La nouvelle grille des cotisations imaginée par l’ordre national des architectes (CNOA) a mis le feu aux poudres de la profession mais l’ire qu’elle a provoquée n’est que le symptôme d’une angoisse plus profonde, comme une éruption de fièvre indique la présence d’un virus potentiellement dangereux. Explications.
Ces nouveaux barèmes donnent des boutons à nombre d’architectes indignés, comme en témoignent des missives d’une rare virulence reçues à la rédaction après la publication de l’article publié le 26 mars 2024 ayant trait aux élections ordinales régionales.* Christian B. parle de « scandale », Gilles B. indique « ne pas procéder à ce jour au règlement de cette cotisation 2024 » quand Nadège s’émeut : « nous avons un ordre percepteur c’est inacceptable ! ». Alain s’étonne : « Avec très peu d’honoraires, on paye autant que les grosses agences ! ». Une grève des cotisations ? Une fronde ? Une jacquerie ? Ils sont nombreux en tout cas à se plaindre de devoir « payer pour exercer [leur] métier… »
Émotion également au Syndicat d’architecture ayant pour sa part annoncé dans un communiqué de presse daté du 5 avril avoir décidé de saisir le Conseil d’État pour « contester les nouveaux barèmes de cotisation que le Conseil national de l’Ordre vient d’appliquer et qui pour nous sont synonymes d’inégalité entre les architectes ». Discrimination négative ? En attendant l’issue de son recours, le SA appelle cependant prudemment les architectes à s’acquitter « à titre provisoire » de leur cotisation.
Pour autant ces réactions épidermiques ne sont que la manifestation d’une infection plus ancienne.
La preuve étant que les tarifs des cotisations n’ont pas augmenté de façon disproportionnée pour tous et toutes. Certes la grille est remaniée mais, selon nos informations, la cotisation de base pour une société d’architecture qui était de 700 € en 2023 est passée à 720 € en 2024, soit une augmentation de 2,8 %. Pour les architectes associés d’une agence la cotisation était de 350 €, elle est passée à 360 € ; là encore pas de scandale. D’ailleurs, pour un salarié qui souhaite s’inscrire à l’ordre la cotisation qui était de 280 € est passée à 90 €, ceci pour permettre à un maximum de salariés de s’inscrire à l’ordre et revendiquer le titre d’architecte.
Le fait est que, dorénavant, explique l’ordre, « les sociétés, y compris celles dont un associé est non-inscrit au tableau de l’Ordre, sont considérées comme pluri-personnelles. Cette réforme permet de tendre vers davantage d’égalité concernant la cotisation appliquée aux sociétés dans leur diversité de statuts et de compositions ». D’où la mauvaise surprise, et la mauvaise humeur, pour ceux qui au fil du temps avaient fini par associer la secrétaire, la responsable du développement et le grouillot fidèle au regard de leurs mérites et qui ont vu leur cotisation multipliée par « 308 % ! » (de 350 € à 1 080 €). Si tous les associés de l’agence sont inscrits à l’ordre, alors pas de souci, retour au tarif de base ! C’est clair ?
Du coup, la brutalité et le timing de l’annonce, au lendemain des élections ordinales régionales, ne laissent pas d’étonner pour un CNOA nouveau que d’aucuns croyaient rompu à l’exercice de la communication, laquelle fait d’ailleurs partie des objectifs du bureau. Simple faux pas ?
Pas sûr. C’est l’UNSFA, syndicat patronal, qui met les pieds dans le plat avec une pétition en ligne** qui n’en finit pas de recueillir des signatures (plus de 2 500 à l’heure d’écrire ces lignes) et commentaires acerbes (plus de 90 mais il arrive un moment où les architectes qui commentent la pétition, semblent n’avoir plus rien à ajouter).
Dans ce texte, il apparaît que les cotisations ne sont que le prétexte d’une demande plus vaste de transparence, d’une autre méthode de « gouvernement » des architectes et de clarté financière et politique.
« La question n’est pas celle de l’augmentation des cotisations mais de l’utilisation de ces cotisations et de l’augmentation, exponentielle, du budget de notre ordre : 14 millions en 2012, 17.5 millions en 2022, 20 millions attendus en 2024… combien en 2025 ? », indique l’UNSFA. Qui conclut en appelant l’ordre « à organiser un grand débat national, ouvert à toutes et à tous, autour de son budget (notre argent) et de son projet politique (notre avenir) ». Justement, quelle est la politique de l’ordre ?
Il est permis de penser que les plus de 2 500 architectes ayant déjà signé la pétition ne sont pas tous adhérents de l’UNSFA mais apparemment ceux-là s’inquiètent des futurs contours de leur profession. « Demain un lycéen ayant coché « architecture » dans Parcoursup sera-t-il architecte ? », ironise l’un d’eux.
En attendant l’ordre se livre à une réorganisation de fond en comble de son organigramme – une restructuration diraient les hommes et femmes de l’art – qui n’est pas sans susciter également des questionnements. ‘Burn-out’, arrêts maladie, avocats et prud’hommes semblent désormais être un sujet au CNOA.
Il est vrai que, quelle que soit l’entreprise, encore plus quand il s’agit d’une administration française – car au fond l’ordre n’est rien d’autre statutairement qu’une administration – toute nouvelle organisation va mettre en tension des habitudes acquises, depuis des décades parfois en l’occurrence, et il n’est pas de transition sans grincements de dents.
En témoigne un rapport rédigé en 2023 par les docteurs Adrien Soprani, médecin du travail, et Saloua Karray, psychologue du travail à l’issue de leur intervention « en psychologie du travail dans un contexte de changement » au CNOA. Les conclusions des médecins ne sont pas particulièrement violentes mais suffisamment alarmantes pour indiquer que la restructuration au CNOA n’est pas un gentil fleuve tranquille malgré la vue depuis la tour Montparnasse. Ils sont d’ailleurs quelques-uns et quelques-unes qui, en avril 2024, aimeraient bien connaître quelles suites ont été données aux recommandations de ce rapport – il y en a treize – ainsi qu’à « l’obligation de résultats » exigée via « des mesures de prévention, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés » mais le CNOA n’a pas retourné notre demande de précisions.
Il y a donc l’art et la manière. Là encore, pour ce qui concerne les ressources humaines (RH) cette fois, pourquoi tant d’échos acides à suinter du CNOA ? Nouveau faux pas de communication ?
Marie-Aude Bailly-Le Bars, directrice générale de l’ordre depuis avril 2023 après une carrière dédiée en partie aux collectivités locales, dont la ville de Puteaux (Hauts-de-Seine), a été recrutée pour donner une cohérence à ce qui fut longtemps une direction collégiale. Il suffit en effet qu’un seul élément essentiel de la pyramide bouge, vers la retraite par exemple, pour que tout l’édifice tremble. L’occasion donc pour le CNOA de revoir son organisation et il n’est pas interdit de penser qu’une direction unique pour une administration d’une trentaine de personnes n’est pas superflue. Hélas, du grand œuvre sans doute nécessaire, ce qui transpire est à nouveau l’acrimonie.
De fait, il est remarquable de retrouver un an plus tard le 21 mars 2024, au siège de la CFDT, sur la bien nommée avenue Simon Bolivar à Paris (XIXe), lors des vœux du SYNATPAU (SYndicat NATional des Professions de l’Architecture et de l’Urbanisme), les organisations syndicales patronales et de salariés solidaires autour d’un verre de l’amitié et d’une même inquiétude, pour le dire gentiment.
« Au-delà de nos rapports de force, des compromis sociaux à construire ensemble, nous faisons le vœu aujourd’hui que bâtir les communs ensemble, construire l’avenir des entreprises d’architecture avec les salariés et les employeurs est important ! Si nous n’agissons pas ensemble, architectes salariés et employeurs, nous laissons d’autres institutions parler au nom des entreprises et du secteur professionnel et économique que nous seuls représentons », expliquait alors Stéphane Calmard, secrétaire général du SYNATPAU tandis que les représentants de l’UNSFA et de SA opinaient gravement. Laisser à d’autres le soin de parler en leur nom ? Suivez leur regard.
L’ordre aurait-il réussi à créer l’union sacrée contre lui ? Quelques jours plus tard, en tout cas, l’UNSFA publiait sa pétition et le SA envoyait son recours au Conseil d’État.
Certes les syndicats sont dans leur rôle, toujours est-il que le constat s’impose d’une gouvernance clivante du CNOA. Déjà que les architectes ont bien du mal à compter leurs divisions, alors diviser pour mieux régner… C’était d’ailleurs la première recommandation du rapport des docteurs de la médecine du travail : « Sortir du discours clivant ancien/nouveau et avoir un traitement juste et équitable et respectueux pour tous les salariés ».
Cela vaut apparemment également pour tous les architectes tant demeure l’enjeu principal, qui infecte la vision de l’avenir et qui ne pourra pas ne pas faire l’objet d’un large débat : demain, quelle définition pour le métier d’architecte ?
Qu’en pense l’ordre exactement, ou plus précisément Christine Leconte, sa présidente, souvent victime ad hominem de la vindicte ? Quelle politique avec les cotisations de qui ? C’est l’incertitude de cette réponse, au regard de l’intérêt général évidemment, qui non sans raison donne de l’urticaire aux praticiens. Il va bien falloir à un moment crever l’abcès.
Pour autant, sans doute que le sujet, qui renvoie à la formation des architectes et à la funeste loi LiMaDo aujourd’hui gravée dans le marbre, dépasse largement la compétence de la présidente de l’ordre, qui sera un jour venue et partie comme ses prédécesseurs.
Et puis, chez les pouvoirs en place, qui s’intéresse aux angoisses existentielles des hommes et femmes de l’art ?
Christophe Leray
* Lire notre article À l’ordre des architectes, élections (ordinales) piège à… ?
** Voir la pétition Lettre ouverte à toutes nos consœurs et à tous nos confrères architectes