Il faut croire qu’il est parfois utile aux pouvoirs en place de faire montre d’un empressement inattendu pour l’architecture. En effet, le 19 septembre 2024, ses aficionados auront noté ce message de Vulcain ex-Jupiter* sur un réseau social appartenant à un milliardaire. Pour les distraits, le voici en intégralité.
« Il n’y avait ici que du béton.
Nous y inaugurons l’Arboretum, le plus grand campus de bureaux en bois massif d’Europe.
Empreinte carbone minimale, utilisation de la géothermie et 1000 arbres plantés : une illustration de l’écologie à la française. pic.twitter.com/aIPOHyGvn7 ».
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) September 19, 2024
Texto, y compris la date en anglais. Arboretum ? Écologie à la française ?
De quoi s’agit-il ? Nicolas Laisné Architectes, avec Leclercq Associés, DREAM, Hubert & Roy et Associés l’une des agences de l’équipe de maîtrise d’oeuvre du massif ouvrage en bois, explique qu’Arboretum est un « campus de bureaux et services tourné vers la santé et le bien-être des collaborateurs. Il est implanté dans le prolongement de La Défense sur le site des anciennes Papeteries à Nanterre, en rive d’un des plus beaux parcs des bords de Seine. Le projet est composé de cinq bâtiments neufs construits en bois massif ainsi que de deux bâtiments patrimoniaux conservés et réhabilités par l’agence Hubert & Roy Architectes ». Pour résumer : 125 000 m² de bureaux et services dans un parc privé de neuf hectares.
Nous le savons, les architectes font souvent preuve de trop de modestie. WO², le promoteur de l’opération, n’a pas cette pudeur et préfère évoquer la notion de « ville-forêt » qu’il justifie ainsi : « Avec plus de 1 000 arbres remarquables plantés, le parc est un véritable arboretum ». Sur neuf hectares ?
Pour se faire une idée de l’exploit, Sou Fugimoteo, des arbres, il en plantait 1 000 sur un seul bâtiment, demandez à Anne Hidalgo !
D’ailleurs, poursuit WO², « l’allée d’Arboretum [sera] composée d’espèces rares (sequoia, magnolia, chêne écarlate) », parce qu’évidemment il faut des arbres rares pour justifier le nom d’Arboretum pour l’opération quand la tendance aujourd’hui est plutôt à l’écologie et la promotion des essences locales. C’est vrai que les sequoias, supposés symboles de longévité, de puissance, de force et d’énergie, en Île-de-France, c’est attendrissant. Peut-être Vulcain ex-Jupiter impressionné par sa visite voudra en planter un à l’Elysée. Surtout, chacun des cinq bâtiments du projet porte le nom d’un… arbre : Amandier, Biloba, Cèdre, Douglas, Epicéa. Trop d’imagination… etc. Enfin, fin du fin pour les gourmets, un potager et verger de 3 200 m² approvisionne les restaurants du campus en circuit court et fait l’objet d’ateliers pédagogiques pour les employés. Ainsi les gens qui n’ont pas de potager dans leurs appartements trop petits pourront sur leur temps libre jardiner au bureau. Il paraît que c’est top pour l’esprit d’équipe.
En tout cas, voilà tout pour la « ville-forêt » ! Pas étonnant que le président de la France entière se sente tenu d’y faire ce déplacement particulier puisque son quinquennat, dit-il lui-même, « sera écologique ou ne sera pas ». Le pays est parti pour que ce soit plutôt la seconde possibilité qui advienne mais, en attendant, l’écologie donc. Et qui la raconte aux oreilles du chef ? Pas Nicolas Hulot ou Christophe Béchu…
Voyons. Chacun de se souvenir que Julien Denormandie, start-uper, a failli devenir Premier ministre avant que Gabriel Attal, start-downer, n’emporte la mise sur un tapis vert mais roulant. Pour mémoire, Julien Denormandie, est un fidèle, voire un intime, de Vulcain ex-Jupiter dont il fut le ministre du Logement (2018-2020, gouvernement Philippe) et de l’Agriculture (2020-2022, gouvernement Castex). C’est depuis cette époque que le pays fait feu de tout bois. Denormandie, neveu d’un ancien président de l’Interprofessionnel du BoisEnergie, s’entend comme larrons en foireavec Guillaume Poitrinal, ancien dirigeant d’Unibail-Rodamco-Westfield et heureux fondateur avec Philippe Zivkovic d’abord de Woodeum en 2014 puis, en 2017, de WO², « promoteur immobilier bas carbone de bureaux de nouvelle génération » et, comme les choses sont bien faites, heureux promoteur de l’Arboretum.
Vulcain ex-Jupiter, d’évidence en est bluffé. « Empreinte carbone minimale », explique-t-il dans son succinct message censé sans doute, en empruntant mot pour mot ceux de la brochure, résumer sa politique en la matière. Mais qui l’affirme ? Pas de souci, l’Arboretum est certifié par l’association pour le développement du bâtiment Bas Carbone (BBCA) dont le rôle est justement de certifier les bons élèves, association fondée en 2015 par… Poitrinal Guillaume et consorts.
Ainsi explique WO², paraphrasant sans doute le président, il s’agit pour l’arboretum du « plus grand campus de bureaux en bois massif d’Europe, avec une empreinte carbone minimale. En France, c’est le plus grand ensemble tertiaire labellisé BBCA (Bâtiment Bas Carbone) niveau Excellence et E+C- au niveau E2C2 ». Dit autrement le promoteur WO² et consorts s’autolabellisent Bas Carbone et, devinez quoi, les résultats dépassent toutes les attentes du GIEC ! Déjà, dès 2021, le palmarès BBCA avait classé le groupe WO² premier maître d’ouvrage bas carbone en France, c’est dire !
Il est vrai que question auto-congratulation, Emmanuel Macron ne craint personne. Et quand les arguments manquent, il suffit de changer les données du baromètre pour convaincre comme ce fut le cas en 2022.
La visite de Vulcain ex-Jupiter valide ainsi l’idée que la construction bois serait écologique. Mais de quel bois se chauffe-t-il ? En effet, il est question ici de ‘Cross Laminated Timber’ (CLT) qui selon Woodeum est le « produit de structure ayant la plus faible empreinte environnementale, le bois massif CLT stocke le carbone sur le long terme plutôt que de l’émettre ». Puisque c’est le label BBCA qui le dit.
Se souvenir pourtant de la démonstration de l’architecte et ingénieur allemand Werner Sobek, peut-être l’un les plus influents de notre époque, énoncée le 24 septembre 2022 à Paris dans le cadre solennel d’un colloque organisé par l’Académie des sciences et l’Académie des beaux-arts intitulé Science et architecture : l’urgence. Interrogé sur l’usage du bois, il mettait en garde contre la « Wood World Wide Hype » (la mode mondiale du bois) et, rappelant que le bois vient de l’arbre qui vient de la forêt, il soulignait que « 25% du réchauffement planétaire en 25 ans est dû non à l’augmentation des gaz à effet de serre mais à la déforestation ». « Quand le soleil rayonne sur une pierre, elle chauffe, quand le soleil rayonne sur un arbre, il ne devient pas chaud, au contraire, il rafraîchit [l’atmosphère]. Qui plus est, en coupant un arbre de 40 ans, on enlève de la forêt un million de feuilles, puis on replante un arbre de quelques centaines de feuilles. On supprime donc la capacité de stocker du CO² pour dix ou vingt ans », soulignait-il. C’est mathématique docteur ? « Courir après la construction bois est illusoire, il nous faut au contraire planter plus de forêts », concluait l’ingénieur fort en calculs. Qui croire ?
Et puis, enfin, Le lamellé-collé, ce sont comme son nom l’indique des lames de bois collées ensemble et c’est la résine qui tient le tout. Il s’agit donc d’un matériau composite à base de bois mais ce n’est pas du bois, ou alors du bois artificiel, comme une rose en plastique n’est pas une rose mais une rose artificielle, même si elle a l’apparence d’une vraie rose. Que le CLT offre de nouvelles opportunités architecturales, personne ne le conteste. Mais que son bilan carbone soit si formidable, c’est moins sûr. Il paraît d’ailleurs qu’un mètre cube de CLT capte 460 kilogrammes de carbone pour toute la durée de vie du bâtiment ! Pour information, un seul trajet Paris-Marseille en voiture essence représente déjà 150 kilogrammes de carbone. L’origine de la colle est-elle certifiée ?
La vérité des sciences importe peu. En l’occurrence, cette visite abondamment diffusée de Vulcain ex-Jupiter, qui n’a apparemment rien d’autre à faire en ce moment, tombait particulièrement bien, pas seulement pour tenter de relancer sur place un marché de bureaux en berne mais pour promouvoir également la troisième édition du SIBCA, le grand show de la construction bas carbone, du 7 au 9 octobre 2024 à Paris, une foire créée notamment par… l’association BBCA et Guillaume Poitrinal évidemment.
Si Julien Denormandie est invité, qui sait, le président de tous les Français pourrait se déplacer encore pour planter un séquoia.
Christophe Leray
* Vulcain ex-Jupiter ? Lire Sonotone, livré par Amazon, à l’attention de l’Uber président