Le pays recèlerait des richesses inexploitées sous forme de « colossaux » gisements de lithium, métal aujourd’hui indispensable à notre modernité électronique. Alerte aux paysages ?
À l’heure où j’écris ces lignes, de nouveaux permis d’exploration et d’exploitation de gisements de gaz et de pétrole sont délivrés tous les jours dans le monde, y compris près de chez nous, la banquise qui disparaît une aubaine. Je vois mal comment l’humanité saura se passer d’une source d’énergie abondante et bon marché. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les riches et célèbres capitaines d‘industrie, sachant pertinemment qu’après eux le déluge, préparent d’ores et déjà leurs bunkers de survie.
En attendant ils font le bonheur d’architectes locaux, tel Alessandro Costanza (BlueArch) qui a carte blanche pour construire à San Cassiano, station de luxe dans les Alpes italiennes du Trentin-Haut-Adige, le chalet d’Elon Musk, ouvrage de cinq étages et de 800 m² qui comptera « 15 chambres et 15 salles de bains, un grand séjour, une cave à vin et un spa souterrain » (JDN 3/01/2024). Histoire de rester au frais quand la plèbe sentira la sueur ?
Pourquoi Elon Musk ? Parce qu’il est parvenu à convaincre la planète que la voiture électrique, lourde, onéreuse, irréparable, farcie de terres rares était la solution pour remédier à la hausse des températures planétaires. Ce d’autant plus que les batteries, y compris celles des ordinateurs et des téléphones et des panneaux solaires, sont énergivores en lithium, nouvel or blanc dont la France dépend à ce jour à 95-97 % (Le Parisien 2/11/23) et qu’il faut importer à grands frais de Chine et d’Australie et de quelques autres pays.
Alors, au titre de l’indépendance stratégique du pays, il s’agit d’aller désormais chercher le lithium sous nos pieds. Cela tombe bien, notre sous-sol en regorge !
C’est ce qu’a expliqué le Groupe Imerys en octobre 2022, annonçant le développement à Echassières (Allier) de l’une des plus grandes mines européennes de lithium, projet qualifié d’« exemplaire sur le plan environnemental et climatique », par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie (L’humanité 24/10/22).
Maintenant que le pays sans pétrole est fort de ce métal précieux, comprendre que ce n’est donc qu’un début. De fait 500 000 tonnes de lithium, soit théoriquement 40% des besoins du pays, pourraient être produites près de chez vous, en circuit court. Plus d’une dizaine de projets d’extraction sont déjà en cours ou programmés.
Une mine, comme une carrière, a vocation à remodeler profondément le paysage. C’est là où le bât blesse ceux qui justement habitent là. Le paysage que ces habitants connaissent depuis « toujours » et défendent ardemment de bonne foi est-il pour autant naturel ?
Il y a à l’ouest d’Angers (Maine-et-Loire) un étang Saint-Nicolas désormais le cœur encaissé d’un grand parc des Carrières de près de cinq kilomètres de long et riche d’une grande diversité végétale et animale avec une alternance d’espaces semi-naturels, de forêts, de landes sèches et de zones humides.
Résumé historique. Le Comte d’Anjou Foulques Nerra, un homme qui a marqué l’histoire par sa violence et ses actions pour se racheter de ses crimes, fonde vers l’an 1000 l’abbaye Saint-Nicolas pour s’acquitter d’un vœu fait lors d’une tempête pendant son voyage à Jérusalem. Pour construire l’ouvrage, le lit du Brionneau, ruisseau qui traverse une colline adjacente, est livré à l’exploitation du schiste. Ainsi naît un petit étang, lequel est rétrocédé en 1040 à l’abbaye par Geoffroy Martel, fils de Foulques Nerra. Deux siècles plus tard, à partir de 1230, Saint Louis utilisera en circuit super court le schiste et l’ardoise extraits du site pour la construction du monumental château d’Angers. D’où cet étang aujourd’hui aux dimensions d’un lac au fond de cette longue vallée artificielle qui suivait la veine et qui aujourd’hui encore sépare deux quartiers sur le plateau, lesquels, sauf à faire un grand détour, ne sont reliés que par une petite passerelle au plus profond du parc. Le trop-plein de l’étang s’écoulait dans la Maine via des moulins qui permettaient aux moines de moudre le grain.
Le site a été exploité jusqu’au début du XXe siècle, notamment pour la production de barrettes, ces tuteurs et échalas de vigne prisés à l’époque. Les moines de l’abbaye avaient d’ailleurs planté de la vigne dès leur installation. Si la partie la plus proche de l’abbaye et de la ville fut aménagée en parc dès 1936, année où l’étang Saint-Nicolas est inscrit à « l’inventaire des sites dont la conservation présente un intérêt général », le fond de la « vallée » était, encore en 1970, en partie comblé par des gravats émanant du chantier de l’usine Bull. Ce n’est qu’en 1988 que la communauté d’agglomération d’Angers acquiert la trentaine d’hectares en amont de l’étang ; c’est aujourd’hui une zone humide qui fait le bonheur de la faune et de la flore.
Au fil des siècles cependant, pas un architecte ou maître d’ouvrage n’était assez fou pour oser construire sur ces pentes instables. La nature a ainsi (en partie) repris ses droits et l’ancienne mine et les anciennes carrières à quelques minutes du centre-ville sont devenues un parc semi-naturel très couru des Angevins.
La plupart d’entre eux, si on le leur demande, est cependant persuadée que cet étang et ses rives ombragées ont toujours été là et entend les protéger, eaux grises couleur ardoise y compris : comment peuvent-ils imaginer que cette vallée romantique de cinq kilomètres de long fut une colline ? Foulque Nerra dut-il exproprier et dédommager les habitants des fermes sur place à l’époque ? Ou fallait-il alors que les fermiers et leurs serfs, quand le comte disait qu’il fallait dégager, déguerpissent sans se plaindre ?
Bref, le saccage de cette grande parcelle – fort utile quand même car ayant permis de construire une abbaye et un château qui demeurent encore – a fini par créer un lieu enchanteur auquel l’écologie contemporaine interdit désormais de toucher, sinon avec grande circonspection pour ne pas lui faire de mal.
Plus près de nous, les montagnes de Provence aujourd’hui recouvertes de forêts ne l’étaient pas il y a encore un siècle. Il était alors visible de loin que les hommes avaient fièrement remodelé ces montagnes, à tel point qu’elles n’avaient déjà plus rien à voir avec un quelconque paysage original ou naturel. Idem avec les paysages inondés qui font l’actualité de cet hiver : toutes ces terres ont été conquises sur la mer, or le niveau de la mer monte et, quand il pleut, il pleut à verse désormais. Surprise !
Les paysages sont constamment redessinés par l’homme en fonction des éléments et, pour en revenir au lithium, Imerys a indiqué développer deux sites dans le Massif central : la mine d’extraction souterraine d’Echassières, à une profondeur de 75 à 350 mètres, et une usine de purification des minéraux et de transformation, à moins de 100 kilomètres de la mine.
La ressource serait si abondante que l’industriel et le gouvernement avec lui envisagent que la France devienne le second producteur de lithium au monde. D’ailleurs, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) a identifié un gisement « colossal » de lithium à Tréguennec, dans la baie d’Audierne, dans le Finistère. Peut-être faut-il se dépêcher d’exploiter ce gisement avant que les mineurs ne soient obligés de travailler en scaphandre.
Toujours est-il que peut-être connaissez-vous l’expression « la foi peut déplacer des montagnes ». Jésus-Christ lui-même ne pouvait pas inventer un tel concept sans avoir auparavant eu connaissance de faits avérés tant l’homme est incapable d’inventer le zèbre ou l’araignée s’il n’a jamais vu un zèbre ou une araignée. Pour autant, comment déplacer une montagne ?
Voyons. Une mine, quelle qu’elle soit, produit énormément de déchets, jusqu’à 95% dans le cas d’une mine d’ardoise à ciel ouvert par exemple. Depuis la nuit des temps, les sept nains, des mineurs souvenez-vous, remplissaient des gravats de la nouvelle mine le trou béant de l’ancienne jusqu’à former une nouvelle montagne, presque identique à la première après que la nature ait rapidement reconquis le terrain. Un voyageur qui revenait dans le même village 50 ans plus tard pouvait ainsi constater mieux que Saint-Thomas que le peuple local avait déplacé une montagne, voire plusieurs au fil du temps.
Plus proches de nous encore, les terrils du Nord. Dans la morne plaine, il y a désormais des « montagnes » offertes à la végétation et au temps, pour certaines ouvertes aux loisirs. Difficile aujourd’hui d’imaginer le Nord sans ses terrils et son peuple généreux qui a élevé des montagnes. Et quand le Nord + 10° sera inondé depuis des siècles, la région ressemblera à la baie d’Halong.
Dans tous les cas, vous imaginez la tête des extraterrestres qui ne viennent sur terre qu’une fois tous les 100 ou 200 ans, ils ne s’y retrouveraient plus avec leurs cartes périmées !
Alors, pour le lithium, mines ou pas mines ? Notre société consumériste et frivole est-elle prête à déplacer les montagnes, la différence peut-être étant que l’exploitation n’a pas besoin d’être réalisée à l’arrache comme en l’an 1000 ?
Si c’est pour sauver nos voitures électriques, nos téléphones, nos réseaux sociaux et nos data centers, alors il ne fait aucun doute que nous autres ne manquerons pas de courage !
“Heigh-ho, heigh-ho, on s’en va au boulot, heigh-ho, heigh-ho …“
Champagne au lithium donc et à vos pioches !
Bonne année 2024.
Christophe Leray