Il était assez logique qu’à l’heure où Miss Barbie, attaquée par le syndrome mauvaise haleine et pieds plats, décide de sortir de la boîte de son monde jadis idéal, les sept nains fassent leur révolution. C’est donc chose faite, envers et malgré eux… Leur incroyable histoire.
Chassés de leur forêt, dans un premier temps pour avoir coopéré avec une fille de roi dispendieuse accoutumée aux luxueux palais – briques, pierres et béton – vice – puis dénoncés par la même brune magnifique qu’ils avaient recueillie de l’avoir abusée – vice ou vertu, qui peut dire la vérité, à part les frères Grimm hélas morts depuis longtemps.
Les voici donc à bout de forces, au terme de tant années d’errance, déplacés, épuisés mais vivants, aux portes de la capitale. Porte de la Villette exactement.
Privés de chasse mais gorgés de compléments alimentaires et d’alimentation 100 % vegan, ils ont grandi comme des asperges. Il leur faut donc un habitat adapté à leur nouvelle stature. Problème – leur taille les a rendus plus vulnérables… Ils ont perdu leurs forces de bâtisseurs. Pire encore, leurs moyens de survie car dans la capitale point de mines à charbon – vice – mais du solaire et de l’éolien – vertu.
À regret – car ils étaient certes rustiques mais autosuffisants – ils firent appel à Atelier du Pont,* des architectes capables d’écoute et d’empathie, pour imaginer un lieu qui les rattacherait à leur mémoire, la chaumière dans la clairière, la nature, la faune et la flore – quelques brebis, quelques poules, et des ânes pour faire les courses lourdes – vertu.
Le problème du coût s’est évidemment posé – vice – mais les architectes bienveillants leur consentent un prix défiant toute concurrence – 3 000 euros du mètre carré, mobilier compris – vertu – et un crédit sur trente ans – vice.
Les nains de jadis étaient peut-être moins performants à cause de leur nouvelle taille mais, toujours courageux, ils acceptèrent.
C’est ainsi qu’est né pour eux le Pavillon Jardins – jardins au pluriel puisqu’ils sont toujours sept – à chacun son petit coin de jardin – vertu. C’est en tout cas la seule explication pour ce drôle de pluriel…
Le bâtiment sera formidable. Beaucoup de bois, pour les rasséréner, du Pin Douglas en provenance du Limousin et du Morvan (jadis importé de la côte ouest des États-Unis – vice – mais la France est devenue le premier producteur européen). Pas trop de bois tout de même car le renouvellement est en nette diminution et la production de sciages en nette augmentation. Sans compter les méfaits de la production quasi industrielle de ce bois solide et il est vrai parfait pour la construction – vice : « Les monocultures de forêts créent un désert biologique, parce qu’il n’y a pas d’arbre mort, pas d’arbre naissant. Il faut imaginer que ce sont des arbres qui ont tous le même âge, tous la même hauteur, et que l’on va ensuite faucher au même moment ». Gaspard d’Allens : Main basse sur nos forêts, Edition du Seuil. Vice encore.
Les architectes d’Atelier du Pont en sont conscients et conçoivent donc un bâtiment mixte : béton et bois. Vice et vertu… un bon compromis.
Un bâtiment compact mais à géométrie variable avec des portées de douze mètres qui permettront de libérer les espaces intérieurs, avec une emprise au sol limitée.
Capable donc de s’adapter aux besoins, aux modes de vie et à la mémoire des jadis nains qui, accoutumés à des espaces de vie confinés, réclamèrent bien vite des cloisons vitrées, pour un semblant d’intimité.
Toujours à l’écoute et bienveillants, les architectes d’Atelier du Pont conçurent même spécialement pour eux des structures sur roulettes, en bois, épatantes micro-architectures réalisées sur mesures capables de contenir six personnes assises, pour des réunions intimes, et munies de nombreuses prises leur permettant la communication avec le monde. Pour la survie de la forêt – vice ou vertu ?
Le meilleur est souvent pour la fin, ou plutôt sur le toit.
À l’aide d’un escalier métallique néanmoins périlleux – vice – les jadis nains peuvent grimper et admirer sans réserve le spectacle d’un jardin sur le toit rejoignant la nature alentour – vertu – les jardins du Parc de la Villette. Si les nains étaient des religieux, ce toit béni serait leur cloître, un lieu de méditation, de recueillement, également de joie et d’inspiration. Le spectacle est si magnifique et si prenant qu’il leur donnera forcément l’envie de visiter le monde d’à côté.
Celui imaginé par Bernard Tschumi il y a plus de quarante ans, autour d’une incroyable trame pour un monde rêvé, une interpénétration du monde végétal et du tissu urbain. Une superposition de systèmes de points, lignes et surfaces comme une partition.
Rouge. Rouge comme la folie. Comme des folies. 26.
« Monsieur Tschumi, nous nous apprêtons à débuter une longue ère de collaboration. Alors pourquoi ne pas commencer tout de suite, et remplacer le terme de folie par celui de fabrique », proposait Paul Delouvrier à Tschumi le 12 décembre 1982.
Tschumi n’a pas cédé – vertu – et les 26 folies sont devenues les marqueurs mythiques d’un nouveau constructivisme. Un manifeste.
Rouges comme s’arrêter. Suivre. Suivre le fil rouge. C’est toujours bien…
Si la chance ne les lâche pas, peut-être pourraient-ils revoir depuis leur toit magnifique au bout de leur escalier périlleux, l’incroyable feu d’artifice évènement imaginé par Tschumi, dessiné points par points, lignes par lignes, secondes par secondes. Parc de la Villette, Fireworks 1992.(Bernard Tschumi, Event-Cities 1994).
On peut toujours rêver.
Dans tous les cas, le Vice ou la Vertu, pourquoi faudrait-il choisir ?
Tina Bloch
*Découvrir la présentation du projet : Dans le parc de la Villette à Paris, un Pavillon Jardins signé Atelier du Pont