Nous le savons désormais, la flèche de Notre-Dame de Paris a été reconstruite à l’identique. Une performance certes, mais laquelle ? Quel est le message ? Aujourd’hui comme hier ? Voyons au ministère de la Culture, avec Rachida Dati.
Alors voilà, la flèche de Notre-Dame et son coq doré trônent à nouveau dans le ciel de Paris et avec eux l’ombre de Viollet-le-Duc. Un chantier mené de main de général !* Cocorico ! La charpente en est le fleuron, taillée puis mise en œuvre par des maîtres artisans charpentiers, selon des méthodes qui datent de Mathusalem.
Donc la France a montré au monde entier qu’elle sait refaire à l’identique, à la chinoise en somme, un truc centenaire qui s’est effondré par un coup du sort. Le symbole est puissant : ne manquaient que les tabliers en cuir des forgerons et le hennissement des chevaux.
De fait, la muséification de la ville de Paris est de plus en plus à l’identique et de moins en moins contemporaine et il est plus facile d’y financer un musée baroque que des logements sociaux. Pour autant, refaire à l’identique, c’est comme cloner une brebis sauf qu’ici elle s’appellerait Viollette. Ce n’est pas comme si le pays allait soudain se mettre à exporter de façon significative le savoir-faire de nos artisans charpentiers et ainsi réindustrialiser le pays avec une filière bois florissante et des flèches de cathédrales françaises partout dans le monde.
Et puis, refaire ce que l’on sait faire sans ordinateur depuis 1 000 ans, quel exploit !
C’était une promesse de Vulcain ex-Jupiter : une flèche à l’identique sur Notre-Dame. Promesse tenue donc. D’où peut-être son inclination à promouvoir une autre dame à Paris, une autre flèche empoisonnée.**
En effet, depuis le réarmemaniement et la prise de fonction du gouvernement Attal I le 11 janvier 2024, les architectes vont avec Rachida Dati retrouver une politique qu’ils connaissent déjà bien : presque à l’identique comme dirait Nicolas Sarkozy, voire classique comme dirait Stéphane Bern. Il leur suffit de s’appuyer sur les rares initiatives et déclarations concernant l’architecture de leur nouvelle ministre de tutelle.
Par exemple, dans sa contribution à l’enquête publique relative à la modification du PLU de Paris, datée du 18 juin 2011, celle qui est maire du VIIe arrondissement depuis 2008 expliquait en premier lieu s’opposer à la modification « visant à porter de 1 000 à 2 000 m² le seuil de la SHON à partir duquel il existe une obligation de construire des places de stationnement ». Comme Vulcain Ex-Jupiter, voire comme Pompidou, « la bagnole, elle adore », surtout les Renault.
Plus culturel, sous le chapitre intitulé Architecture contemporaine, elle expliquait dans le même document que la proposition de modification du règlement du PLU destinée « à promouvoir les formes contemporaines d’expression architecturales » pose un problème d’insertion dans l’urbanisme parisien. « Je souhaite que cette modification ne soit pas intégrée dans le PLU car elle donnera la possibilité de grands volumes vides en pied d’immeuble, disgracieux dans le paysage urbain, et posant des problèmes de sécurité et de salubrité (recoins) », écrit-elle, experte.
Il est vrai que le VIIe arrondissement, cossu, compte plus de musées que de bâtiments contemporains mais le musée du Quai Branly de Jean Nouvel, l’exception qui confirme la règle, et la cathédrale à la gloire de Vladimir Poutine,*** juste à côté, une exception qui échappe à toute règle, comblent le vide.
En 2013, Rachida Dati, jamais traitre à elle-même, prend à nouveau position sur les questions énergétiques dans une tribune publiée par Les Échos (16/10/2013) où elle demande doctement l’arrêt des subventions des énergies renouvelables qui, selon elle, « faussent la concurrence avec les énergies fossiles ». Elle se prononce à cette occasion en faveur d’une réouverture du débat sur les gaz de schiste.
Onze ans plus tard, en 2024, chacun comprend bien qu’il y a en effet urgence à s’interroger sur la destination des subventions liées aux énergies. L’énergie nucléaire par exemple, que Vulcain Ex-Jupiter vend comme si c’était fait, fausse-t-elle la concurrence avec les énergies fossiles subventionnées ?
En 2013 encore, celle qui est désormais ministre des Architectes était vent debout contre le logement social, surtout le logement social dans son arrondissement, ce dernier pourtant bon dernier des arrondissements parisiens avec un taux de 1,2% de logements sociaux. C’est vrai quoi, comment loger les gens dans les bureaux des beaux quartiers ?
C’est ainsi qu’en décembre 2013, en conseil municipal, Rachida Dati a proposé une série d’amendements au texte sur l’extension du Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du VIIe arrondissement ayant pour effet de limiter la construction de logement social (Europe 1 17/12/2013).
Elle propose alors, notamment, de « ramener le pourcentage de surfaces à affecter au logement locatif social de 30 % à 25 % ». De plus, elle souhaite « relever le seuil de la surface minimal d’application de cette mesure de 800 m² à 1 500 m², ce qui aurait pour effet de faire notablement baisser le nombre de lieux éligibles ».
Et puis l’architecture contemporaine, encore, puisque Madame le maire du VIIe insiste à nouveau à cette occasion que « le recours à l’architecture contemporaine doit pouvoir être exclu » tant elle souhaite « préserver l’absence de rupture de façades lorsque les circonstances l’exigent » sur les bâtiments haussmanniens. Pour les conserver à l’identique ?
De fait, ne jamais que refaire à l’identique, c’est bien là le credo des conservateurs.
Mais foin de l’histoire ancienne. Il va falloir à la ministre très vite décider de préserver ou non le Pavillon des Sources de l’institut Curie à Paris, dont la destruction a été suspendue in extremis par sa prédécesseur Rima Abdul Malak. La nouvelle locataire rue de Valois s’était opposée avec véhémence à la démolition de cet ouvrage, symbole lié à une femme Prix Nobel, deux fois ! Or Rachida Dati s’est toujours fait le héraut de la place due aux femmes en société. Tout comme peut-être Anne Hidalgo, maire de Paris ? En l’occurrence, ce pavillon ne fut semble-t-il que très peu utilisé par Marie Curie et puis l’Institut a besoin de place pour poursuivre ses travaux et c’est la mairie de Paris, odieuse, qui a délivré le permis de démolir… En plus, le bâtiment serait radioactif ! Que faire ?
Ce n’est pas difficile. Il suffit de démolir l’ouvrage suranné et de l’enterrer à Bure (Meuse), de dépolluer la parcelle avec minutie et de reconstruire le Pavillon des Sources à l’identique mais avec une pompe à chaleur et Internet, à la chinoise en somme, et tout le monde sera content. Sauf bien sûr l’agence BA-SO qui avait gagné le projet du nouveau bâtiment Claudius Regaud, du nom du cofondateur de l’institut.
Lors de la passation de pouvoir le 11 janvier, Rachida Dati, citée par BatiActu (12/01/2024), a promis de « s’intéresser de près » au patrimoine de Paris, « en particulier à la réalisation de ce formidable défi qu’avait lancé le président de la République en 2019 : la réouverture de Notre-Dame de Paris cette année ».
Ceci pour illustrer que la question au ministère de la Culture dans les prochains mois, et pour Paris aux prochaines élections municipales – un combat de titanes –, sera celle de l’architecture traditionnelle vs l’architecture contemporaine… Et Rachida Dati a de l’énergie fossile à revendre…
Bref une flèche à l’identique comme il y a 100 ans et qui sent déjà la poussière de plomb, une nouvelle ministre de la Culture à l’identique comme il y a 15 ans, un nouveau Pavillon des Sources à l’identique pour les prochains 100 ans… Des symboles forts et voilà l’architecture française lancée plein pot vers le futur et le progrès !
Christophe Leray
* Lire notre article A Notre-Dame, plutôt qu’en marche avant, la République En Avant ! Marche
** Lire notre article Notre-Dame : la flèche empoisonnée de Viollet-le-Duc
*** Lire notre article Poutine maître d’ouvrage, ça dépote