cet aphorisme que tout est une question de contexte, que quand l’interlocuteur parle de la fiabilité de la SNCF, l’imbécile peut comprendre que le propos ne vise pas l’inquiétude légitime quant au climat.
Les Anglais ne connaissent pas ce trouble non plus quand ils disent « time is money », ils s’expriment avec cette clarté britannique qui fait l’apanage de cette civilisation où le port du parapluie ne concerne absolument pas la nostalgie proustienne du temps disparu.
La langue française possède également cet adage traduit littéralement par « le temps c’est de l’argent » ; mais cet adage en français concerne-t-il :
– la durée ? Un plombier comptant le quart d’heure passé dans les encombrements au titre des coûts de déplacement ;
– le climat ? La rente des plagistes bodybuildés, désespérés quand le soleil, voilé, réduit l’usage de leur matelas et parasol. Ou lorsqu’un patron d’hôtel dans une station de ski regarde maussade le ciel chiche en flocons qui d’habitude coulent en flots dorés sur ses mains avides. Par ailleurs l’hôtelier alpin et le plagiste bronzé sont souvent les mêmes : des saisonniers vivant du climat pour qui le temps qu’il fait est vraiment de l’argent.
Mais quand il s’agit du temps qui passe, le sens de cette relation complexe entre le temps et l’argent vient sans doute de notre façon d’exprimer, avec cette allusion au porte-monnaie, lieu symbolique s’il en est, le désarroi lié à une perte d’un soupçon de notre existence dans des tracasseries, le plus souvent administratives.
Personne n’est ignorant du débat qui se fait jour en ce moment, relatif au tourisme. Dans ces colonnes, l’hypertourisme a déjà été évoqué* comme une composante importante de l’espace public, mais il est important de noter également l’effet de ce phénomène récent, remis en cause aujourd’hui par une population excédée d’être considéré, baguette, poireaux et béret basque, comme une anecdote vivante au sein de ses vieilles pierres.
Il semblerait néanmoins qu’il y ait connivence entre l’amour des vieilles pierres pour le seul fait de leur âge, témoignage d’une époque où on savait construire, mon pauvre Monsieur, et une économie friande des devises des consommateurs de Notre-Dame en boule avec neige.
Pas friande, affamée…
Le débat qui fit rage il y a quelque temps à propos de la flèche de Notre-Dame, classée au patrimoine mondial de l’humanité, a sans doute été résolu, tableau Excel en main, en fonction des retombées économiques entre un machin postmoderne, preuve inéluctable de la vivacité de notre création contemporaine à la sauce des grands noms pour marquer l’époque, en même temps qu’on en réduit le champs des possibles, et une reconstruction à l’identique de l’objet qui naquit au milieu du XIXe siècle, de la même problématique à la sauce Violet-Le-Duc.
Quel impact sur le nombre de visiteurs avec une nouvelle flèche ou avec la vieille reconstruite à l’identique avec ses tartinades pseudo gothiques, et ses modénatures faussement médiévales ?
Vous savez sans doute quelle option a été choisie par l’Elysée soi-même (mais de quoi ne se mêle-t-il pas ?), mais ce que nous ne connaissons pas est le chiffre de la dérive de la fréquentation qu’une nouvelle flèche aurait causé…
Dire qu’il a collusion entre les intentions de la conservation du patrimoine et les intérêts économiques qu’ils génèrent est un vain mot. Culs et chemises sont les services officiels de l’économie touristique et les défenseurs de l’ordre architectural. Pas une vieille pierre ne peut être démontée sans l’autorisation de l’Etat. Par vieille pierre s’entend ce qui peut devenir à court ou moyen terme une curiosité patrimoniale digne d’un intérêt propice à une exploitation touristique.
J’exagère ? A peine.
Les époques précédentes avaient pour usage d’utiliser les pierres pour la reconstruction. Une église avait brûlé ? On en prenait aussitôt les dernières pierres pour agrandir l’école ou bâtir de nouveaux logements, Il y avait aux vieilles pierres un côté utilitaire direct. Aujourd’hui, l’utilitaire est en rebond et se quantifie en termes de ressources induites par la transformation alchimique de la vieille pierre en apport à l’industrie touristique.
Notre-Dame, c’était douze millions de visiteurs par an, soit une quantité considérable de ressources directes par la vente de billet, et induites pour toute la chaîne trophique de ceux qui vivent de la manne touristique (jusqu’au fabricant des étiquettes de l’emballage des boules à neige – qui désespère depuis ce jour funeste ou Notre-Dame brûla).
L’industrie touristique est une sorte de biome qui a pour source le nombre sinon la qualité des lieux d’attirance et de curiosité. Comme une collection insatiable et névrotique d’édifices de tout ordre et de toute sorte et dont on n’a jamais assez. Plus il y en a et plus la qualité de ville-musée se justifie et se consolide, année après année, jusqu’à la nausée et dont les symptômes les plus alarmants sont les bus qui s’agglutinent sur les boulevards Rochechouart ou rue Caulaincourt pour permettre aux touristes de voir le Sacré-Cœur, édifié sur un malentendu, à la fin du XIXe siècle sans l’idée préconçue qu’il servirait dès la seconde moitié du XXe à être inséré dans une boule à neige.
Pour la maire de Paris, le grand écart ne doit pas être simple entre des élus qui hurlent à la simple évocation de ces bus et l’assemblée bon enfant des commerçants gras qui vivent du commerce des tours Eiffel en zamac plaqué.
Il existe donc un commerce de l’époque comme il y a un commerce du climat (évoqué ci-dessus) et c’est là où le temps et le temps se rejoignent car le climat n’est pas sans conséquence sur la valorisation des immersions au sein des télescopages de siècles dévorés à bord de bus à impériale griffés « Paris tour » et dont la durée dépend du prix du billet : « time is money ».
François Scali
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