Promenade architecturale à la découverte de Jian Wai Soho, de Riken Yamamoto, lauréat du Pritzker Prize 2024.* Une audacieuse collaboration promoteur / architecte ? Chronique-photos d’Aurélien Chen.
Pékin, 2008. Cela fait quatre ans que je vis en Chine, que j’arpente la ville avec un appareil photo en bandoulière, témoin de sa transformation urbaine effrénée, avec en perspective dans quelques mois l’événement moteur de cette incroyable dynamique, les Jeux Olympiques de Pékin 2008.
Coup de fil de mon ami urbaniste et sinologue Jeremie Descamps (Sinopolis): « Ça te dirait de réaliser un multi-reportage sur les nouveaux quartiers de Pékin pour l’exposition Dans la Ville Chinoise, Regards sur les Mutations d’un Empire ? »
Prévue à l’automne 2008 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, c’est la première exposition majeure qui s’intéresse à la transformation urbaine des villes chinoises et à la naissance de l’architecture chinoise contemporaine. La Cité a confié le commissariat de l’exposition à Françoise Ged, responsable de l’Observatoire de l’Architecture de la Chine Contemporaine (OACC) et à feu Frédéric Edelmann, journaliste au Monde qui depuis dix ans accompagne l’Observatoire dans ses recherches sur la ville, l’architecture et le patrimoine, en liaison avec les plus grandes universités du pays. Jérémie Descamps est chargé de la production et de la coordination générale de l’événement du côté chinois.
Une quinzaine de quartiers sont choisis, pour lesquels il s’agit de capter l’ambiance de ces nouvelles urbanités et d’essayer de rendre compte des changements qui s’y opèrent depuis ces dix dernières années.
Parmi les zones choisies, l’incontournable C.B.D (Central Business District), le nouveau quartier d’affaires situé au sud-est de la ville. Dans quelques mois le quartier sera dominé par les présences imposantes de la CCTV Tower (OMA) et du China World Trade Center Tower III (qui deviendra la plus haute tour de Pékin).
Mais depuis quatre ans, c’est le complexe architectural Jian Wai Soho de Riken Yamamoto, livré en 2004, qui est le premier emblème de ce quartier en devenir.
Jian Wai Soho, c’est un complexe architectural à l’échelle de l’îlot urbain ; 700 000 m² de programme mixte résidentiel / bureaux répartis en 11 tours et cinq volumes bas. La première prouesse de l’architecte a été de faire pivoter tous les bâtiments d’un angle de 35% par rapport à la traditionnelle orientation sud/nord, qui dicte de manière inconditionnelle toute implantation architecturale dans la ville depuis des siècles.
Cette astuce, couplée à des variations de hauteur, dessine un nouveau skyline dynamique au bord du canal et du périphérique.
Mais c’est surtout dans la mixité d’usage que s’est révélée l’audace du tandem promoteur/architecte ; ce nouveau modèle, jusqu’alors inconnu en Chine où le zoning fonctionnel est la base de tout plan d’urbanisme, le groupe Soho China l’avait déjà ébauché quelques années auparavant en construisant en 2001 son premier complexe, le Soho New Town (Zhu Xiaodi Architects).
Avec Jian Wai Soho, le groupe Soho affine un nouveau modèle d’usage mixte et pose les bases de ce qui deviendra la « marque de fabrique » de leurs projets phares : une architecture à l’identité forte, souvent épurée, dessinée par un architecte étranger.
Côté fonctionnement, là encore, Soho créée les codes des futurs quartiers d’affaires : un socle de trois niveaux de commerces, essentiellement au service des bureaux, les circulations des véhicules intégralement en sous-sol pour libérer un rez-de-chaussée piéton dans la continuité de la ville, avec des espaces publics à différentes échelles (rues intérieures, allées, cours).
Riken Yamamoto a déclaré « chercher une abstraction architecturale ; c’est l’usage du lieu qui en créerait son identité unique et non pas un design « post-moderne » comme il était de mode à Pékin à l’époque » (Archdaily).
L’architecte a pour habitude de partir d’une microcellule à taille humaine et de la reproduire. En partant d’un module développé selon une trame régulière et décliné dans d’infinies variations, c’est à mon sens l’inverse qui s’est produit. La pureté du blanc couplée à la régularité de la trame a résulté en une architecture extrêmement rationnelle, aux lignes d’une rigueur absolue et abstraite, créant à Pékin un lieu avec une identité unique.
L’architecte souhaitait procurer aux usager une diversité d’espaces publics où la vie urbaine pouvait se recréer de manière spontanée. Mais lorsque l’usager a une sensation étonnante d’évoluer dans un environnement parfait et aussi rigoureux, on peut se demander si demeure la possibilité pour la spontanéité et l’appropriation des espaces.
Pour apprécier la particularité de ce projet, il faut donc le replacer dans son contexte historique et dans une étroite et audacieuse collaboration promoteur / architecte, désireux de proposer de nouveaux usages. Dans les années suivantes, cinq nouveaux Soho vont voir le jour à Pékin, mais il faudra attendre 2012 pour un nouveau « coup d’éclat » du promoteur, avec le Galaxy Soho de Zaha Hadid, ensemble architectural précurseur d’une nouvelle typologie architecturale qu’on ne tardera pas à retrouver déclinée à travers le globe.
Aurélien Chen
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*Mise à jour (13/03/2024). L’architecte Manuel Tardits (Mikan) précise à Chroniques que, au Jian Wan Soho de Pékin, Riken Yamamoto, qui était l’architecte en chef, avait eu la généreuse idée d’appeler deux autres confrères. L’agence japonaise Mikan est donc l’auteur à part entière, et en bonne intelligence avec le plan d’ensemble et les tours de Yamamoto, de tous les bâtiments longs en périphérie. Dont acte !