Pourquoi aller chercher des architectes très loin pour faire la même chose partout ? « La laideur se vend mal », disait Raymond Loewy. Les temps ont changé !
Nous trouvons les mêmes enseignes d’un bout à l’autre du monde, tout s’uniformise alors que la biodiversité fait l’objet de toutes les attentions. L’architecture, avec la nature, est la dernière chance de donner à voir quelque chose qui soit à la fois beau et différent.
Un article dans Le Figaro du 26 août 2022 mettait l’accent sur la France « moche ». Cette évidence est une vérité dérangeante. A commencer par regarder l’architecture du logement, élément constitutif du paysage national, d’aucuns peuvent estimer qu’elle n’est pas moche mais mortifère.
Les architectes du Bauhaus ont promu une définition de l’architecture qui se résume à : « l’architecture, c’est la vérité, l’expression des fonctions, c’est celle de la construction ». Nous sommes à l’heure de cette vérité, de cette quête ou de la révélation du mensonge.
Un regard sur le paysage des territoires périurbains est tout simplement désespérant. Qu’est-ce qui me fait réagir ainsi ? L’uniformisation, la répétition des boîtes, des trames, des modules, des cages… alors que nous avons les moyens de faire vivre et vibrer l’architecture. L’architecture, actuellement plébiscitée par les architectes, celle qui participe à l’unification de l’Europe, va périr de son uniformité. L’architecture court à sa propre perte en ne proposant aucune surprise, aucune variation, aucun changement qui serait attaché à la réalité contextuelle.
Même les adeptes de Le Corbusier, qui prônaient l’importance particulière à la course du soleil, ont oublié ce principe. Pourtant, si le réchauffement climatique était pris au sérieux, il devrait être le support des différences. Il n’en est rien : unité et répétition sont devenues les seuls outils conceptuels d’une architecture qui avant même d’être frugale est déjà indigente.
Beaucoup de notions ont été évacuées du vocabulaire des architectes : esthétique, beauté, modénature, proportions, style, composition, échelle, rythme… au profit d’une seule idée, la « vérité de la construction ». Depuis un siècle, cette vérité ne peut être révélée qu’à travers un matériau unique : le bois, le béton, l’acier, le verre. La mixité est proscrite, la vérité de la construction devient un leurre. Ce qui est en jeu devient la quête d’une esthétique internationale : le matériau et les techniques de mise en œuvre restent l’essentiel qui permet de reconnaître « la ligne », la doctrine, le bon grain de l’ivraie.
Cette situation, rapidement résumée, peut paraître caricaturale, elle l’est. Il est vrai que la distinction pourrait se faire par le choix de la trame, en fait il n’en est rien, le tartan se résume à un clan unique !
Ceux qui ont cru que l’écologie serait la nouvelle vérité avec une attention portée aux cultures, à l’orientation, aux contextes au sens large n’ont pas de place dans la cité. L’idée d’être baroque est interdite alors que tout porte à croire que l’époque que nous vivons a tout de baroque, dans le sens où les situations sont de plus en plus complexes et nécessitent des ajustements, des articulations, des politesses, des urbanités. Les réponses architecturales devraient être de plus en plus élaborées, elles sont de plus en plus élémentaires, indépendantes, devenues des objets sans attaches.
L’actualité nous met sous les yeux le contraire de ce qui est escompté, attendu, réclamé : plus il est question d’usage et moins nous y sommes attentifs, autrement dit le discours s’éloigne de plus en plus de la réalité.
Dans Versailles, Opéra, Philippe Beaussant écrit « L’homme baroque est celui qui fait ce qu’il dit ». Cette vision devrait inspirer l’air du temps.
Dans les années soixante, des millions de logements ont été construits dans l’urgence, avec une esthétique correcte qui reflétait la réalité de l’économie et le système de construction. En France, le système unique de construction était le système de refends, porteurs et façade en panneaux de béton préfabriqués. Il était si performant que nous avons réussi à l’exporter dans toute l’Union Soviétique pendant que l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et les pays nordiques échappaient à cette invasion.
La critique n’a pas tardé et très vite l’anathème a été jeté sur ces « clapiers » qui avaient pourtant bien des qualités que nous aurions du mal à trouver dans la production des logements actuels. La référence était trois appartements par palier et surtout des traversants qui ont toutes les qualités par temps de canicule.
En ces temps-là, l’ascenseur n’était imposé qu’à partir du quatrième étage ; c’est évident qu’en rendant l’ascenseur obligatoire à partir du troisième étage, avec cette nouvelle réglementation, l’économie a été modifiée. L’augmentation des charges communes a eu pour effet l’augmentation du nombre de logements par palier, ce qui a rendu le refend porteur difficilement exploitable. Il aurait fallu faire évoluer les techniques de construction mais la recherche de vérité est restée le Graal de l’architecture. On aurait pu voir fleurir une architecture plus ouverte, parallèlement aux nouveaux savoir-faire de la construction, une architecture attentive aux programmes, aux contextes, à l’évolution des attentes.
Mais les refends et les panneaux de façade ont induit une répétition quasiment obligatoire. Avec l’évolution, c’est une révolution qui aurait pu être attendue si l’architecture avait été un tant soit peu baroque, attentive à la vérité, à la réalité de la construction et moins idéologique.
Il aurait fallu des politiques publiques très soutenues pour faire évoluer l’offre. La nécessité de construire des plateaux, avec sept ou huit logements par palier, a permis d’envisager ce qui semblait jusque-là impossible, une construction avec des façades porteuses et un refend parallèle à celle-ci. Mais, dessiner une façade suppose une culture intentionnée et attentionnée.
La révolution tant attendue n’est toujours pas en marche. Il suffit de faire le tour des revues d’architecture pour voir à quel point la trame est devenue la seule vérité de l’architecture, une trame qui se renforce dans les trois dimensions, une trame qui unifie l’Europe. Il n’y a qu’à se promener dans les ZAC parisiennes, sur le plateau de Saclay ou sur les sites des jeunes architectes pour voir que du sol au ciel une même trame sévit : logements, bâtiments universitaires, bureaux, tout y passe.
Ce n’est pas faute d’être allé voir ailleurs : architectes hollandais, danois, allemands, japonais, belges, anglais… avec le mouvement international, l’architecture universelle est à son comble. Alors pourquoi aller chercher des architectes qui viennent de si loin pour faire la même chose ? Il y a sûrement un effet BIM derrière tout ça mais ceci n’explique pas tout.
Le mensonge est là et il faut le dénoncer. Tout a été fait pour que l’architecture apporte le supplément d’âme cher à André Malraux, le message n’est pas encore partagé. Le formidable progrès de la façade porteuse, qui renoue curieusement avec l’histoire, aurait dû ouvrir le champ de l’invention, celui de l’innovation d’une architecture nouvelle et naturelle.
Au lieu de ça, c’est à un gigantesque hommage tardif à Marcel Lods ou à Edouard Albert que nous assistons. Le coffrage tunnel était la vérité de la construction dont il fallait rendre compte, cette vérité n’existe plus, elle a toutefois laissé son empreinte sur la conception qui, elle, est restée dans le tunnel (Il faut se souvenir de ce que la façade porteuse était inconcevable pour les logements ou les bureaux : hors du voile perpendiculaire à la façade, il n’y avait pas de salut). La cage est une paresse, un mensonge qui ne peut demeurer caché, il faut que la « vérité de la construction » devienne une valeur cardinale, un support, un outil au service d’une liberté retrouvée.
La véritable architecture du logement se fait de l’intérieur vers l’extérieur.
Il ne suffit pas de parler d’habitabilité, d’évolutivité, de mixité, d’urbanité, de réversibilité, d’adaptabilité… pour que cela existe. Il faut démarrer de l’intérieur et que les maîtres d’ouvrage bougent, soient « baroques » avant même les architectes. Il est urgent qu’ils mettent leurs objectifs en accord avec la réalité et apportent un minimum de cohérence. Les paradoxes sont suffisamment nombreux pour ne pas en rajouter. Le bénéfice de la répétition comme esthétique est une illusion. La répétition est « mortelle », il faut inventer une autre vérité !
Ce sera sans espoir s’il n’y a pas de beauté attachée aux intentions écologiques contextuelles et programmatiques, dès la conception.
Les matériaux évoluent, les systèmes de construction changent, mais reste présente la métaphore des conteneurs qui rouillent sur place et occupent les ports de Hambourg ou de Rotterdam.
L’échelle urbaine change suivant que la ville est continentale ou ouverte sur le grand large. Curieusement, l’échelle d’un port ne fait pas venir l’atmosphère de la mer du Nord ou de l’Atlantique au nord de Paris.
Les logements dessinés dans les années soixante faisaient l’objet de toutes les attentions, ils ne sont plus les mêmes aujourd’hui. La pandémie, le télétravail, l’évolution de la famille, la façon de consommer, nos modes de vie… tout a changé. Reste la pénurie, l’idéologie, un secteur tendu et l’urgence qui justifient tous les errements.
Auparavant, les architectes étudiaient une cellule, concept qu’il faut repenser pour le rendre à nouveau appropriable, adaptable… Il est insupportable de n’avoir comme projet que des cages, d’oublier le rapport au sol et celui avec le ciel. A l’heure où l’informatique, le numérique, les robots, permettent de sortir de l’uniformité, croire que la répétition d’un élément unique a du sens dans un bâtiment est une vision erronée de l’économie, c’est en partie vrai mais « un module » à lui seul n’a pas fait le Parthénon.
L’architecture mise à nue, squelettique, risque de s’enrhumer, ce ne sont pas les châles, fussent-ils en BEFUP qui changent les choses, il est temps de sortir de cette folie qui l’a rendue étique, au prétexte d’une prétendue éthique. Alors, à quand une mise en rapport entre ce que l’on dit et ce que l’on fait ? Soyons modernes, soyons baroques, nous sommes contraints de composer, de faire avec, donc de tourner le dos à l’idéologie de la table rase, qui n’a pas fini de sévir dans le monde de l’architecture. Composer c’est faire avec la nature !
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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Nota : Un bailleur social, a organisé une consultation pour un ensemble de logements et a retenu quatre équipes, je vous invite à aller sur leurs sites pour comprendre quelle mouche m’a piqué :
– https://www.atelierkempethill.com/category/projects/built/ ;
– http://kuehnmalvezzi.com/?context=projectlist ;
– http://armandnouvet.fr/#16-logements-sociaux-rue-pajol-paris ;
– https://barraultpressacco.com/work/leb.