Le mardi 14 mars 2023, au Mipim à Cannes, Michaël Delafosse, maire de Montpellier (Hérault), a dévoilé pour sa ville quatre nouvelles folies architecturales, un second effet ‘kiss cool’ après Folie Divine de Farshid Moussavi et l’Arbre blanc de Sou Fujimoto. Folie douce ?
L’opération de communication est parfaitement bien menée – un ‘teaser’ avec Odile Decq dès le 11 mars lors du Salon de l’immobilier à Montpellier avant de scier les investisseurs présents en nombre à Cannes, lesquels n’avaient pas vu autant d’audace architecturale dans une ville française depuis longtemps. Les quatre projets qu’ils ont découverts ? Sentinelle par Odile Decq ; Les Galets par Ellen Van Loon ; Oasis par Thomas Coldéfy et Isabelle Van Haute ; Manuguerra par Manuelle Gautrand.***
Au-delà des qualités intrinsèques ou non de ces projets, question : trop de folies ne tuent-elles pas la folie ? De plus, peut-on encore parler de folie architecturale au vu de la dimension de la plupart des projets présentés ? S’agit-il d’un gimmick, d’un écran de fumée permettant justement de ne pas parler d’architecture et des enjeux urbains à l’échelle d’une ville comme Montpellier ? A l’heure des fracas du monde et des tracas du quotidien, qui a besoin de folies ?
Au XVIIIe siècle, « les Folies montpelliéraines étaient l’expression d’une créativité architecturale bourgeoise, situées dans des parcs paysagers en bordure de la cité, rattrapées depuis par la ville », explique le dossier de presse. Pour autant, ces folies n’avaient de spécial à Montpellier que de n’être pas au bord de la mer, la côte étant pleine de moustiques. Montpellier n’a évidemment pas inventé la folie architecturale mais Michaël Delafosse a su utiliser cet élément de contexte qui semble justifier son projet comme une évidence. Alors qu’à y réfléchir… Il faut cependant ici rendre grâce à la passion et la détermination qui animent l’actuel maire de Montpellier.
Un peu d’histoire récente. En 2013, Michaël Delafosse, alors adjoint (PS) à l’urbanisme, lance le concours de la “Folie Richter”, première salve de folies, l’idée étant en substance de mettre à disposition des délaissés urbains au service de la création architecturale. Il s’agissait encore de folies au sens propre, un objet étonnant, presque ludique, créant son propre univers et microcosme. C’est ainsi que seront livrées Folie Divine de l’architecte irano-britannique Farshid Moussavi (2017)* et l’Arbre blanc de l’architecte japonais Sou Fujimoto (2019).**
D’autres folies étaient prévues mais, lors des élections municipales de 2014, Philippe Saurel (Divers gauche) emporte la mairie, repoussant Michaël Delafosse et ses folies dans l’opposition. Retournement de situation en 2020, Michaël Delafosse remporte les élections municipales. Entretemps, les gamins et leurs parents se faisant « instagrammer » devant les folies, l’Arbre blanc est devenu un phénomène mondial et un formidable outil de communication et d’attraction pour Montpellier
Bref, derechef ou presque, le nouvel édile lance sur cinq sites une nouvelle génération de folies, avec un angle cette fois développé autour des enjeux environnementaux. Montpellier +5° en somme. Cette phase trouve un premier épilogue avec la découverte au Mipim des quatre projets lauréats. (Il y avait une folie prévue à Saint-Roch mais apparemment aucun projet n’a convaincu le jury). La prochaine génération compte déjà huit nouveaux sites (Lez, Corum, Beausoleil 1, Beausoleil 2, Mosson, Montcalm, Restanque et Cambacérès), pour un futur total de 15 folies.
Quel sera l’impact de toutes ces nouvelles folies dont il va devenir de plus en plus difficile de retenir les noms ? Quand bien même ses photogéniques balcons sont en plein cagnard, il faut alors des lunettes anti-phares pour supporter la réverbération, et ne protègent ni du vent ni de la pluie, ce qui a fait le succès de l’Arbre blanc, éclipsant d’ailleurs la qualité de Folie Divine, est son unicité intrigante.
Démultiplier les folies va nécessairement émousser l’intérêt des « instagrammeurs » et en réduire l’impact médiatique ; 12 Guggenheim ne reproduiront pas l’effet Bilbao – et elles sont nombreuses les villes qui se sont essayées à l’exercice – et 12 tour Eiffel dans Paris n’intéresseront plus personne. Trop de folie tue la folie ?
D’ailleurs peut-on encore parler de folie architecturale au vu de la dimension de la plupart des « objets » présentés ? La sentinelle d’Odile Decq, seule folie n’étant pas située dans une ZAC, ressort encore de ce registre – un ouvrage à part, presque ludique, etc. – quand les autres n’ont plus de folie apparemment que le nom car leur taille indique que l’objectif de leur construction est de développer les m² comme n’importe quelle autre opération urbaine d’envergure. Chapelle International à Paris, une folie ? Quand un bâtiment compte cinq tours, est-ce encore une folie ? Ou peut-être est-ce folie l’intention même pour des investisseurs de vouloir construire en terre coulée un projet tel Alma Terra de Manuelle Gautrand… « Un bouquet de folies », dit-elle. Véritable architecture méditerranéenne ? Au moins les habitants en loggias y sont hors d’eau !
Sur la ZAC Ovalie, quartier populaire de Montpellier (la ville-ZAC !), l’Oasis de Thomas Coldefy et Hélène Van Haute est quant à lui décliné en deux bâtiments ; des logements en R + 13 et des bureaux dédiés à des activités culturelles et créatives en R + 5, avec le chapeau de paille pour inspiration et ‘rooftop’ accessible. Nous sommes loin, très loin, de la Folie architecturale stricto sensu.
Pour autant, comme pour les autres, il ne s’agit en rien d’un projet lambda tant, si le but de l’architecture est, pour simplifier, que les gens lèvent la tête et qu’un dialogue soit établi, certainement que les habitants d’Ovalie pourront être fiers à juste titre d’avoir près de chez eux leur propre folie, lesquelles à Montpellier n’en finiraient donc pas de se désembourgeoiser.
Acceptons donc le fait que le mot folie soit utilisé de façon abusive, loin de son sens premier qui évoque une sorte de rêverie empreinte de nostalgie, car chacune de ces folies pose des questions intéressantes. Au-delà de l’écran de fumée de la communication – mondiale en l’occurrence – cette nouvelle interprétation de la folie permet justement de parler d’architecture à l’échelle d’une ville comme Montpellier.
Il demeure en effet que l’idée même d’une quinzaine de folies à terme – c’est une collection – est prendre le risque d’un concept bientôt épuisé et rincé par la promotion immobilière. Souvenez-vous des Réinventer Paris, etc. Le modèle permet cependant a minima de bousculer les habitudes, de réfléchir autrement aux enjeux urbains et environnementaux et futurs modes de vie avec des réponses qui sont, sinon foncièrement innovantes, au moins non génériques, ce qui par les temps qui courent est déjà beaucoup.
Peut-être, quitte à pousser la logique des folies jusqu’au bout, qu’elles puissent être conçues sur des parcelles totalement déréglementées sans ni PLU ni règlement de ZAC castrateur. Gehry à Arles passerait alors pour un petit joueur. En tout cas, même si l’usage du mot folie semble abusif, il a ici autorisé une forme de création architecturale exceptionnelle, surtout en France !
Apparemment, à Montpellier, l’audace paie. A l’étranger c’est chose courante. En France, principe de précaution oblige, l’audace, c’est de la folie ?
L’exercice n’est pas si facile. La cinquième Folie, à Saint-Roch n’a pas trouvé son lauréat. Il est quand même étonnant que, dans ce contexte d’aussi grande liberté que possible, aucune agence ne soit parvenue à s’emparer du sujet, en plein centre-ville. Pourtant, les mêmes promoteurs qui viennent de réaliser Higher Roch**** avec Brenac & Gonzales ont emporté la Folie République, intitulée les Galets, un projet signé Ellen Van Loon (OMA) avec MDR. Il y avait donc la place à Saint-Roch pour les aventuriers (à moins que là encore, les règlements de ZAC, etc.).
Enfin, dans la folie, chercher la femme architecte ? Elles furent nombreuses à être retenues, elles sont la majorité des lauréats, quatre d’entre elles étaient même en compétition les unes contre les autres sur un même site, ce qui se révèle quand même d’une rareté absolue ! Une folie ? Les perdantes n’en ont pas moins gros sur la patate…
Le soir même de l’annonce au Mipim, Michaël Delafosse a en tout cas choisi de dîner avec les architectes lauréats plutôt qu’avec les investisseurs. « Un élu qui parle d’architecture avec autant de passion et de connaissances, c’est exceptionnel », ont tenu à souligner les convives.
Christophe Leray
*Lire Folie Divine à Montpellier selon Farshid Moussavi
** Lire L’arbre blanc de Sou Fujimoto, une folie ?
*** Les projets en vidéo :
– Montpellier, Folie Manuguerra – Alma Terra par Manuelle Gautrand
– Montpellier, Folie République – Les Galets par Ellen Van Loon
– Montpellier, Folie Ovalie – Oasis par Thomas Coldéfy et Isabelle Van Haute
– Montpellier, Folie Vernière – Sentinelle par Odile Decq
**** Lire A Montpellier, Higher Roch, nouveau repère signé Brenac & Gonzalez