Après 15 années en Chine, changement de vie, changement de pays, changement de ville. Retour à Paris. Pour Aurélien Chen, architecte et photographe, au travers du gymnase Jules Ladoumègue, redécouvrir Paris au travers non pas d’une pagode mais de plusieurs. Exploration.
Ma première approche de la photographie d’architecture, c’était entre 2004 et 2007. Etudiant en architecture, en échange et recherches universitaires en Chine, j’ai arpenté les métropoles chinoises et documenté leur intense transformation. Pour moi, photographier l’architecture, c’était photographier l’architecture dans la ville, dans son contexte urbain. Cela est resté dans ma pratique professionnelle actuelle.
Ma participation photographique à l’exposition « Dans la ville chinoise » à la Cité de l’Architecture en 2008, a été un point d’orgue mais a aussi marqué la fin de cette période. J’ai par la suite dû délaisser la photographie et le reportage urbain, trop embarqué dans la folle dynamique des projets architecturaux en Chine. Lorsque j’ai pris le temps de renouer avec la photographie, c’était dans le cadre d’une pratique de la photographie d’architecture plus « standard ».
2019
Après 15 années en Chine, changement de vie, changement de pays, changement de ville. Retour à Paris. Redécouvrir Paris ? L’épidémie de COVID frappe. Elle durera deux ans. Pas vraiment inspiré par la ville retrouvée. C’est surtout par le biais de mes premières commandes de photographie que je m’exprime.
J’habite dans le 19ème arrondissement de Paris. Ces derniers temps, lorsque je passe Porte de Pantin, ce n’est plus l’emblématique et monumentale Philharmonie de Jean Nouvel qui attire mon regard. De l’autre côté du périphérique, un bâtiment remarquable lui répond sans honte. Cela fait cinquante ans qu’il marque de sa présence ce territoire urbain.
Il s’agit du gymnase Jules Ladoumègue, construit en 1972 par l’architecte Jean Peccoux et l’ingénieur Robert Lourdin. Devant le flux ininterrompu des voitures, le temps s’est suspendu lors du déploiement de ses ailes de béton et d’acier.
Cet édifice me fascine. C’est décidé, je vais le photographier, en plusieurs fois, dans une démarche de documentation, d’archivage. Je suis motivé. C’est pour moi un retour au « reportage urbain », mais moins spontané, avec un objectif : documenter ce bâtiment, comme un témoignage photographique et architectural.
Ce bâtiment me rappelle l’omniprésence des grandes toitures en béton dans l’architecture chinoise contemporaine, initiée par Wang Shu (Pritzker Prize 2012). D’ailleurs, un peu de recherche et je découvre que ce bâtiment est, à juste titre, aussi surnommé « La Pagode ».
Une pagode. Des grands toits. Une architecture brutaliste de béton qui affirme sa massivité et sa monumentalité. Une route suspendue (le périphérique parisien).
Je commence à comprendre pourquoi ce bâtiment m’attire. Fallait-il donc retrouver les éléments de l’architecture et de la métropole chinoises pour me donner envie de redécouvrir et photographier Paris ?
Décidément, les pagodes me suivent… Même dans les commandes, je me retrouve à photographier des pagodes !
J’ai en effet été amené à photographier l’une des « pagodes » des Olympiades, récemment rénovée par WAO Architecture, initialement construites en…1972, comme le gymnase Ladoumègue !
Coïncidence ? Peut-être pas : quelques années auparavant, Miguel Fisac érigeait déjà une « pagode » de béton en 1970 près de Madrid (Laboratorios Jorba, détruit depuis) …
Les toits des pagodes chinoises et/ou japonaises auraient-ils influencé l’architecture brutaliste et monumentale en Occident dans les années 70, et initié avant l’heure la renaissance de l’architecture chinoise des « Grands toits » ? Cette même architecture brutaliste qui est clairement assumée dans l’architecture chinoise contemporaine ?
En fait, selon les concepteurs des Olympiades, ces toitures étaient initialement conçues telles des voiles qui portaient l’usager d’une tour à l’autre, de la tour Tokyo à la tour Mexico. C’est l’usage et l’appropriation du lieu par la communauté asiatique qui ont transformé, dans la pensée collective, les voiles en toits de pagode. Pagodes ou voiles, laissons-nous tout de même porter par l’idée du voyage.
Revenons au gymnase Jules Ladoumègue.
Je me rends sur place pour une première session. Pas de trépied, à main levée, pour plus de spontanéité.
Dès l’entrée dans le site, je m’intéresse à la relation avec les bâtiments conçus par Dietmar Feichtinger Architectes, qui ont complété le centre sportif en 2014. Nouvelle coïncidence, on retrouve une architecture sur dalle.
La façade du bâtiment de Dietmar Feichtinger épouse la pente de l’escalier monumental qui mène à la dalle, répondant ainsi à la géométrie de la toiture du gymnase. Les lames de verre horizontales de la façade contemporaine répondent aux murs rideaux verticaux du gymnase, des jeux de réflexions multiples renforcent le dialogue.
Changement d’échelle.
En haut des escaliers, j’arrive sur la dalle plantée, et le bâtiment prend une tout autre échelle.
Entre deux arbres, la perspective s’ouvre sur la Philharmonie, dont la géométrie vient prolonger, par les jeux du hasard et du cadrage photographique, la toiture si particulière de la pagode.
C’est l’occasion de remettre ce patrimoine dans le contexte de son usage sportif.
« Monsieur, que faites-vous là ? »
Pour l’anecdote, ma « promenade documentaire » a été interrompue par un responsable du centre sportif qui me signifie qu’il faut demander une autorisation préalable pour réaliser des photographies dans le site.
Un coup de fil à sens unique auprès du service de la mairie de Paris m’amène à la conclusion qu’il faut prendre rendez-vous plusieurs semaines à l’avance – ce qui est très pratique pour photographier un bâtiment puisque je sais prévoir les conditions météo à plusieurs semaines, qu’il faut préciser le nombre de techniciens de l’équipe – ça tombe bien, comme tout photographe d’architecture, je comptais venir avec mes six assistants et chef opérateur, et que cela aura un coût – ce qui me semble tout à fait normal dans le cadre d’un travail d’archivage du patrimoine pour la mémoire collective…
Je ne me laisse pas abattre ! Je téléphone à toutes les institutions auxquelles je peux penser, pour dénoncer l’absurdité administrative et demander un sésame. « Je souhaiterais documenter, même à titre gracieux, un bâtiment du patrimoine moderne que je trouve remarquable ; comment pourrai-je procéder ? ». Personne ne sait m’orienter. Au détour d’une exposition à la maison de l’architecture Ile de France, j’interpelle une élue de la ville de Paris responsable du patrimoine. Sans suite.
Merci les réseaux sociaux !
Plusieurs mois passent. C’est au hasard d’un « like » remonté jusqu’à mon profil sur les réseaux sociaux, que je découvre une photographie du gymnase Ladoumègue prise par Laurent Kruszyk. En fait, une documentation du bâtiment est en cours, menée par la commission Patrimoines et Inventaire de la région Ile-de-France, dans le cadre d’un projet d’archivage du patrimoine du XXe siècle.
Je suis plutôt enthousiaste à l’idée que ce patrimoine sera documenté officiellement. Mais je reste absolument perplexe : pourquoi est-ce l’algorithme d’un réseau social qui m’a permis de joindre la commission spécifiquement responsable de la documentation de ce bâtiment, et non les services administratifs de la région ou de la ville… ?
Allez ! On se ressaisit ! Même si ma motivation en a pris un sacré coup, je suis tout de même retourné au gymnase, et puisqu’il est compliqué de photographier à l’intérieur du site, pourquoi ne pas se focaliser sur la présence d’un tel patrimoine dans la ville d’aujourd’hui ?
C’est aussi l’occasion de découvrir la magnifique façade en béton des gradins du stade. Je ne peux m’empêcher d’établir un dernier parallèle avec Wang Shu… et avec mon expérience professionnelle et personnelle.
Photographier l’architecture, c’est aussi pour moi, en tant qu’architecte, une opportunité d’apprendre et de me questionner. Certains penseront peut-être : « encore un parallèle avec la Chine ! ». Eh oui, c’est effectivement le cas. C’est une partie de ma vie, qui nourrit donc mon travail. C’est d’ailleurs en rédigeant cette chronique que j’ai compris pourquoi j’ai repris la photographie urbaine à Paris en choisissant ce bâtiment si particulier.
Aurélien Chen
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