Les lauréats du prix Aga Khan de l’architecture 2007 ont été annoncés le 4 septembre. Neufs réalisations sont primées comme autant d’exemples, pour citer le jury, « comme alternative au futile ‘choc des civilisations' ». Il est d’ailleurs symbolique que ce soit au travers d’une ville fortifiée (Nicosie à Chypre) que deux communautés opposées se soient réconciliées.
Lors de son discours le 27 août 2007 face aux ambassadeurs, le président français Nicolas Sarkozy a présenté « la confrontation entre Islam et Occident » comme « le premier défi mondial » à relever. Il semble donc désormais adhérer à la thèse du choc des civilisations, théorisée par l’universitaire américain Samuel Huntington et qui a façonné la doctrine des néo-conservateurs américains en politique étrangère.
Hasard du calendrier, une semaine plus tard, le 4 septembre 2007, lors d’une cérémonie qui s’est déroulée à Kuala Lumpur en Malaisie, Son Altesse l’Aga Khan annonçait les neuf lauréats du Prix Aga Khan d’Architecture 2007, dont, ironie de l’histoire, une ambassade (celle des Pays-Bas, ce qui n’étonnera personne, en Ethiopie). Pour rappel, ce prestigieux prix d’architecture a été créé en 1977 dans le but de « reconnaître et favoriser les concepts architecturaux les plus aptes à satisfaire les besoins des sociétés musulmanes et à répondre à leurs aspirations« . Or, aussi bien les intentions du jury que les projets lauréats tendent à démontrer que ce fameux (fumeux ?) choc des civilisations n’a rien d’inéluctable, loin s’en faut.
Le Jury* du Prix Aga Khan d’Architecture 2007 s’il « reconnaît le rôle de l’environnement bâti dans la définition des mondes vécus par les sociétés musulmanes contemporaines » – il s’agit après tout d’un prix d’architecture – a placé le domaine de l’exercice dans un contexte plus large, et plus sensible. « Le défi était de juger la négociation complexe que l’architecture conduit entre, d’une part, le sentiment de satisfaction et de familiarité qu’un édifice – un foyer – produit et, de l’autre côté, les ambitions et filiations mondaines que ne limitent ni les murs de clôture, ni les limites du village, ni les frontières de la nation« , écrit-il d’emblée pour justifier ses choix, des projets réalisés, pour la plupart, dans le cadre d’une collaboration exemplaire, et souvent désintéressée, entre « les pays musulmans » tels que l’évoque de façon générique le président Sarkozy et « l’Occident« .
« C’était un privilège pour nous d’être placés devant des projets architecturaux soulevant des questions importantes sur une umma démocratique et dialogique« , souligne encore le jury qui précise, afin que sa pensée n’échappe à personne : « L’excellence en architecture nous autorise-t-elle à juger ce qui pourrait, ou ne pourrait pas, représenter la qualité de la vie ? Une telle enquête dialogique, imprégnée d’une remarquable connexion et visibilité, pourrait fournir une alternative au futile ‘clash des civilisations‘ ».
« La réalité musulmane contemporaine n’est pas simplement diverse et transitionnelle, comme le font croire les clichées de la globalisation« , poursuit-il. » En tant que jury nous avons été mis au défi d’ajuster nos outils critiques et conceptuels alors même que nous avancions à travers le paysage de l’umma et ses créations et pratiques architecturales. L’échelle n’est pas seulement un problème particulier à la pratique et à la connaissance architecturale. L’échelle est une intervention architecturale qui répond à la spécificité du site tout en créant – ou en construisant – en même temps un sentiment de localité. Dans ce sens, l’échelle est une question éthique« .
Les neufs projets sélectionnés (sur 343 pris en considération) par le Jury du Prix 2007 sont :
– Le Jardin Samir Kassir, Beyrouth, Liban
– La Réhabilitation de la Ville de Shibam, Yémen
– Le Marché Central, Koudougou, Burkina Faso
– L’Université de Technologies Petronas, Bandar Seri Iskandar, Malaisie
– La Restauration du Complexe Amiriya, Rada, Yémen
– La Tour Résidentielle Moulmein Rise, Singapour
– L’Ambassade Royale des Pays-Bas, Addis-Abeba, Ethiopie
– La Réhabilitation de la Ville Fortifiée Nicosie, Chypre
– L’Ecole à Rudrapur, Dinajpur, Bangladesh
Et chacun de ces projets montre que l’échelle et l’éthique peuvent passer relativement facilement et sans heurt le barrage des langues, des cultures et des civilisations, qu’il s’agisse pour Sir Norman Foster de construire une université bardée de nouvelles technologies ou pour les habitants d’un village de construire, en quatre mois et à main nues, une école de village conçue exactement pour eux par des architectes autrichiens ou allemand ou encore pour des organismes financiers occidentaux de s’appuyer sans réserve sur le génie local.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer à ce titre que des économies sur le déclin ont été revigorées non par une gestion financière et/ou neo-colonialiste importée/imposée mais dans le cadre même de projets architecturaux, qu’il s’agisse de restauration comme à Shibam, ou de construction neuve comme à Koudougou. Le « choc des civilisations » que tant de meilleurs ennemis au monde semblent appeler de leur vœux, n’est au final rien d’autre que le déni de ce génie local, qu’il fut « musulman » ou « occidental« .
« Le Prix a été décerné en reconnaissance du travail des artisans, de la vision et de la persistance des personnes qui ont mené ce projet à bien », écrit le jury dans le texte accompagnant la présentation de la Restauration du Complexe Amiriya, au Yémen. La phrase peut aussi bien s’appliquer à tous les projets.
Christophe Leray
*Homi Bhabha, Okwui Enwezor, Homa Farjadi, Sahel Al-Hiyari, Shirazeh Houshiary, Rashid Khalidi, Brigitte Shim, Han Tümertekin, Kenneth Yeang
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 5 septembre 2007