En cette quatrième journée de reconnaissance, s’avouer que cette sixième étape permettra au peloton de se remettre des émotions alpines en parcourant 163 km entre Mâcon (Saône-et-Loire) et Dijon (Côte-d’Or).* Une étape pour sprinteurs en été, un décrassage pour le suiveur au printemps. Quitte à rouler sur la Route des Vins, autant faire une halte à la Cité des Climats et Vins de Bourgogne, ouvrage livré en juin 2023 et signé de l’agence Emmanuelle Andreani. Un bon décrassage au bourgogne, les suiveurs connaissent la recette.
À mi-parcours, halte à Beaune en entrée de ville pour découvrir ce bâtiment singulier qui parle donc de climat et de vin. Il est enveloppé par des bandes minérales qui oscillent dans leur parcours vers le ciel. Ce type de programme court éperdument après le fameux effet Bilbao et son bâtiment ‘flagship’. Une architecture qui fait signe, littérale, qui évoque l’univers de son programme. À Bordeaux la Cité du Vin de l’agence X-TU évoquait le mouvement du fluide dans son verre, ici les vrilles sont une allégorie des treilles et de la vigne qui s’y enroulent. Le bâtiment principal est le support, la treille, la vigne qui y grimpe, les passerelles. « Form follows program! ».
« Depuis le premier dessin, le concept de vrille enroulée autour du bâtiment naît du territoire. Dessiner cette vrille au premier jet, c’est transposer toute l’histoire de la Bourgogne. Ce végétal tendre et frêle au départ devient dur comme la pierre au fil des années ». L’image est d’Emmanuelle Andreani.
Le changement des capacités mécaniques s’incarne ici par des rampes en béton mais faites en acier façon poutre treillis débillardée. La prouesse technique est impressionnante et la complexité de l’ouvrage est aisée à imaginer, ce dont atteste l’architecte : « S’il n’y avait pas eu un bureau d’études structures amateur du risque et familier des missions impossibles, cette vrille piétonne n’existerait pas non plus », dit-elle. Un ouvrage complexe et un architecte qui rend hommage à l’ingénieur et au bon vin, que rêver de mieux ?
Ce totem repose sur un grand socle plié émergeant du sol, deux langages architecturaux assemblés, une volute sur un bâtiment paysage dont le plan témoigne. Une ogive qui tangente, un parallélépipède avec la scénographie qui propage les courbes des plans de la première dans le second volume. Le premier volume appartient donc plus au parc qu’au bâtiment et paradoxalement c’est en son sein que se développe une grande partie de l’exposition. Le besoin d’une muséographie de type « black box » s’accommodait mal d’un volume vertical et largement ouvert. Dit autrement, le projet attire par le totem mais l’espace se déploie dans le socle.
Les passerelles enrubannées servent à s’élever pour accéder au toit terrasse, l’intérieur du plan accueille les fonctions supports dans les étages. C’est donc finalement un bâtiment inversé : là où le programme s’incarne dans l’architecture au sens architectonique, il y est peu présent mais se trouve dans le socle, dans la terre. Peut-être une allégorie de la vigne qui est en permanence taillée pour n’en garder que le cep. Qui sait, peut-être un jour ces passerelles seront déposées. On n’ose l’imaginer tant leur conception et leur réalisation semblent avoir mobilisé d’importantes ressources humaines et convoqué quelques tracas nocturnes comme le raconte l’architecte : « C’est à tout point de vue le chantier le plus exigeant de ma carrière, et c’est une vraie chance de compter sur une entreprise comme Rougeot et son directeur général David Guio pour assurer une construction irréprochable », dit-elle.
Cette complexité associe la question structurelle et architecturale. La matérialité du béton préfabriqué faisant parement, des rubans recherchant un aspect marbré « au toucher peau de bébé »… Une exigence d’aspect et de sensation pour venir habiller l’exploit structurel. Point de négociation sur le résultat, il se doit d’être excellent. « Je n’étais pas parfaitement satisfaite du rendu d’une partie du béton de la rampe extérieure, Rougeot n’a pas hésité un instant à démonter pour refaire », précise Emmanuelle Andreani.
Drôle de sort tout de même pour ces panneaux préfabriqués qui ont nécessité des coffrages savants, des études expertes, des mises en œuvre ultra-calibrées et qui ont cru pouvoir passer leur vie au soleil sur la façade mais qui malheureusement faute d’aspect satisfaisant ont dû redescendre de la rampe et partir au rebut. La vigne n’est jamais qu’une nature domptée, certains panneaux ont connu le même sort. Ils la trouvaient peut-être douce, eux, leur peau et voulaient rester perchés là-haut dans le ciel. On ne saura jamais, le contrôle qualité in situ a eu raison de leur sort.
Ainsi va la vie des bâtiments ‘flagship’, le rendu surplombe l’histoire et les aléas. Il faut un résultat conforme, un alignement parfait entre la promesse et la réalisation. Le bâtiment fait partie du concept global de la Cité, son image construite sera l’un des vecteurs de communication et d’identification du lieu. Tout le monde connaît les tuiles vernissées des Hospices locaux, bientôt ils connaîtront les rubans de béton de la Cité des Climats et Vins de Bourgogne. Des marqueurs pour des programmes et des époques.
Le bâtiment convoque une image familière pour les suiveurs férus d’architecture, une sensation de retrouver le souvenir d’une construction semblable, une construction aérienne enrubannée. En reprenant la route, il cherche dans sa mémoire. Le vélo offre par l’effort une sorte de méditation lente propice à la réflexion. Après quelques dizaines de kilomètres, le souvenir revient comme une évidence : la Ribbon Chapel de Hiroshi Nakamura, proche d’Hiroshima. La chapelle enrubannée japonaise, voilà la sensation familière ressentie.
Cette cousine japonaise semble être le référent du projet, l’image subliminale de la Cité des Vins et du Climat. Il en va ainsi des architectures qui imprègnent les rétines, elles convoquent parfois des souvenirs mélangés. Cette notion de ruban venait de l’autre côté du monde et perturbait la lecture du projet en superposant les deux images.
Il en va ainsi dans un monde interconnecté de la fabrique de l’architecture comme de celle des images qui cherchent, en se confondant, à incarner un lieu ; Bilbao et son Musée, Beaune et sa Cité des vins désormais. Une signature globale, la recherche d’une icône comme marqueur, un ensemble flou entre contenant et contenu. « Form follows function, follows program ». Drôle de sensation tout de même sur la route pour les suiveurs que le résultat de cette recherche perturbée par la surimpression d’un projet du bout du monde.
C’est peut-être cela finalement la Cité des Vins et du Climat, une influence du dernier sur le premier, irrémédiablement. Le climat pour le vin, le contexte pour l’architecture. Tout est possible désormais. Les vins du bout du monde, comme on les appelle désormais, ont la cote. L’architecture du bout du monde aussi et le bourgogne a un goût de Saké.
Guillaume Girod (en reconnaissance)
* Le Tour de France 2024 s’élancera de Florence en Italie le samedi 29 juin pour une arrivée à Nice le dimanche 21 juillet. Comme les équipes de coureurs reconnaissent les étapes en amont, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques d’architecture, pour leur septième participation, en font désormais autant.
** Lire TDF 2024 – Étape 5 – Les écuries de la Roche par F+G Architectes
*** Lire TDF 2024 – Étapes 2 et 3 – Pedevilla Architects, les cousins qui ont tout compris ?
*** Lire TDF 2024 – Étape 4 – Atelier Fernandez Serres. Rien ne sert de crier…
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2024
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018