Il s’est passé dix jours depuis que l’inspecteur Dr. Nut et Aïda ont fait le pied de grue devant la chambre où Dubois, l’architecte tueur en série, a envoyé dans un septième ciel incertain Ethel Hazel, sa psychanalyste. De retour dans son cabinet, celle-ci sait que Dubois ne manquera pas son rendez-vous. Les policiers sont également au rendez-vous.
***
« L’architecture est art de suggestion ».
Daniel Pennac
***
Ethel Hazel attend Dubois avec confiance même si un peu d’appréhension quand même. Quelle soirée ce fut !!! Elle a eu le temps d’y réfléchir et d’abord, pourquoi ne la tue-t-il pas ? Elle a appris, sans en être jamais totalement convaincue, que l’amour supplée au rapport sexuel. Ce qui signifierait en l’occurrence que Dubois ne l’aime pas, ceci expliquant pourquoi il ne la tuerait pas ; il aime en revanche le rapport sexuel consenti, elle est bien placée pour le savoir. Elle sent cependant que l’architecte, de la tuer ou pas, est soumis à une ambiguïté aussi puissante que la sienne : ne l’aime-t-il pas assez ? Trop ? Certes l’amour est un lien symbolique entre le réel et l’imaginaire spécifique de chacun et peut-être en effet ne l’aime-t-il pas du tout. Peut-être ne lui est-elle nécessaire qu’en tant que psychanalyste, ce qui serait déjà pas mal… Et les autres femmes, les aimaient-ils ? D’une trop grande passion ? Dubois n’aurait-il avec ses victimes « fait l’amour », fait la mort, qu’une seule fois lors de soirées fatidiques ? Il les prend par surprise ? Ethel frissonne en pensant à toutes celles dont elle ne se souvient plus du nom. Tellement de questions encore sans réponse. Pour autant, son trouble est ailleurs. Elle a finalement passé une excellente et inoubliable soirée, Dubois se montrant charmant, cultivé et plein d’humour une fois que le champagne les eut décoincés tous les deux. Et ensuite, quelle extase inénarrable ! Quel voyage ! Sa meilleure soirée depuis longtemps et il lui semble de plus en plus improbable, même si elle connaît son modus operandi, d’imaginer Dubois en tueur en série. Peut-être n’est-il qu’un affabulateur, le scénariste d’une vie trépidante n’ayant rien à voir avec la vérité de sa routine d’architecte sans originalité parmi des milliers d’autres ? La question, insistante, la déconcerte. Elle a vu les photos de ses victimes durant la garde à vue, elle a entendu les arguments de Dr. Nut, mais sa raison et son instinct, son moi et son surmoi, lui parlent maintenant en deux langues différentes. En tout cas, se réjouit-elle, elle a désormais pleins d’éléments pour sa description du syndrome de la Belle au bois dormant dont elle espère bientôt commencer la rédaction : son fil rouge : l’architecte aurait-il inventé une sorte de chaste polygamie, quasi platonicienne ?
Dubois entre en lui souriant de bon cœur. Elle ne peut s’empêcher de lui rendre son sourire. Si comme elle le présume, il revient toujours vers elle parce qu’il a besoin d’elle, elle se demande cependant pourquoi puisqu’elle semble impuissante à lui faire briser l’armure, soit en le faisant revenir sur terre de son délire terrifiant, soit d’exposer enfin ce qui l’anime et alors, peut-être, pourra-t-elle avancer. Pas question, en tout cas autant que possible, d’évoquer ici la soirée de l’autre soir…
Ethel Hazel (parce que le sujet la turlupine) – Vous êtes fils unique, n’est-ce pas ?
L’architecte (joyeux, qui s’en redresse presque) – Comme Norman Bates, Dark Vador et Hannibal Lecter sont fils unique vous voulez dire ?
E.H. (déjà désarçonnée parce qu’il lui faut le temps de comprendre ce qu’a dit Dubois et de se remettre en tête des personnages dont elle n’est pas sûre de bien se souvenir) – Ah, parce qu’ils sont fils uniques ?
L’architecte – Tout à fait, ne trouvez-vous pas cela troublant ?
E.H. (confuse) – Bah si justement, je vous retourne la question…
L’architecte (qui soupire) – Je me la suis souvent posée. L’impact sur ma vie, comme sur la vie de tout fils unique – pour les filles, je ne sais pas – est facilement notable et rien de nouveau sous le soleil de la psychanalyse j’imagine mais je me suis souvent posé la question de son impact sur mon travail d’architecte. C’est vrai quoi, et je ne crois pas qu’un quelconque sociologue se soit encore posé la question – ça ferait un bon sujet pour un article savant, ne trouvez-vous pas ? – ce serait intéressant de comparer l’architecture de celui qui a grandi tout seul avec ses Légos ou ses livres, le père absent, avec l’architecture d’un architecte du Sud-Ouest par exemple ayant grandi au sein d’une grande fratrie de rugbymen et d’une smala de gens qui se tapent sur le ventre !
E.H. – Et vous-même, vous en pensez quoi ?
L’architecte (souriant toujours mais parlant sérieusement) – Je pense qu’il y aurait une différence dans l’architecture, ne serait-ce que dans la taille des pièces. Je vois mal un architecte issu d’une famille de géants mettre dans ses plans de logement des chambres de 9m² ; pour lui, 9m² c’est juste la place pour ranger les crampons. D’ailleurs je suppose qu’un architecte, basque par exemple, n’en aurait rien à faire de construire des petits logements à Paris, tandis que des architectes parisiens n’auront aucun problème, avec qui le leur demande, d’aller construire de petits logements à Saint-Jean-de-Luz.
E.H. (déterminée) – D’être fils unique je voulais dire…
L’architecte (rigolard) – Justement, c’est sans doute ce pour quoi je me retrouve à construire des T2 et des T3. Mais cela vaut pour tous les architectes, pas besoin d’être fils ou fille unique pour cela. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, le prince, dans la Belle au bois dormant il est fils unique aussi ! Non ? N’est-ce pas une étonnante coïncidence ? Mais dans l’histoire originelle du conte, souvenez-vous, la Belle et le Prince finissent par se marier et avoir beaucoup d’enfants, deux en l’occurrence. Tout comme moi, deux enfants et, que je sache, aucun autre avec de belles endormies…
E.H. (qui veut reprendre la main. La voix sussureuse) – Votre mère est toujours au Cap-Ferret ?
L’architecte – Oui toujours bon pied bon œil même si elle a de moins en moins toute sa tête. Elle a toujours aimé lire, elle était prof de lettres, souvenez-vous, mais aujourd’hui, elle recommence chaque jour inlassablement le même livre, que je lui ai offert d’ailleurs. C’est Les Pages de notre amour, de l’écrivain américain Nicholas Sparks. Elle n’arrive jamais au bout mais l’histoire la fait rêver. Pour autant, elle ne pourra plus donc nous éclairer sur ce à quoi pensent les mères quand leurs enfants, voire fils unique, deviennent architectes.
E.H. (la voix empreinte de bienveillance) – Qu’en pensait-elle ?
L’architecte (toujours enjoué) – Hum… Elle m’avait je crois espéré avocat ou journaliste et elle s‘est toujours étonnée de mon étrange passion pour l’architecture qu’elle ne comprenait pas puisqu’il n’y avait pour nous aucune filiation d’aucune sorte, il n’y avait pas d’architecte dans notre petite famille. Je pense que c’est dans les livres que j’ai commencé à aimer l’architecture car je ne savais pas dessiner. J’ai fait des études correctes sans vraiment sortir du lot et après le Bac, l’école d’architecture de Belleville m’a semblé une option intéressante même si Belleville, surtout à l’époque, ce n’était pas trop sa tasse de thé à ma mère comme quartier. L’école m’a plu dès le début, dès le premier cours du premier jour, idem le quartier, je savais que j’étais dans mon élément, puis j’ai rencontré Madeleine et les évènements m’ont porté jusqu’à vous.
E.H. – Vous n’avez donc pas prise sur vous-même, c’est ce que vous dîtes ?
L’architecte (plus sérieusement) – Disons qu’en débarquant à l’école il y avait déjà plein d’étudiants pour vouer une admiration sans borne à leur père architecte, ou à leur mère beaucoup plus rarement, dont je découvrais les bâtiments immenses rien qu’en levant les yeux. Forcément que vous êtes impressionné ! L’inverse est vrai aussi, je me souviens de ces étudiants « drivés » par des parents pleins d’admiration devant leurs rejetons, mon Dieu, quelle pression ! Au moins ma mère me laissait tranquille et d’une certaine façon avait confiance en moi. Elle fut d’ailleurs très heureuse en quelques occasions d’inaugurer des bâtiments avec moi. Et puis, à l’époque, il y avait la question des moyens ; n’ayant pas un rond, je me jetais dans le travail puisque durant les charrettes il y avait toujours à manger et à boire. Je me dis d’ailleurs, maintenant que j’y pense, que ceux qui avaient les moyens régalaient tout l’atelier sans jamais se vanter. Comme quoi il peut y avoir une solidarité entre architectes. Je me souviens avec affection de ces soirées endiablées, à travailler comme des fous, à argumenter, à rigoler, à refaire le monde et l’architecture. C’est cet esprit de convivialité dans le cadre d’un effort collectif que j’essaye de préserver encore aujourd’hui à l’agence, même s’il n’y a plus de charrettes.
E.H. (pugnace) – Vous en vouliez à ces gens mieux nantis que vous ?
L’architecte – Non, pas spécialement, c’est plutôt que je ne connaissais pas leurs codes, je ne savais jamais ni quoi dire ni comment me tenir en leur présence, surtout au début. Ils ont dû penser que j’étais demeuré !!!! (Dubois rit tout seul, d’évidence se remémorant la scène). Je me souviens de tous ces déjà spécialistes de l’histoire de l’art. Moi j’avais lu tout l’Archipel du goulag et le Lieutenant Blueberry était mon héros. (Il sourit encore en se souvenant qu’Alexandre Soljenitsyne n’avait pas bonne presse à l’époque sur les campus, surtout pour ceux qui ne l’avaient pas lu). Mais non, je ne leur en voulais pas de mon ignorance et même si j’avais l’air sot, j’ai beaucoup appris en leur compagnie, pas sur l’architecture évidemment, mais sur les différentes façons d’être architectes et les différentes façons des architectes. Aujourd’hui encore, quand je suis invité à un jury de diplôme, je sais en deux secondes d’où viennent ou ne viennent pas les impétrants, juste à leur façon de se tenir, de s’exprimer. Cela n’a rien à voir avec le talent. Lors de ces mêmes diplômes, je vois passer des jeunes gens très sûrs d’eux-mêmes, maîtrisant parfaitement tous les codes, jusque dans le dessin, mais qui devant leurs profs béats d’admiration n’ont finalement rien à dire ou, pire, confondent orphelinat et prison. Bref, à l’époque déjà, on avait le droit d’être débrouillard et je me suis aperçu pour ma part être plutôt habile de mes mains et largement à la hauteur de l’enseignement proposé, et l’école fut l’occasion de formidables rencontres et le lieu de mes premiers exploits.
E.H. (le cœur faisant un saut) – Exploits ?
L’architecte – Exploits pour moi, rien d’extraordinaire, rassurez-vous !
E.H. – Que voulez-vous dire par exploit ?
L’architecte (avec le sourire tandis qu’il y repense) – Ma première maquette !
E.H. – Euh…
L’architecte (blagueur)– Ma première maquette ! Elle m’a beaucoup plu, moins à mon prof d’ailleurs. J’avais construit dans la salle de cours un immense château de cartes, qui montait jusqu’au plafond. Au début, il s’écroulait souvent, à chaque courant d’air, puis les copains et les copines, me voyant déterminé – et ambitieux j’ose le dire – se sont pris au jeu et bientôt, pour éviter les courants d’air, la pièce fut quasiment interdite comme la fameuse cité chinoise des empereurs. Même les femmes de ménage n’avaient plus le droit d’entrer ! Pour construire le château, les paquets de 54 cartes, avec les jokers, manquaient constamment et on écumait tout le quartier, de plus en plus loin, pour rafler les paquets de cartes. Je partais le soir, fermais la porte à clé et j’avais hâte, pas tout seul d’ailleurs, de pouvoir me retrouver le lendemain devant mon château et le faire grandir.
E.H. – Euh… C’est votre exploit ? Un château de cartes ?
L’architecte – Je vous assure, c’était un truc incroyable, on a rempli la salle, jusqu’au plafond. On a pensé à appeler la presse pour que ça passe dans le journal et qu’il en reste quelque chose mais, quand ce fut fini, des potes sont arrivés avec à manger et à boire, un gigot-bitume en quelque sorte…
E.H. – Gigot-Bitume ?
L’architecte – C’est quand on célèbre la mise hors eau et hors air d’un bâtiment sur un chantier.
E.H. (qui ne sait pas exactement pourquoi mais qui se sent vexée) – Euh…
L’architecte – Bref, on a commencé à retirer les cartes de ce mikado géant une par une, jusqu’à ce que ce bien nommé château de cartes ne s’effondre dans un grand hourra. Là j’ai su que je m’étais fait des copains, et que ça passait par la construction, qu’être architecte c’était édifier quelque chose, même fragile mais là au fond n’est pas l’exploit. Car c’est ainsi que j’ai rencontré ma première vraie petite amie, comme on disait alors. Claire, elle s’appelait Claire…
E.H. (qui connaît la réponse mais est presque émue de voir Dubois ainsi rêveur) – Comment était-elle ? Vous pouvez me la décrire ?
L’architecte – Bien sûr, volontiers. Voyons, elle était blonde, aux yeux bleus. Tiens savez-vous combien de teintes de blondes et de couleurs bleues dans les yeux, ils ont en Suède ?
E.H. (pincée) – Non, combien ?
L’architecte – C’est facile à comprendre. Dans un pays où il n’y a que des blondes aux yeux bleus, il faut de la nuance. D’ailleurs, une femme brune aux yeux marron, ils l’appellent une panthère en Suède. Sinon, vous imaginez les types : « Elle est comment ta copine Hilda ? ». « Blonde aux yeux bleus ». Ils seraient bien avancés les Suédois, alors ils ont inventé tout un tas de nuances de blonds et de bleus pour pouvoir décrire leur copine ou leur copain et s’y retrouver.
E.H. (Claire, Hilda… Elle frémit, ce sont les prénoms de deux de ses victimes telles qu’elle l’a découvert durant la garde à vue de Dubois.* Le cœur battant) – Et donc, Claire …
L’architecte – Hélas je ne parle pas suédois et je n’en sais pas plus alors disons qu’elle était un peu dans votre genre mais plus grande que vous, 1,69 m. Très belle, très intelligente, très douée. Elle n’était pas parisienne et aussi timide et déterminée que je pouvais l’être moi-même. Avec mon château de cartes, je la faisais rire. Et, pour les mêmes raisons que moi, elle était de toutes les charrettes. Un peu comme la chanson d’Aznavour (il chantonne) « Je vous parle d’un temps / que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître / Il faut dire qu’en ce temps-là / fleurissaient les lilas jusque… »
E.H. (elle l’interrompt sans ménagement) – Claire, vous vous souvenez donc précisément de sa taille ?
L’architecte – Oui, en effet, je m’en souviens très exactement.
E.H. (comme il n’en dit pas plus, elle se sent obligée de réagir) – Et pourquoi dites-vous « était », à l’imparfait ?
L’architecte (haussant les épaules et fermant les yeux) – Parce que je ne sais pas ce qu’elle est devenue, l’année suivante elle n’était tout simplement plus là. C’est dommage, elle aurait fait une excellente architecte, j’en suis sûr. Son image m’apparaît encore souvent, clairement ! Et puis j’ai rencontré Madeleine et vous connaissez la suite.
(D’y penser, à la suite, les laisse tous les deux songeurs pendant de longues minutes.)
E.H. (qui se souvient soudainement, sans doute parce que Dubois a parlé des jurys de diplôme, que Dr. Nut avait évoqué avec elle le fait que c’est peut-être ainsi qu’il repérait ses prochaines proies) – Et c’est à l’école, lors de ces jurys de diplômes dont vous parlez par exemple, que vous recrutez encore ?
L’architecte (riant) – Sachant aujourd’hui comme hier que le manque de moyens ne sera jamais un frein que pour les médiocres, disons que je suis attentif et j’aime à repérer en effet de jeunes talents. D’autant plus qu’il y a du travail à l’agence et que j’envisage de recruter. Déjà que c’est difficile aujourd’hui de recruter, si j’en crois mes confrères et consœurs, recruter pour moi devient particulièrement ardu. (Riant tout à fait) Peut-être devrais-je à nouveau m’en remettre au Chasseur français. J’ai d’ailleurs tout à fait l’âge désormais…, ne serait-ce que pour faire la passe…
E.H. (qui sent sa raison vaciller, il y a une heure, elle était certaine ou presque d’avoir à faire avec un affabulateur somme toute sympathique et voilà qu’une autre réalité s’impose brutalement car elle sait ce que signifient pour Dubois ses parties de pêche avec le Chasseur français, c’est-à-dire rien d’autres que les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Elle est bien placée pour savoir que c’est là que les jeunes passent leur temps, et beaucoup de moins jeunes d’ailleurs qui font désormais sa clientèle, plus exactement sur les sites de rencontre en vérité, et ce n’est même plus pour baiser ou tirer un coup ou une aventure, c’est selon, c’est souvent juste pour se rencontrer ! Les gens ne savent plus comment faire. Elle sait que Dubois, le charmant architecte, n’aurait aucun mal à attirer et séduire rapidement une âme en peine et apparemment elles sont nombreuses. Y compris moi-même ? Elle en a oublié Dubois allongé sur son divan).
L’architecte – Et vous, vos études, comment cela s’est passé ? Vous ne parlez jamais de vous. Même l‘autre soir, vous n’avez fait que poser des questions…
E.H. (confuse ne sachant à quelle question répondre, il y en a trop. Ses études ce serait trop long à décrypter même pour elle. Parler d’elle, mais pour dire quoi ? Que construit-elle pendant qu’elle y pense ? C’est vrai que l’autre soir, pendant qu’elle y pense également, perdue dans ses pensées, elle ne s’est guère intéressée à Dubois sinon pour lui tirer les vers du nez. Trop d’images et d’émotions dans cette question, elle a besoin de reprendre sa respiration et elle est heureuse que Dubois, allongé, ne la voit pas. Elle bredouille) – Mes études ? …
DRINNNN, DRINNNN
Ethel pousse un soupir de soulagement qu’elle espère discret. Dubois est déjà debout et sans rien se dire, ni l’une ni l’autre n’a envie de faire durer l’instant et l’architecte a bientôt disparu.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
DANS LE BUREAU DE DR. NUT, LUNDI 18H46
Dr Nut a noté que toutes les victimes de Dubois ayant travaillé avec lui (sauf Géraldine, qui vivait à Lyon, et les stagiaires, et encore, à vérifier) étaient plutôt bien logées avec un loyer vraiment bon marché pour Paris. Gina Rossi par exemple, dont la dernière adresse connue est 224 rue Saint-Jacques, dans le Ve. Comment ne payait-elle que 1 200€ par mois pour 55m² – un bel appartement – quand le prix moyen d’un loyer dans le quartier pour un tel bien est plutôt de 2 000€ par mois ? Ou la petite Christèle Meyer qui vivait rue de Flandres avec un loyer dérisoire. Ou Hilda De Jong, qui habitait 147 rue du Chemin vert, 60m² pour 1 300€ !!! Ou Ann Rizzo, 8 rue Sedaine, également dans le XIe : 980€ pour 48m² !!! Comment est-ce possible à Paris ? C’est ce qui a fini par le faire tiquer. Est-ce Dubois qui les aide à se loger ? Est-ce important pour lui qu’elles logent ici ou là ? Où les tue-t-il ? Chez elles ? Chez lui ? Et comment les transporte-t-il ? Et où ? L’inspecteur est parvenu en quelques jours à retrouver tous les bailleurs des victimes sans établir de lien avec l’architecte et sans qu’il soit rassuré pour autant. Dr. Nut a l’impression de devenir dingue car le policier en lui n’aime pas ces coïncidences. Et pourquoi Dubois s’est-il débarrassé de Gina ?**
À propos de Gina, voilà justement Aïda qui arrive.
« Bonjour Patron », lance-t-elle, se dirigeant directement vers le petit frigo. Elle en sort deux bières sans demandez l’avis à Dr. Nut, lui en tend une et s’installe à son bureau devant lui.
« Bonjour Aïda », lui répond-il, surpris par son entrain. « Vous allez bien ? Bien rentrée vendredi soir » ?
« Oui, aucun problème, j’en ai vu d’autres », lui répond-elle en souriant.
Elle s’installe elle aussi confortablement dans le fauteuil et avale « sa première gorgée de bière ».
Elle repense à cette fin de soirée. Ethel n’est pas morte et Dubois à l’air d’un homme parfaitement normal. Un mec quelconque à qui n’importe qui pourrait confier son projet d’architecture ou dire bonjour à la boulangerie. Pas le genre de gars louche dont on a peur si on le croisait justement à 3h du matin dans la rue….
Dr. Nut avait proposé de la raccompagner chez elle mais elle a préféré rentrer seule en taxi. En arrivant, elle s’est regardée dans le grand miroir de son hall. 4H00 du matin, des cernes commençaient à se dessiner autour de ces doux yeux verts, un bouquet de roses dans une main, un flingue dans l’autre. « Oui, c’est la vie que tu as décidé de mener », se dit-elle à elle-même. En arrivant chez elle, ses colocataires semblaient être rentrés il y a peu de leur fête et étaient encore réveillés et bien éméchés, l’un d’eux l’interpelle : « Bah alors Aïda, tu as un admirateur secret au labo ? »
Mais Aïda n’avait pas envie de rire et il lui fallut un long moment allongée sur son lit à regarder le plafond avant que l’adrénaline ne redescende. « Mais bon sang ; quand et comment devient-on serial killer ? », se demandait-elle.
Elle est la première à rompre le silence qui s’était installé : « Je vous ai imprimé comme convenu la fiche technique de la semaine dernière »,*** dit-elle en la lui tendant. « Vous savez que nous avons analysé tous les vêtements de Gina. C’est donc la dernière ».
« Oui merci », dit-il en la récupérant et la rangeant dans un de ses dossiers. « Vous voulez dire que vous n’avez plus rien à faire ? »
« Ce sera le cas quand nous aurons coincé Dubois », lui répond-elle sérieusement. « Maintenant que nous avons retiré tous ses vêtements, j’ai pu observer l’intégralité de son corps. Sa peau est d’un blanc éclatant, presque laiteuse et totalement immaculée. Elle a « bonne mine », ce n’est pas l’aspect habituel d’un cadavre, dont la peau devient rapidement fade voire grisâtre, les lèvres violettes, les Italiens nous l’ont bien fait remarquer dès le début ».**
« Oui tout à fait », acquiesce Dr. Nut. C’est la première chose que lui avaient dit au téléphone ses collègues qui avaient retrouvé le corps de Gina. « Comme si elle était morte hier, il m’a dit Marco. Marco de Niro, il s’appelle le flic italien, oui comme l’acteur mais pas avec le même prénom, c’est pour ça que je me souviens de son nom », souligne Dr. Nut.
Aïda poursuit sans s’interrompre. « Alors j’ai commencé à observer les photos au microscope, en zoomant et zoomant. C’est imperceptible au premier coup d’œil, ni même au deuxième, mais il y a quelque chose qui m’a interpellée. Sur sa peau, je ne voyais aucun de ses vaisseaux, aucune aspérité, aucune cicatrice, aucun grain de beauté, aucun élément qui fait d’elle un humain qui a eu une histoire. On dirait une poupée je me suis dit. Et la peau semble légèrement pailletée, des étincelles apparaissent ici et là, et c’est alors que j’ai compris. Elle est maquillée patron, elle est maquillée de la tête aux pieds ! ».
« C’est-à-dire ? », ne sait que répondre Dr. Nut qui n’a pas encore eu le temps de saisir tout ce qu’implique ce que vient de lui expliquer sa jeune collègue.
Aïda ne le laisse pas respirer. « Le corps de Gina est entièrement recouvert de maquillage, c’est ce qui lui donne son aspect si uniforme. C’est très certainement du fond de teint que Dubois (ou une/une complice ?) a appliqué sur toute la surface de son corps. Il a fait ça avec beaucoup d’attention car il n’y a pas une partie de son corps où il en manque. Certains fonds de teint sont totalement mats, d’autre très légèrement pailletés, c’est ce qu’il a dû utiliser et c’est ce qui donne à Gina cet aspect « magique ». On aurait pu s’en apercevoir plus rapidement si elle portait du blanc, on aurait retrouvé quelques traces sur l’intérieur de ses vêtements, mais sur du noir c’est impossible…. Mais c’est aussi le maquillage qui la rend si vivante sur son visage. Ces joues roses et ces lèvres abricot, c’est un coup de blush sur les pommettes et un rouge à lèvres orangé… Tellement discret, tellement naturel, que cela paraît invisible… ».
« C’est donc ça », répond Dr. Nut abasourdi.
« Le syndrome de la Belle au Bois dormant que vous avez évoqué, c’est exactement ce qu’il a reproduit. Je me suis plongée dans la lecture originale du Comte de Perrault et voici ce qu’on peut y lire. Aïda sort de sa poche la version PDF imprimée dont elle a surligné quelques passages et lit à haute voix : « On eut dit un Ange, tant elle était belle ; car son évanouissement n’avait pas ôté les couleurs vives de son teint : ses joues étaient incarnates, et ses lèvres comme du corail ». Mais ce n’est pas tout, écoutez plus loin : « Il entre dans une chambre toute dorée et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il eût jamais vu : une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin ». Il les maquille patron, il les maquille ! »
« Merci Aïda, c’est une découverte exceptionnelle, on en sait davantage sur le modus operandi de Dubois. Ce sont des éléments clefs pour avancer. Bravo ! », s’exclame l’inspecteur, qui se demande si c’est à la morgue*** que Dubois a appris à maquiller ses victimes…
« Merci Patron », répond timidement Aïda. « Alors, je reste ? », demande-t-elle en souriant.
« Évidemment, filez maintenant, il faut que je passe quelques coups de fil, que j’essaye de retrouver ce Marco de Niro et que je digère ce que je viens d’apprendre ».
« Bien, à la semaine prochaine patron ».
En quittant le bureau du patron d’un pas léger, Aïda voit les gars du service lui faire de grands sourires, le pouce levé. Dr. Nut, voyant la scène de son bureau, se dit qu’il est décidément le dernier au courant des bonnes nouvelles.
(À suivre)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* Lire l’épisode L’architecte en garde à vue – L’obsession (Saison 5) et Le charme déroutant de l’architecte pour accueillir Adam et Eve (Saison 4)
** Pour savoir qui était Gina Le temps qui ne passe pas vite, meilleur allié de l’architecte ? (Saison 4) et L’architecte en garde à vue – Le fantôme de Gina (Saison 5)
*** Lire l’épisode L’architecture, de l’utile à l’agréable pour l’architecte ? (Saison 6)
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